C'est un plaisir, un honneur, mais aussi une première pour moi, d'être devant vous et d'avoir l'occasion de vous parler des forces spéciales.
Avant d'entrer dans le détail des bilans et enjeux liés à la LPM, il me semble important de vous rappeler en quelques mots ce qu'est le commandement des opérations spéciales (COS). Il s'agit d'un outil capable de concevoir et conduire des opérations à forte valeur ajoutée et faible signature. Présent sur l'ensemble de l'arc de crise, qui interagit en boucle courte avec les plus hautes autorités. Le COS est un commandement opérationnel créé il y a tout juste vingt-cinq ans, quand il a fallu tirer les enseignements de la guerre du Golfe. Depuis un certain nombre d'années, nous sommes particulièrement engagés dans la lutte contre les réseaux terroristes, en particulier ceux d'inspiration djihadiste, mais nos savoir-faire et nos missions couvrent un champ beaucoup plus vaste.
Mon rôle est de concevoir, planifier et conduire des opérations spéciales décidées par le chef d'état-major des armées (CEMA). Ces opérations sont exécutées sous mes ordres par les forces spéciales des trois armées, mais aussi par des militaires des forces conventionnelles qui assurent des appuis spécialisés ou de la logistique.
Mon état-major réalise donc de « l'ingénierie opérationnelle » pour intégrer ces différentes capacités, dans le but de fournir aux plus hautes autorités civiles et militaires des réponses « sur mesure » à des problèmes complexes. Le COS est spécialisé pour intervenir dans des zones instables ou des environnements chaotiques – ce que certains appellent les « zones grises » –, en lien avec des interlocuteurs locaux parfois versatiles, et en coordination avec de multiples acteurs. Ces opérations sont souvent discrètes, sous faible empreinte, mais non clandestines. En permanence, ce sont environ 800 militaires, dont 600 des forces spéciales, qui sont placés sous mon contrôle opérationnel et déployés en opérations extérieures (OPEX), ce qui représente environ 10 % des forces françaises déployées en OPEX.
Ces forces sont engagées dans trois types d'action : des actions offensives directes – à raison de plusieurs par semaine, notamment en Afrique ou au Levant – ; des missions de renseignement, pour mieux comprendre les situations ou pour préparer des opérations ; enfin des missions dites d'environnement, qui comprennent notamment la formation et l'accompagnement de partenaires. Les missions du COS sont par nature exposées et nos personnels, des spécialistes hautement qualifiés et très entraînés, continuent de payer le prix de leur engagement jusque dans leur chair : nous déplorons ainsi vingt-six blessés et deux militaires tués au cours des trois dernières années – dont, l'automne dernier, l'adjudant Stéphane Grenier du 13e régiment de dragons parachutistes (RDP), sur le théâtre levantin.
En cette fin d'année 2017, je peux mesurer le chemin parcouru par le système des forces spéciales (FS). En un quart de siècle, les FS ont atteint le stade de la maturité. Notre modèle peut être qualifié de consolidé. Il fait désormais référence en Europe.
Le COS s'est adapté à des menaces nouvelles, des cadres d'emploi très différenciés et des défis toujours plus nombreux. Les opérations spéciales se sont transformées : d'opérations « coup de poing », nous sommes passés à de véritables campagnes militaires. En Afrique, nous recherchons les terroristes, en étroite coordination avec les services de renseignement français et américains, et nous démantelons leurs réseaux. Au Levant, nous formons et accompagnons des partenaires locaux pour lutter contre Daech. Notre présence et nos actions, dans des régions où nous sommes souvent les premiers voire les seuls militaires français engagés, permettent d'apporter aux décideurs une meilleure compréhension, certaines clés de lecture, des enjeux locaux et des dynamiques régionales.
