Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du mercredi 15 décembre 2021 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative à la présidence française du conseil de l'union européenne suivie d'un débat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

La présidence de l'Union Européenne qui s'ouvre le 1er janvier 2022 est la treizième présidence de la France. Une présidence de l'Union européenne est souvent marquée par des événements extérieurs imprévus et de grande ampleur. La mondialisation, et surtout la très grande interconnexion des États, sont des facteurs qui viennent affecter l'ordre des enjeux et des priorités. La dernière présidence française de l'Union européenne, lors du second semestre 2008, avait été marquée par deux événements déterminants : la crise en Géorgie et la crise financière des subprimes, puis économique à l'automne. La crise sanitaire, qui perdure depuis dix-huit mois, pose à chaque fois des problèmes nouveaux et a des effets économiques délétères, peut encore créer un contexte de tensions au sein de l'Union et dans le monde.

La France va ainsi prendre pour six mois la présidence tournante du Conseil européen. Les processus de l'Union européenne sont lents et la plupart des dossiers doivent faire l'objet d'un accord entre la Commission, le Conseil et le Parlement. Compte tenu de la prochaine élection présidentielle, prévue au mois d'avril, les principaux travaux devront être clos dès mars, ce qui raccourcira mécaniquement la marge politique laissée à notre pays. Le Président de la République n'a pas souhaité décaler cette présidence comme cela a pu être fait dans le passé. Ce choix peut donc être interprété soit comme la volonté d'imprimer sa marque, soit comme celle d'en faire un objet personnel et très politique. Se pose surtout la question des priorités qui seront défendues sur un trimestre. Trois thèmes ont été choisis par l'exécutif. Celui de la puissance renvoie à deux autres termes, la défense et les échanges stratégiques. On l'a vu, le départ des forces armées des États-Unis d'Afghanistan a semblé prendre de surprise certains États européens. Les États-Unis ne diminuent pas leurs forces extérieures, mais les redéploient en fonction de leurs analyses et de leurs priorités d'État.

L'Union européenne souhaite aujourd'hui dessiner les contours d'une nouvelle politique commune au travers de l'adoption d'un texte – la boussole stratégique – définissant la doctrine stratégique de l'Union européenne en la matière. Parmi les moyens illustrant cet axe figurent la constitution d'une force d'intervention de 5 000 hommes et un accord sur la doctrine à adopter vis-à-vis de pays comme la Chine ou la Russie. Comme souvent, les intentions sont ce qu'on voit alors qu'au plan opérationnel, les décisions prises peuvent affaiblir la position de principe. Ainsi, au plan industriel, des interrogations existent. Si les budgets nationaux des vingt-sept États membres de l'Union européenne ont augmenté de 5 % par rapport à 2019, avec 198 milliards d'euros consacrés à la défense, les fonds destinés à la coopération commune entre États pour mieux acheter et être plus interopérationnels ont quant à eux baissé de 13 %, avec seulement 4,1 milliards d'euros. Le Fonds européen de la défense, financé à hauteur de 8 milliards d'euros sur la période 2021-2027, est un premier pas mais reste mineur. Quel qu'il soit, l'accord suppose un processus de décision plus consensuel et plus efficace.

Il existe par ailleurs une initiative de l'Union européenne et des États-Unis, dite Trade and Technology Council, visant à trouver des positions communes sur les questions critiques liées au commerce mondial et aux technologies émergentes. Les domaines de discussion et de convergence seraient les investissements étrangers, le contrôle des exportations, l'intelligence artificielle et les semi-conducteurs. Les transferts internationaux de données sensibles seront-ils concernés ? Les investissements en matière de santé, comme les vaccins, seront-ils concernés ? Quelles seront les initiatives françaises dans ce domaine ? Au final, nous ne savons que peu de choses ou rien.

