Intervention de Stéphane Viry

Séance en hémicycle du jeudi 18 janvier 2018 à 15h00
Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Viry :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes invités aujourd'hui à nous prononcer sur une proposition de loi de nos collègues du groupe Nouvelle Gauche qui tente de redéfinir le cadre légal et la définition de l'entreprise pour installer les fondamentaux de ce qu'il appelle « une nouvelle gouvernance ».

Nous avons eu l'occasion d'exprimer notre point de vue en commission des lois, le groupe Les Républicains étant attaché au débat sur ce sujet. Il nous semble que la question du rôle de l'entreprise dans la société peut évoluer et prendre de nouvelles formes. Il nous semble aussi que la prudence est de mise. Ainsi, catapulter les articles 1832 et 1833 du code civil au détour d'une journée de « niche » peut laisser assez songeur. Sur ces sujets, il est urgent d'attendre.

Mes chers collègues du groupe Nouvelle Gauche, vous avez choisi de faire entendre votre voix sur des sujets dont s'est emparé le Gouvernement, ce qui se comprend parfaitement mais ne facilite pas notre travail de parlementaire cet après-midi. Vous nous mettez devant le fait accompli et, surtout, vous nous demandez de nous prononcer sur une version législative non aboutie, vous l'avez reconnu vous-mêmes : les travaux restent ouverts et doivent être mûris.

Alors, nous le savons, bien sûr : pas plus que nous, pas plus que toutes les oppositions vous ne disposez d'une administration derrière vous. Cela ne change toutefois rien au résultat : une proposition de loi qui n'a pas les moyens de ses ambitions, qui compte six demandes de rapports, qui fait bouger des articles du code civil vieux de 200 ans sans concertation suffisante et sur laquelle le président de l'Assemblée nationale n'a pas sollicité l'avis du Conseil d'État.

Je constate aussi les pouvoirs limités de l'opposition, qui ne peut pas vraiment légiférer dans cette belle maison même quand il s'agit d'un sujet porté à bras-le-corps depuis des années, comme c'est ici le cas, monsieur le rapporteur – cet aparté est destiné à mes collègues de La République en marche, dont j'espère qu'ils légiféreront la main tremblante lors de nos éventuels futurs débats sur la réforme constitutionnelle.

Le groupe Les Républicains n'est pas suspendu à l'action du Gouvernement, mais nous ne pouvons pas faire comme si le partage de la valeur et l'engagement sociétal des entreprises n'étaient pas le deuxième thème du PACTE, comme si les entreprises à mission, l'actionnariat salarié, les modalités de la participation et de l'intéressement n'allaient pas être remis sur la table dans les semaines à venir. Nous ne pouvons pas faire comme si le Gouvernement ne venait pas d'ouvrir une consultation publique et comme s'il n'y avait pas une mission en cours sur la relation entre entreprise et intérêt général, dont nous attendons les conclusions pour le 1er mars.

J'en viens désormais aux axes forts de votre proposition de loi.

Sans surprise, nous avons de sérieux doutes quant à votre redéfinition de l'objet social de l'entreprise. L'article 1er nous semble de ce point de vue-là téméraire. Que l'entreprise soit au coeur de son époque, tournée vers une économie juste et durable, nous ne pouvons qu'en être d'accord. La prise en compte des parties prenantes se fait déjà et peut aller encore plus loin, notamment par le biais de la promotion de nouvelles formes sociales proches des entreprises à mission dont vous proposez une version à l'article 10.

Mais ce débat n'est pas sans rappeler les lignes d'opposition qui ont structuré les discussions du quinquennat précédent. On retrouve encore cette volonté de contraindre l'entreprise : hier, c'était la contraindre à trouver puis finalement à chercher un repreneur en cas de cession de site et, aujourd'hui, c'est lui dicter l'élargissement de son objet social. Or, nous le savons tous, la loi qui se veut la plus vertueuse est parfois la plus créatrice de contentieux : quid demain de l'arbitrage entre intérêts potentiellement divergents des parties prenantes et des actionnaires ?

Cela ne veut pas dire qu'il faut renoncer et rester buté sur une vision de l'entreprise cantonnée à sa vocation lucrative et aux intérêts de ses actionnaires. La France peut aussi revendiquer quelques motifs de fierté à ce sujet. L'Autorité des marchés financiers reconnaît les efforts de nos entreprises en matière de RSE, notamment pour intégrer les parties prenantes. Une grande partie des grandes entreprises françaises intègre déjà leurs attentes dans leurs priorités stratégiques à travers des outils dédiés. L'agence de notation Vigeo Eiris a considéré dans son rapport de janvier 2017 que les informations extra-financières publiées par les entreprises françaises étaient les plus complètes au monde.

Vous l'aurez compris, nous serions plus favorables à des sociétés de mission créées sur la base d'une démarche volontaire, un peu sur le modèle d'autres pays – je pense aux public-benefit corporations américaines ou même au UK companies act de 2006, qui permet justement de prendre en compte les intérêts des parties prenantes en accord avec l'intérêt des actionnaires.

Cela ne veut pas dire donner un blanc-seing à votre article 10. Votre conception des sociétés à missions pourrait porter atteinte à la liberté de gestion de l'entreprise en raison des pouvoirs très étendus qu'il donne au comité de gestion de l'objet étendu. Le fait d'étendre l'objet social de l'entreprise ne peut se faire au détriment de son objet premier, qui est de rendre possible l'activité, la croissance et la rentabilité. Il nous semble que votre proposition n'atteint pas tout à fait un tel équilibre. Cette question de l'équilibre sera en quelque sorte le leitmotiv de mon intervention.

Si la majeure partie de vos propositions présente un réel intérêt, tout reste une question de curseur. On ne peut que s'intéresser au renforcement des administrateurs salariés, qui a fait ses preuves en Allemagne notamment, ou au droit de vote triple pour favoriser l'actionnariat pérenne. Mais sur la co-détermination, vous savez que les dispositions de la loi Rebsamen sont applicables depuis un an tout rond. Evaluons avant de légiférer ! Evitons les dispositions contraires à la liberté contractuelle comme celle visant à imposer aux sociétés par actions simplifiées de se transformer en sociétés anonymes !

La participation fait partie de sujets auxquels nous sommes très attachés. Votre volonté de la rendre obligatoire à compter de vingt salariés s'entend parfaitement mais, encore une fois, pourquoi ne pas privilégier la démarche volontaire des entreprises ? Il ne faudrait pas que votre article 4 se traduise par un risque susceptible d'affecter la rentabilité des PME notamment. Peut-être faudrait-il faire de ce seuil de vingt un seuil facultatif et laisser à cinquante le seuil obligatoire ?

Enfin, je souhaiterais dire un mot sur l'article 5 de votre proposition visant à créer un rescrit social préalable au licenciement collectif pour motif économique. C'est votre manière de donner suite à la question de l'évaluation des difficultés économiques des filiales françaises dans le cadre du périmètre national. Nous avons soutenu cette mesure lors de la loi d'habilitation des ordonnances « Travail », tout comme nous avons souhaité réinscrire dans la loi de ratification son annulation en cas de fraude. Nous ne pouvons que partager votre souci de prémunir nos filiales de la création artificielle de difficultés économiques. Toutefois, là encore, plutôt que d'imposer une forme de contrôle administratif ex ante de l'activité des multinationales qui demandent une validation de plan de sauvegarde de l'emploi – PSE – , peut-être faut-il s'assurer des moyens qui seront donnés au juge pour mener son enquête, le cas échéant ? Nous appelons l'attention du Gouvernement sur ce point particulier.

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