Intervention de Manuéla Kéclard-Mondésir

Séance en hémicycle du jeudi 2 décembre 2021 à 9h00
Plan d'accompagnement du phénomène de vieillissement accéléré de la martinique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaManuéla Kéclard-Mondésir :

La Martinique est au tournant d'une mutation démographique majeure : elle qui était le territoire le plus jeune de France au début des années 2000 est en passe de devenir le territoire le plus âgé à l'horizon de 2050. La part des plus de 65 ans y est passée de 15 % en 2010 à 22 % aujourd'hui ; elle devrait atteindre 50 % en 2050, contre 27,3 % pour la France hexagonale à la même échéance.

Au-delà des chiffres, le plus grave est que ce vieillissement aura des conséquences durables sur notre territoire. Le plus grave est aussi la situation sociale de cette population vieillissante : en Martinique, un tiers des plus de 60 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre 10 % dans l'Hexagone. Cette précarité s'exprime dans le recours aux allocations : 18,4 % des plus de 65 ans bénéficient de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) en Martinique, contre 4 % dans l'Hexagone ; 10 % de cette classe d'âge perçoit l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) en Martinique, contre 7,7 % dans l'Hexagone. Enfin, le taux de bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement (ASH) de la Martinique est deux fois supérieur à celui de l'Hexagone. Cette situation de précarité financière et de dépendance relative aux allocations est aggravée par la vie chère, problématique centrale de nos territoires.

L'isolement entre également en ligne de compte, sachant que 55 % des personnes âgées vivent seules. À cela s'ajoute leur refus de quitter leur domicile, qu'il ne faut pas interpréter comme un simple aléa culturel : c'est aussi un problème d'ordre structurel. Alors que les EHPAD sont les principales solutions d'hébergement proposées, les 80 % de places habilitées à l'aide sociale sont occupées ; en conséquence, 68 % des bénéficiaires de l'APA vivent à domicile. La capacité d'hébergement est insuffisante : le territoire ne compte que vingt-cinq EHPAD, soit 1 787 places, et ne propose aucune offre d'hébergement intermédiaire. Aussi les personnes âgées restent-elles à domicile, parfois volontairement, mais surtout parce qu'elles n'ont pas d'autre choix.

Enfin, la Martinique souffre d'un manque général de médecins et de personnels soignants. Certaines zones sont des déserts médicaux et manquent de spécialistes – souvent, ce sont aussi les zones les plus touchées par le vieillissement.

Ces constats ont motivé la présente proposition de résolution. Bien que nous soyons en retard quant aux mesures à prendre, il est encore temps d'anticiper le vieillissement de la population martiniquaise.

Le projet d'agence de l'autonomie occupe un rôle central dans notre résolution : l'objectif est de créer un guichet unique, plus efficace pour les usagers, en fusionnant les services départementaux et municipaux chargés du grand âge et de la dépendance. Cette agence s'inspirerait des maisons départementales de l'autonomie, dont j'ai pu observer le fonctionnement dans d'autres départements et qui me semblent constituer une réponse non seulement satisfaisante, mais aussi nécessaire pour piloter les politiques de l'autonomie sur le terrain. L'impulsion peut venir de la collectivité territoriale de Martinique, avec laquelle je suis en discussion, mais nous pourrions aussi être accompagnés par l'État : j'attends une réponse sur ce point.

L'autonomie en Martinique, c'est aussi la création d'un fonds exceptionnel visant notamment la rénovation des EHPAD et le développement de solutions d'hébergement intermédiaire. Il pourrait favoriser le déploiement de maisons d'accueil et de résidence pour l'autonomie (MARPA), modèle qui correspond à la demande en Martinique – j'ai visité de telles maisons dans d'autres territoires. Ce fonds permettrait de réduire les coûts de construction pour les porteurs de projets, et donc de diminuer les loyers, sachant que la question du loyer est centrale dans l'offre que nous devons élaborer.