Sur le plan de la programmation militaire, vous souhaitez sans-doute savoir quel bilan je tire de la LPM 2014-2019 : elle aura permis de renforcer significativement le commandement et les ressources humaines (RH) allouées aux FS. Reste que certaines difficultés, en matière d'équipements, demeurent et constitueront tout l'enjeu de la prochaine LPM. La LPM 2014-2019, qui confirmait la nécessité d'un renforcement important des FS françaises, comportait deux volets principaux : une augmentation en volume du COS et des forces spéciales, et quatre opérations d'armement majeures. Ce renforcement s'est fait à travers le projet « Forces spéciales 2017 » qui s'est traduit par un renforcement de l'état-major du COS, passé progressivement d'environ 110 personnes à 125 en 2018, avec pratiquement le même nombre de réservistes. Cette progression a permis d'améliorer substantiellement la capacité d'analyse, d'anticipation et de conception de nos opérations tout en donnant plus de compétences à la branche développement capacitaire, afin d'harmoniser les matériels des FS entre armées et de promouvoir l'innovation. Le projet FS 2017 s'est également traduit par une progression de près de 30 % de la ressource FS dans les armées, laquelle s'établit aujourd'hui à environ 3 900 personnels – et 400 réservistes.
Le nombre de postes, dans l'armée de terre, a augmenté de 430 entre 2014 et 2016. Le renforcement en matière de ressources humaines est réalisé. Le commandement des forces spéciales terre (CFST) a été créé le 1er juin 2016. En ce qui concerne la marine nationale, on compte environ 200 postes supplémentaires. Le 7e commando, Ponchardier, a été créé le 1er septembre 2015 et a atteint sa pleine capacité opérationnelle. L'armée de l'air, pour finir, a bénéficié d'un surcroît de 240 postes environ. Ainsi les effectifs de l'escadron de transport FS « Poitou » ont-ils augmenté. Je m'apprête en outre à prononcer la certification opérationnelle de l'escadron d'hélicoptères « Pyrénées » à l'issue d'une montée en puissance de deux ans et demi. Cette unité est en mesure de projeter de manière permanente deux hélicoptères de type Caracal et apporte la capacité de ravitaillement en vol des hélicoptères pour des missions de pénétration longue distance. Le commando parachutiste de l'air n° 10 (CPA 10) est encore malheureusement en sous-effectifs, mais les premiers effets du plan « Protection et défense » (PRODEF 21) de l'armée de l'air se font sentir ce qui me rend optimiste.
Pour ce qui est des équipements et matériels, j'ai mentionné quatre opérations d'armement. Il s'agit de trois programmes à effet majeur (PEM) : un programme pour les radios HF, un programme véhicule forces spéciales (VFS) et un programme de modernisation des avions C130. On doit y ajouter un programme d'acquisition de jumelles de vision nocturne au sein de l'agrégat budgétaire « autres opérations d'armement » (AOA).
Le programme radio HF NG Melchior VS2 vise à moderniser les transmissions nationales pour garantir notre autonomie par rapport aux alliés et contribuer à la résilience en cas de rupture d'accès satellitaire, c'est-à-dire à maintenir nos communications avec nos unités déployées sur les théâtres d'opérations en cas de problème survenu dans l'espace. Les premières livraisons sont prévues pour 2020.
En ce qui concerne le programme VFS, les vingt-cinq premiers véhicules lourds PLFS sur les 202 prévus, ont été livrés en février 2017, alors qu'ils devaient être projetés fin 2016. Ce premier standard devait répondre au besoin urgent de véhicules pour les forces spéciales. Il a toutefois immédiatement été interdit d'emploi par la direction générale de l'armement (DGA) pour des raisons de sécurité. Il ne semble pas y avoir de solution envisageable avant juin 2018. La question de la mobilité terrestre est un enjeu pour les prochaines années, j'y reviendrai.
Après avoir abordé les véhicules lourds, j'en viens aux véhicules légers des FS qui, quant à eux, sont en phase de prototypage. Il faudra dorénavant attendre 2020 pour les premières livraisons…
La modernisation des C130 est un programme réalisé par l'armée de l'air. Huit des quatorze avions concernés bénéficieront en même temps de l'amélioration de leurs capacités tactiques. Le programme a été notifié à l'automne 2016. Cinq de ces appareils vont être livrés à l'escadron de transport (ET) « Poitou » entre 2019 et 2022. Cette modernisation est essentielle dans la perspective d'un retrait des C160 à l'horizon 2023.