Venons-en à la question de la relance. Avec et après la pandémie, les dettes publiques des pays de la zone euro s'établiront en moyenne à 100 % du PIB. Les règles budgétaires de l'Union européenne, suspendues pendant la crise, ne peuvent être remises en vigueur comme si rien n'avait changé. Le Parlement européen a voté une résolution où il appelle à une évolution des règles, reconnaissant que l'application des règles budgétaires actuelles aurait des effets dépressifs pour beaucoup de pays de l'Union européenne. Par ailleurs, d'autres crises, comme la crise climatique, nous menacent. La réforme budgétaire sera discutée en 2022. La présidence française de l'Union européenne sera au début du processus. Plusieurs questions se posent, monsieur le Premier ministre. Comment prolonger l'effort d'investissement de l'Union européenne au-delà de 2023 ? Comment faire de l'outil, à l'origine exceptionnel et temporaire, que constitue le plan de relance de l'Union européenne Next Generation EU un plan d'investissement pérenne, renouvelable, dans une perspective de long terme ?

Au-delà de la question climatique, la question économique et sociale – qui lui est intimement liée – se pose. Le chef de l'État avait un temps mis en avant le principe d'un salaire minimum en Europe et la défense que cela constituerait pour nos propres salariés face au dumping social utilisé pour délocaliser, mais aussi préférer les productions faites aux coûts les plus bas. Cela n'apparaît plus dans les prises de position. Parallèlement, les objectifs du Pacte vert pour l'Europe, à savoir un continent climatiquement neutre en 2050, nécessitent des investissements allant au-delà de ceux prévus. De plus, les coûts à supporter par les consommateurs doivent être aussi neutres que possible pour les plus modestes. La création d'un second marché du carbone pour le secteur routier et les bâtiments suscite beaucoup d'interrogations. On ne peut que redouter que des mesures indispensables soient refusées, car non acceptables socialement par les consommateurs. Pourquoi ne pas faire en sorte que les investissements publics indispensables pour la transition climatique ne soient plus pris en compte dans le périmètre de la dette, ce qui est le cas aujourd'hui et a pour effet de contraindre les autres politiques ?

En matière de ressources, enfin, la convergence fiscale doit être un objectif en tant que tel. L'imposition des multimillionnaires doit en faire partie, pour des raisons non seulement d'équité, mais aussi d'efficacité des ressources générées. Le devoir de vigilance des multinationales doit aussi être une des grandes priorités de la France dans sa présidence.

J'en viens à l'appartenance, ce terme qui renvoie à deux idées fortes : le droit qui respecte les citoyens et les politiques publiques qui rassemblent. L'État de droit est un principe démocratique au terme duquel tous les membres de la société sont soumis au droit, y compris l'État et le Gouvernement. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale et ses horreurs, ce principe est considéré comme consubstantiel à la pensée politique et juridique de l'Europe. Or des règles essentielles de l'État de droit, comme l'indépendance de la justice ou la liberté d'expression, sont aujourd'hui mises en cause de manière récurrente par plusieurs États de l'Union.

La période actuelle conduit à l'inverse certains politiques, y compris dans notre pays, à prétendre se libérer du droit quand il les gêne. Pour reprendre la formule du professeur Dominique Rousseau, le droit, entendu comme un ensemble de libertés, est le langage des citoyens pour contenir l'État qui parle la langue des intérêts économiques et des calculs immédiats. Le droit européen fait partie de nos règles ; à ce titre, il doit être respecté ; il n'a pas été imposé à la sauvette ou rendu obligatoire sans les États et les gouvernements.

Il nous faut aussi évoquer l'éloignement de l'opinion vis-à-vis de l'Europe. Cet éloignement touche aussi, je l'ai dit, certaines élites qui considèrent qu'on ne peut aller plus loin ou qui estiment que l'Europe doit perdre de ses compétences. La crise vient en fait de l'absence de politiques publiques de progrès. Il nous faut de grands projets qui parlent aux individus. L'un est la relance et l'amplification d'Erasmus, des échanges scolaires et des temps de formation dans un autre pays, seul véritable succès européen, qui parle tant aux jeunes. L'autre pourrait être la mise en chantier d'une assurance chômage européenne, qui marquerait une volonté de convergence et de construction sociale par le haut et serait un outil économique et budgétaire. Un autre est l'approfondissement d'une Europe de la justice et de la police, avec ce que cela suppose de réelle mise en commun de moyens renforcés. Ainsi, si nous avons des doutes sur la portée de cette présidence dont la presse ou l'opinion internationale ne semblent pas attendre un salut, je n'ai pas dit un discours fort, nous entendons défendre des initiatives et sujets de justice et de transition, parce qu'ils sont attendus par la population.

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