La France s'apprête à présider le Conseil de l'Union européenne. Comme cette occasion ne se présente qu'une fois tous les quatorze ans, autant vous dire qu'elle est précieuse et qu'il faut la traiter avec sérieux et gravité. Il eût donc été nécessaire de ne pas en faire un élément de la campagne présidentielle et d'éviter qu'elle se déroule au moment même où notre pays débattra et votera pour choisir les politiques à venir, y compris vis-à-vis de l'Union européenne. Vous aurez beau dire, il aurait été possible de décaler cette présidence de six mois, ce qui lui aurait, en outre, donné plus de légitimité, donc plus de poids. Mais tout est bon pour faire campagne sans le dire « jusqu'au dernier quart d'heure », pour reprendre l'expression d'Emmanuel Macron.
J'aurais aimé voir un Président de la République se saisir de cette occasion pour défendre l'intérêt général, celui des peuples, celui du peuple français. J'aurais aimé, je l'admets, voir un Président de la République se hisser à la hauteur de l'enjeu et décider de mener la bataille écologique et la bataille humaniste qui s'imposent pour une meilleure politique extérieure et migratoire au sein de l'Union européenne. Malheureusement, ce ne sera pas le cas avec le Président Emmanuel Macron.
Ce ne sera pas le cas parce qu'Emmanuel Macron semble préférer se servir de cette séquence pour faire campagne plutôt que pour faire l'histoire et ses discours comme celui que vous avez prononcé aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, ne font que nous alarmer.
Sur la question sociale d'abord, je ne vois aucune avancée à l'horizon. J'ai cru très sincèrement que vous faisiez de l'humour au cinquième degré – ce qui ne vous ressemble pas –, lorsque vous vantiez votre programme pour une Europe sociale. Vous parliez des travailleurs détachés en vous félicitant des avancées européennes en ce domaine, alors même que les directives qui ont été appliquées n'ont touché que marginalement ce statut, qui favorise un dumping social sans délocalisation.
Sous votre présidence, rien ne changera en matière sociale : des objectifs vont être fixés, mais ils ne seront assortis d'aucune contrainte. Ainsi, concernant le salaire minimum européen, non seulement un accord a déjà été trouvé – il ne pourra donc être porté au crédit de la présidence française –, mais celui-ci sera sans effets. Du point de vue social, il s'agit d'un accord au rabais, sans critères contraignants et sans ambition.
Si vous voulez vraiment être ambitieux, appuyez donc la proposition de directive, adoptée grâce à ma collègue députée européenne Leïla Chaibi, qui impose une présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes numériques. Mais rien ne semble aller dans ce sens dans le programme que vous avez présenté tout à l'heure.
Plus largement, je vois bien qu'Emmanuel Macron ne compte pas se saisir de cette occasion pour s'opposer au pacte budgétaire européen, ou Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (TSCG) ni au Mécanisme européen de stabilité (MES), qui sont pourtant au cœur du problème économique et austéritaire européen.
Vous avez cité, monsieur le Premier ministre, un procédé inédit mis en place par la Banque centrale européenne et qui repose sur le rachat direct des dettes – par la Banque de France pour ce qui nous concerne –, jusqu'à 20 % de leur montant total. Oui, c'est une bonne chose : reprendre ainsi notre souveraineté sur la dette au lieu de la laisser aux mains des marchés serait utile pour l'avenir car il faut définanciariser la dette comme l'économie.
Avec cette présidence, notre pays avait l'occasion historique de proposer de pérenniser cette réforme structurelle. Au lieu de cela, la France a déjà ratifié à l'avance la mauvaise méthode du Mécanisme européen de stabilité rénové, telle qu'elle nous a été présentée la semaine dernière. Voilà ce que s'apprête à défendre le Président de la République lors de sa présidence du Conseil de l'Union européenne.
D'ailleurs, vous en anticipez les effets, en promettant pour les cinq ans à venir des baisses de dépenses publiques historiques qui, de nouveau, affaibliront l'État, la santé et les mécanismes de solidarité, et j'en passe.
Dans la même logique démissionnaire, ou simplement néolibérale, cette présidence française ne présage rien de bon sur le plan écologique.
Pour l'instant, M. Macron se contente de rappeler l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, dont il a pourtant déjà été établi qu'il ne suffirait même pas à nous faire respecter l'accord de Paris, à supposer qu'il soit tenu.
Le pire, c'est que cette politique non seulement manque d'ambition écologique mais qu'elle est anti-écologique. D'abord, on nous parle d'extension du marché carbone, qui, nous le savons, permet surtout de créer une nouvelle source de profits à travers la vente des quotas excédentaires, sans vraiment contribuer à faire baisser les émissions de gaz à effet de serre. Surtout, nous assistons à la formation d'une alliance catastrophique de M. Macron avec les pays pro-gaz, notamment avec l'extrême droite polonaise, qui vise à inclure le gaz fossile et le nucléaire dans la taxonomie verte européenne, c'est-à-dire dans le futur label européen de durabilité écologique.
Quand vous faites face, comme ce matin, à la mobilisation unanime d'aussi grandes associations que Greenpeace, ATTAC, ANV-COP21 ou Les Amis de la Terre, qui dénoncent vos alliances politiques en matière d'écologie, je pense très sincèrement qu'il y a de quoi s'alarmer sur la pertinence et la dangerosité de vos choix et de vos compromissions pour le climat.
D'autant que M. Macron ne fait pas mieux sur les autres sujets, notamment sur la politique migratoire de l'Union européenne. L'actualité constamment tragique à ce sujet vient encore de se rappeler à nous, avec la mort des vingt-sept exilés en mer, au large de Calais, et on compte désormais plus de 1 000 personnes décédées dans les mêmes circonstances en Méditerranée lors du premier semestre, ce qui constitue la plus grande catastrophe maritime de tous les temps.
On pouvait espérer que M. Macron aurait la dignité de se hisser à la hauteur de l'enjeu et qu'il tenterait de défendre à la tête de l'Union européenne un plan ambitieux, humaniste, raisonnable.
On pouvait espérer voir remises en question les logiques européennes, qui ont fait la preuve, au cours des dernières années, de leur inefficacité et de leur dangerosité, qu'il s'agisse des conventions de Dublin, des accords du Touquet – nous n'avons pas vocation à jouer les garde-barrières pour les Britanniques – ou de l'absence de politique migratoire organisée.