Par ailleurs, l'équipement de tous les opérateurs en jumelles de vision nocturne (JVN) a été décidé en 2014 et se poursuit normalement – il s'agit d'une opération d'armement par contrat de l'Agence de soutien et d'acquisition de l'OTAN (NSPA : North atlantic treaty organization support and procurement agency), négocié directement par le COS. Ce programme, entièrement réalisé par le COS – suivi technique, travaux avec l'industriel, essais – permettra aux FS d'avoir un équipement de dernière génération, du même niveau que celui des forces spéciales américaines. L'enjeu est de conserver l'avantage offert par la capacité de combat de nuit face à un adversaire qui commence à s'équiper de dispositifs de vision nocturne.
Pour ce qui est des autres programmes, on peut noter la montée en puissance du propulseur sous-marin de troisième génération (PSM-3G) – ces mini-sous-marins armés par les commandos –, et la capacité d'embarcation commandos à usage multiple embarquable (ECUME), dont les quinze exemplaires ont été livrés.
Par ailleurs, pour cette période 2014-2017, le rôle du COS dans le domaine de la lutte contre-terroriste a été précisé, notamment par l'arrêté du 4 janvier 2017 qui clarifie son rôle, ses attributions et ses relations avec les services de renseignement. Au total, la situation s'est améliorée sur le plan des ressources humaines, grâce à l'implication des armées, c'est une réelle satisfaction. Sur le plan des matériels, le bilan est plus mitigé, des réductions temporaires de capacité restant encore à combler.
Avant d'aborder les enjeux de la prochaine LPM et ma vision du futur, intéressons-nous aux enseignements tirés des engagements actuels. Je dirai en termes simples que les engagements du COS sont plus nombreux, plus longs et ont tendance à se durcir.
D'abord, les engagements s'inscrivent dans la durée. Le contre-terrorisme repose sur des manoeuvres de patience, d'enquête. Il faut des mois pour établir les conditions permettant de collecter le renseignement à des fins d'action, notamment dans le domaine du renseignement humain. De même, les actions de partenariats nécessitent de la constance et des investissements dans le temps pour établir les liens de confiance et in fine la possibilité de s'appuyer sur des partenaires fiables, pour « faire faire ».
Ensuite, les engagements sont plus nombreux et vont au-delà des contrats opérationnels fixés : deux Task Forces (forces d'intervention) majeures, au lieu d'une seule, sont déployées pour l'une au Sahel et pour l'autre au Levant.
Enfin, les engagements sont très différenciés. Nous avons fait face, ces dernières années, à trois types de conflictualité qui réclament des approches et des moyens très différents. Le premier type regroupe les conflits asymétriques – comme au Sahel – où se déploient des campagnes contre-terroristes en espace peu contesté, et en autonomie stratégique, qui nécessitent de la fulgurance et de la technicité, commando comme aéromobile. Nous avons ensuite les conflits dissymétriques – c'est le cas au Levant – en espace semi-permissif voire contesté. La campagne y est internationale. De son côté, l'adversaire met en oeuvre tous les champs de confrontation – guerre urbaine lourde, artillerie, drones, cyber, risques radiologiques, biologiques et chimiques (RBC), propagande. De ce point de vue, on peut dire que Mossoul, c'est la combinaison de Stalingrad et de Twitter. Il y a de nombreux belligérants et les antagonismes sont multiples, qu'ils soient religieux, tribaux, mais aussi entre États ou entre milices confessionnelles… Les prismes d'approche étant différents, il est nécessaire d'avoir des observateurs sur le terrain afin de mesurer la distance qui sépare la réalité du discours. Enfin, le troisième type d'engagement concerne les opérations menées dans le cadre de la fonction stratégique « prévention » – on pense notamment à l'Afrique de l'Ouest – qui appellent à une très basse visibilité de nos actions mais qui nous permettent de renseigner les autorités et de mieux comprendre les crises en cours ou à venir.
Les enseignements à en tirer sont les suivants.
