Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 9 décembre 2021 à 9h00
Modification du mécanisme européen de stabilité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

En nous demandant d'autoriser la ratification de l'accord signé début 2021 par la France et les dix-huit autres États membres de la zone euro, modifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité, on nous demande en réalité rien de moins que de nous soumettre de nouveau à l'ordolibéralisme, c'est-à-dire aux règles de concurrence libre et non faussée, après la parenthèse qu'a constituée le programme d'achats d'urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchase Programme, PEPP) qui prévoyait des rachats de dette publique par la Banque centrale européenne.

Rappelons que dès l'entrée en vigueur du MES en 2012, Jean-Luc Mélenchon avait envoyé une lettre aux parlementaires de gauche, alors majoritaires, pour leur demander de voter contre le traité qui l'instituait. Il considérait en effet – et nous continuons de le faire – que le MES n'était pas un mécanisme de solidarité : dès 2012, toute assistance financière a été conditionnée à la signature du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire, donc à des plans de rigueur mis en œuvre par la Commission, la BCE et, la plupart du temps, le Fonds monétaire international (FMI) – la troïka. Il notait la réticence des pays à qui on le proposait à demander une aide, laquelle était synonyme de saignées. Les États qui ont accepté le recours à cette assistance l'ont fait sous pression de la troïka et des agences de notation : mon collègue Lecoq a rappelé l'exemple de la Grèce. Enfin, Jean-Luc Mélenchon dénonçait une institution opaque, les archives et documents du MES étant exempts de toute perquisition, réquisition, confiscation ou saisie par une action de l'exécutif, qu'elle soit judiciaire, administrative ou législative, et tous les employés, rappelons-le, étant contraints au secret professionnel, y compris après avoir quitté leurs fonctions.

Quel en est le bilan ? Le Mécanisme européen de stabilité est venu à l'aide de cinq pays – la Grèce, l'Irlande, l'Espagne, le Portugal et Chypre –, mais cela a occasionné la plupart du temps des catastrophes, à savoir le dépeçage et la vente à l'encan du patrimoine national. Pendant la pandémie, le MES a ouvert une ligne de crédit de 240 milliards d'euros, assortie d'une double condition : la somme doit être dépensée dans les services de santé, et les pays bénéficiaires doivent se soumettre au contrôle budgétaire de la Commission européenne pour tout ce qui ne relève pas de la santé. Résultat : l'Italie, premier pays en difficulté, a préféré ne pas y recourir – c'est dire si les conditions lui semblaient intéressantes !

L'accord modifiant le traité instituant le MES vise, en réalité, à assouplir les conditions du recours à ce mécanisme pour les États disposant de fondamentaux économiques considérés comme solides. Ces modifications ne touchent pas à l'essentiel : elles participent plus globalement du maintien de l'ordolibéralisme européen, alors que la situation actuelle, marquée par la pandémie, appelle une réforme profonde du TSCG, et par conséquent une rupture avec les traités en vigueur.

Si les économies de la zone euro ne se sont pas effondrées durant la pandémie, ce n'est pas grâce au Mécanisme européen de stabilité, mais notamment grâce au rachat, par la Banque centrale européenne, de la totalité des dettes publiques émises lors de la crise – cela avait pourtant été interdit après la crise des subprimes, décisions dont nous connaissons les conséquences. Il y a été procédé dans le cadre du programme d'achats d'urgence face à la pandémie, doté de 1 850 milliards d'euros, qui change totalement la donne : désormais, ce sont les banques centrales qui possèdent la dette.

Que nous dit-on à présent – comprenez : que dit la BCE, cette banque qui, malheureusement, est indépendante des pouvoirs politiques ? Elle laisse entendre que le programme prendra fin en mars 2022. Nous considérons au contraire qu'il faut donner un caractère structurel à ces mesures exceptionnelles qui ont permis de faire face à la crise, sans quoi de nombreux pays se trouveront en difficulté une fois la crise passée, et le cercle infernal des plans d'austérité se remettra en marche. Sans une réforme profonde du TSCG – lequel impose toujours un plafond de 3 % de déficit annuel et de 60 % de dette publique par rapport au PIB –, l'austérité reviendra mécaniquement. Vous la préparez d'ailleurs, puisque vous annoncez d'ici à 2027, dans le cadre d'une loi pluriannuelle, une baisse des dépenses publiques – plus précisément, une hausse de 0,7 % qui, compte tenu de l'augmentation du niveau de vie de la population, constituera une baisse historique pour la Ve République.

Une telle réforme du TSCG devrait être au cœur de la présidence française de l'Union européenne. En 2019, Emmanuel Macron avait affirmé que la règle des 3 % de déficit annuel n'avait aucun sens. Il avait également prôné des eurobonds : ce projet, officiellement soutenu par la France, reposait sur une mutualisation des dettes sans condition ; on a préféré des recovery bonds, qui s'inscrivent totalement dans le TSCG. La présidence française devrait être l'occasion de remettre en cause les règles de soumission au TSCG ; malheureusement, ce n'est pas ce qu'Emmanuel Macron s'apprête à faire : ce sera à mettre au débit du futur candidat Emmanuel Macron.

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