Le Ségur de la santé a apporté des moyens supplémentaires, soit 20 millions d'euros pour les outre-mer, avec un accent mis sur les EHPAD. C'est un début, mais 20 millions d'euros pèsent peu à l'échelle de l'ensemble des outre-mer. Les nouvelles missions des EHPAD, votées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022, appellent à être plus ambitieux. L'EHPAD hors les murs doit devenir une réalité, surtout dans un territoire difficile à couvrir comme la Martinique, frappé par la désertification médicale : les établissements doivent pouvoir développer des solutions allant vers les usagers, et pas uniquement le contraire.

Concernant les solutions d'hébergement intermédiaire, le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) clarifie certaines compétences et envisage des dispositifs de facilitation ; toutefois, les moyens qu'il prévoit sont insuffisants. Les porteurs de projets en Martinique font part de leur difficulté à proposer des projets viables : les coûts sont trop élevés, tandis que les aides et les subventions sont insuffisantes. Dans ces conditions, ils ne peuvent proposer aux usagers que des tarifs inaccessibles. Les solutions d'hébergement intermédiaire doivent viser l'accessibilité financière. Elles nécessitent davantage de moyens, d'où notre volonté de créer un fonds exceptionnel.

Toujours concernant les coûts, je propose d'exonérer de TVA les entreprises qui constituent des petites unités de vie, sur une période de dix ans et sous le contrôle des autorités publiques compétentes. L'outil de l'intéressement fiscal a fait ses preuves à de nombreuses reprises pour créer de l'activité et développer des projets dans des secteurs ciblés ; ce levier pourrait être activé à court et moyen termes en Martinique, afin de faciliter un maillage efficace de l'offre d'établissements.

L'autonomie en Martinique, c'est encore le soutien aux personnes âgées en situation de grande précarité. Pour y répondre, je propose de hausser progressivement le montant de l'APA, afin de réduire le reste à charge des personnes qui résident en établissement et de l'annuler pour celles qui ont un niveau de dépendance élevé. Je propose aussi que l'APA s'ouvre au financement des dispositifs d'aides techniques, numériques et multiservices à domicile.

Nous trouvons quelques motifs de satisfaction dans le PLFSS pour 2022 : je pense à la fixation du tarif minimum de 22 euros pour l'heure d'intervention à domicile, et à la création d'une dotation qualité pour les interventions à domicile en contexte difficile, qui porte le tarif à 25 euros. Je salue cette uniformisation et cette hausse tarifaires. Le PLFSS prévoit en outre de limiter le reste à charge, y compris pour les dispositifs d'aides techniques : j'ai défendu cette revendication, et je me réjouis de son inscription dans la loi. Toutefois, il reste encore à adapter les aides et les minima sociaux à la vie chère qui caractérise la Martinique, afin d'assurer à chacun des conditions de vie décentes.

L'autonomie en Martinique, c'est par ailleurs le retour des jeunes Martiniquais diplômés, particulièrement des spécialistes en médecine gériatrique, mais aussi du personnel soignant. Il est important d'inciter les jeunes à revenir exercer sur le territoire, en renforçant le critère du centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) : cela contribuerait à endiguer le vieillissement de la population et participerait à l'effort général pour offrir des conditions de vie dignes à nos aînés. Contrairement à ce que prétend le Gouvernement, le service civique n'est pas une réponse satisfaisante aux problèmes immédiats d'effectifs. Il faut plutôt trouver des solutions concrètes et pérennes pour augmenter les effectifs.

L'autonomie en Martinique, c'est enfin une politique de la ville qui intègre le vieillissement afin d'agir au mieux, avec les moyens adéquats. Il existe déjà des coefficients supplémentaires pour les outre-mer, notamment pour la Martinique, mais là aussi, il faut plus de clarté et d'ambition.

La proposition de résolution que je vous soumets a une portée pratique et politique. Je prends acte des efforts qui ont été réalisés depuis la création de la cinquième branche, malgré l'absence de la loi tant attendue sur l'autonomie et le grand âge. Sur le plan politique, beaucoup reste à faire pour la Martinique, entre autres territoires. L'adoption de notre proposition de résolution serait un marqueur fort de la volonté de l'État de collaborer avec la Martinique dans le domaine du vieillissement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.