Dans le domaine du contre-terrorisme, nous avons besoin des moyens américains par défaut de moyens techniques français : insuffisance de drones moyenne altitude longue endurance (MALE) et des moyens de guerre électronique.
On relève aussi la persistance de schémas d'affrontements lourds dans des espaces où des arsenaux de tous types semblent proliférants, d'où la nécessité de disposer de moyens blindés – car les petites embarcations pneumatiques ou les véhicules légers ne suffisent pas toujours.
En matière logistique, on note la fragilité de nos lignes d'approvisionnement et la dépendance aux moyens externalisés – en particulier le recours au fret aérien, à défaut de moyens patrimoniaux.
Pour ce qui est des partenariats militaires opérationnels, on constate une concurrence entre alliés, notamment dans la capacité à équiper au bon niveau nos partenaires. Il faut bien avouer que la logique de cession des matériels militaires français a atteint ses limites et il faut aujourd'hui songer à d'autres modèles. Les approvisionnements sont trop longs et la cession d'équipements dépassés ne satisfait plus des partenaires devenus très exigeants.
Je note enfin des besoins de compétences nouvelles, essentielles mais échantillonnaires, qui définissent des métiers dont on n'imaginait pas l'existence il y a encore quelques années – dans la guerre électronique, le cyber, l'emploi des capteurs modernes.
Ces enseignements doivent éclairer l'avenir. Ce qui me conduit à vous présenter les enjeux opérationnels et capacitaires du COS pour la prochaine LPM.
De manière générale, il m'apparaît important de consolider les formats et de faire les efforts nécessaires, au demeurant modestes, pour la modernisation des équipements.
Le premier enjeu sera opérationnel et concerne les formats projetables. Il pourrait s'agir, si le Président et la loi valident cette ambition, d'être capable, demain, de reproduire, sur un autre théâtre, ce que le COS réalise aujourd'hui au Sahel, c'est-à-dire déployer deux forces d'environ 300 opérateurs disposant chacune de moyens aériens – hélicoptères et avions. Cela représenterait une Task Force de plus par rapport au contrat actuel. Au Levant, les armées ne savent pas déployer au profit du COS dans la durée un deuxième plot d'hélicoptères ou des avions de transport tactique (ATA). Il importe que la LPM intègre ce besoin, faute de quoi, un tel volume de force ne pourra être projeté de manière autonome.
Pour les FS, l'enjeu des travaux de la prochaine LPM concerne les aspects capacitaires. Je constate en effet que la situation actuelle fait peser, sur les équipements des FS, un risque de décrochage générationnel par rapport aux standards des pays occidentaux, voire par rapport aux meilleurs équipements des forces conventionnelles et à certains équipements de l'ennemi. En d'autres termes, si rien n'est fait, certains équipements FS pourraient être en retard d'une à deux générations par rapport aux meilleurs standards, notamment dans le domaine des hélicoptères, des véhicules et des avions.
C'est pourquoi trois axes me semblent prioritaires.
Le premier concerne la mobilité tactique dans les trois milieux : air, terre, mer. D'abord, il me semble impératif de moderniser et d'homogénéiser le parc des hélicoptères dédié aux forces spéciales. Le COS a besoin d'hélicoptères NH90 modernisés au standard FS et de poursuivre la montée en puissance de l'hélicoptère Tigre dans sa version HAD (hélicoptère appui destruction) au sein du 4e régiment d'hélicoptères des forces spéciales de Pau. Des acquisitions sont souhaitées pour permettre d'accéder à ces hélicoptères de quatrième génération. Cela permettrait de rassembler la flotte Caracal au sein de l'armée de l'air et de densifier le parc de l'escadron d'hélicoptères (EH) « Pyrénées » de Cazaux. J'insiste sur le fait que la mise au standard FS du NH90 nous rapproche de nombreux partenaires – un très grand nombre de pays européens en disposent, mais aussi l'Australie et la Nouvelle-Zélande, engagés dans la même voie et qui sont prêts à faire copie commune afin d'alléger les coûts de développement.
Pour ce qui touche à la mobilité terrestre, compte tenu des difficultés du programme VFS, il faudra mettre en oeuvre un plan de transition de ce segment par l'intermédiaire d'un programme VPS 2 consistant à acquérir « sur étagère », des véhicules directement dérivés de modèles civils et disponibles sur le marché. Le principe d'une acquisition de trente exemplaires semble affermi – pour un coût de l'ordre de 15 millions d'euros – et c'est le nombre de véhicules nécessaire au Sahel. Si tel n'était pas le cas, il y aurait un risque d'une importante réduction de capacité entre 2018 et 2025. Nous travaillons également à l'acquisition de véhicules légers de type buggy afin de renforcer le segment « haute mobilité-vélocité » permettant l'accès à de nouveaux modes d'actions – à la suite du retour d'expérience allié au Levant. Compte tenu des faibles volumes financiers concernés – une soixantaine d'exemplaires pour quatre millions d'euros environ –, un achat « sur étagère » semble possible. Aux enseignements récents que j'ai évoqués, il faut ajouter la nécessaire prise en compte d'un segment blindé adapté aux modes d'action des FS, notamment en zone urbaine – on ne peut pas y circuler en décapotable...
Pour le volet maritime, nous attendons avec impatience l'admission au service actif du PSM-3G en 2018. Cependant, ce sous-marin miniature est destiné à agir en tandem avec un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) de type Barracuda. En attendant l'entrée en service de ce dernier, nous souhaiterions pouvoir mettre en interface le PSM-3G avec un bâtiment de projection et de commandement (BPC) via l'embarcation gigogne ESP-3G. Ce besoin, qui n'est pas pris en compte actuellement, devra être instruit dans l'exécution de la LPM. Je tiens à souligner que le PSM-3G est une des rares capacités immédiatement disponible destinée à contrer le fameux « déni d'accès » – il faut être capable de s'approcher des côtes ennemies pour porter le feu là où il faut.
Le deuxième axe concerne les moyens de recueil de renseignement (ISR : intelligence, surveillance et reconnaissance). Il y a d'abord les grands programmes des armées pour lesquels le COS souhaite que ses besoins fondamentaux soient pris en compte. Je pense au drone MALE Reaper de l'armée de l'air dont la capacité de guerre électronique et l'armement représenteront des game changer pour les opérations spéciales – il s'agit d'assurer notre autonomie stratégique vis-à-vis des Américains. Nous suivons de près également le développement du segment des avions légers de surveillance et de reconnaissance puisque nous en sommes un client privilégié – ces moyens seront parmi les premiers à être déployés sur les théâtres d'opération où nous serons engagés. Reste qu'en attendant, les FS ont besoin d'acquérir une capacité ISR complémentaire propre. Nous proposons de lancer par conséquent un programme d'acquisition de drone moyenne altitude, moyenne endurance (MAME) – 100 kilomètres pour six heures de vol –, disposant d'une charge de renseignement d'origine électromagnétique (ROEM) et capable d'emporter des armements de faible charge, ainsi que des mini-drones, si possible sous la forme d'AOA, voire de location, car des solutions « sur étagère » existent.
Le troisième axe concerne les moyens de transmission et de commandement. Il vise à garantir l'interopérabilité en coalition et à consolider notre capacité à établir des communications à longue distance par satellite à l'aide de radios de dernière génération, que l'on appelle les TACSAT-NG. Ces radios nous sont indispensables pour travailler en coalition avec les forces spéciales et le renseignement alliés. L'objectif est d'équiper l'ensemble des forces spéciales déployées et de pouvoir les entraîner. Il nous faudra également renforcer notre autonomie nationale et notre résilience face aux attaques cyber, objectif qui n'est pas incompatible avec celui d'interopérabilité. Le COS travaille à un projet de système d'information FS dont l'objet sera de concevoir les briques et interfaces en termes de logiciels et de connectivité pour compléter les systèmes interarmées en cours de développement.
Je voudrais insister sur les points qui me semblent importants dans l'exécution de cette future LPM. Hors programmes aéronautiques, les livraisons doivent commencer dès le début de la LPM car nous avons actuellement plus de deux ans de retard dans le renouvellement de nos véhicules terrestres et n'avons aucune certitude pour l'avenir. Si on exclut les programmes déjà bien avancés lors de la précédente LPM, le volume financier nécessaire à la modernisation du modèle COS est de l'ordre de 250 millions en sept ans. Cela signifie qu'il faudrait consacrer chaque année 36 millions aux FS, soit moins d'un millième du budget annuel de la défense. Paradoxalement, le faible volume financier des petits programmes transverses et de cohérence fragilise ces derniers. Enfin, en tant qu'employeur opérationnel, je regrette l'absence de projet d'hélicoptères lourds, dont sont équipées la quasi-totalité des armées occidentales. Rien qu'en Europe, l'Allemagne vient de passer commande de soixante hélicoptères lourds ; la Grande-Bretagne en a quatre-vingt-dix et vient d'en moderniser vingt pour ses forces spéciales ; l'Italie en a une quinzaine ; l'Espagne, une quinzaine également ; la Hollande, une trentaine. Les Américains en ont 500 – 1 000 si on y ajoute les V22. Un tel projet me permettrait d'envisager de nouveaux modes d'action, plus à même de contrer les menaces futures, au même niveau que nos alliés d'outre-Atlantique et d'Europe.
Au-delà de l'horizon de cette prochaine LPM, certaines questions de fond doivent être posées pour relever les défis de demain. Pour rester dans le peloton de tête, je milite pour qu'on innove davantage dans tous les domaines, y compris dans nos règles et nos processus d'acquisition. Les FS ont un rôle particulier à jouer car l'innovation est dans notre ADN et cette dynamique finit par profiter à tous – aussi bien au contribuable qu'aux forces conventionnelles. Les forces spéciales sont souvent les premières engagées, ce qui nous oblige à trouver des solutions nouvelles à des problèmes inédits. Lorsque Daech s'est mis à transformer des drones du commerce en armes, il nous a fallu trouver sans délai des solutions, aller chercher toutes les technologies de parade, tester rapidement certains produits comme des fusils brouilleurs ou des systèmes de détection, et les déployer au plus vite – ce que nous avons notamment fait à Mossoul. In fine, toutes les armées et les services de sécurité du territoire en profitent car nous avons pu explorer ce qui fonctionnait et ne fonctionnait pas. Autres exemples : le fusil HK416 ou les drones tactiques qui ont été employés en premier dans les FS et se généralisent maintenant à toutes les armées. Nous sommes donc bien placés pour défricher des terrains nouveaux.
Cependant, nous ne pouvons innover seuls. Il faut que les processus d'acquisition nous y aident au lieu de nous contraindre. L'innovation doit aussi imprégner nos méthodes et nos règles. Il est des cas où l'on doit pouvoir s'affranchir du code des marchés publics, ce que permettent les directives européennes. Malheureusement, la déclinaison de ces exceptions en droit français se borne aux seuls services de renseignement. C'est un frein considérable.
Je regrette que notre système ne soit pas conçu pour acheter sur étagère, lorsque les volumes sont faibles et les risques pour l'État, minimes. Dans de tels cas, la mécanique programmatique n'est pas adaptée et les développements sont longs, coûteux et inutiles. L'enjeu est stratégique : l'innovation technique et l'adaptation administrative doivent nous permettre de réagir face à des adversaires qui exploitent à 100 % la dualité des technologies et leur vulgarisation massive sur internet et les réseaux sociaux.
En conclusion, j'ai la chance d'être à la tête d'un outil performant que j'ai à coeur d'améliorer encore. Consolider notre modèle, c'est doter la Nation d'une capacité de réponse immédiate et adaptable, dans un environnement mondial perturbé où sévissent des mouvances hostiles et où réapparaît la volonté de certains États d'exprimer leurs ambitions stratégiques par la force armée. Chaque jour, nos soldats engagent le feu sur différents théâtres, ils méritent donc une attention particulière. Le poids budgétaire des forces spéciales est relativement modeste au regard des effets qu'elles produisent et des futures menaces auxquelles nous serons tous confrontés.