La prise en compte des besoins des forces spéciales dépend notamment de leur place au sein de chaque armée.
L'armée de l'air et la marine sont des armées de systèmes d'armes : leur but est de relier les systèmes entre eux. L'intégration de nos systèmes n'est donc pas une difficulté. Il y a certes des à-coups de temps en temps – les FTI n'ayant pu être rallongés de quelques mètres, par exemple – mais ils s'expliquent par des priorités budgétaires. La marine a tout de suite intégré dans le SNA Barracuda un sas permettant d'embarquer des nageurs de combat dans un propulseur sous-marin. C'est pourquoi nous demandons, dans l'attente des Barracuda, des navires gigognes intégrant ce propulseur et permettant de l'embarquer sur des bâtiments de projection et de commandement (BPC). Les BPC ont vocation à être des plateformes avancées au large des côtes pour mener des assauts héliportés, de l'amphibie ou des opérations des forces spéciales. Ce bateau ayant son propre hôpital et sa capacité d'état-major, il permet de mener des opérations sans empreinte au sol.
La situation est différente dans l'armée de terre dont les forces spéciales sont une composante à part entière et relativement autonome qui nous est quasiment dédiée dans son emploi. La modernisation de ses équipements dépend principalement des choix budgétaires de l'armée de terre.
En ce qui concerne le positionnement du COS entre les forces spéciales, les forces conventionnelles et les forces clandestines, nous avons su trouver un équilibre. Les opérations Barkhane et Sabre se déroulent toutes deux au Sahel mais nos forces n'y font pas le même métier. Les logistiques y sont parfois intégrées : les forces spéciales de l'opération Sabre soutiennent les hélicoptères Cougar tandis que l'opération Barkhane soutient les Tigre ; nous assurons le soutien énergétique à Tombouctou tandis que les forces conventionnelles nous assurent la garde. Au Sahel, les forces spéciales sont là pour lutter contre les terroristes. Nous menons toutes les semaines des actions de raid en hélicoptère ou de raid commando ; nous interceptons des terroristes. Notre mission ne consiste pas à tenir le terrain, à la différence des forces conventionnelles, dont l'action est structurante puisqu'elles forment les armées du G5 Sahel et appuient l'action de la MINUSMA. Forces conventionnelles et forces spéciales peuvent s'appuyer mutuellement si elles ont une difficulté ou un geste technique particulier à accomplir. Par définition, les forces clandestines, quant à elles, ne signent pas, n'existent pas et ne sont pas « revendiquables ». Je n'ai aucune difficulté avec le service « Action » de la DGSE ni avec les forces conventionnelles, et je ne peux que me féliciter des relations entretenues entre nos services.
S'agissant de nos équivalents européens, il faut d'abord savoir que tous les pays de l'Union européenne n'ont pas un commandement dédié aux opérations spéciales. Pour en disposer, il faut déjà avoir une culture interarmées, ce qui n'est pas le cas partout. Entre le discours et la réalité, il y a un décalage dans certains pays. Ensuite, le niveau d'emploi des forces spéciales varie d'un pays à l'autre : certains s'engagent dans des opérations, d'autres pas. Les forces spéciales conduisent tout de même des actions d'un très haut niveau technique qui nécessitent un savoir-faire non accessible par tous. Parmi les pays qui ont un COS, il y a bien sûr les Britanniques, qui sont vraiment notre alter ego. Nous sommes les deux nations leaders en Europe. Je pense que les forces spéciales pourraient jouer un rôle dans le cadre du projet d'initiative européenne d'intervention (IEI). Il pourrait être avantageux pour nous de mettre des moyens en commun mais cette initiative restera toujours bilatérale et ad hoc, en fonction de l'opération. Ce type d'initiative implique en effet que l'autorité politique assume de prendre certains risques. Nous avons la chance, en France, d'avoir une Constitution qui donne au président de la République la capacité de décider des engagements.
Je partage votre analyse quant à l'importance des hélicoptères Caracal. Nous proposons que dans le 4e régiment d'hélicoptères des forces spéciales, les parcs soient harmonisés, ce qui devrait limiter les coûts liés à la maintenance, aux pièces de rechange et à la formation des personnels. Comme vous le savez, les mécaniciens hélicoptères étant une ressource très rare et duale, l'appel d'air vers le secteur privé est grand. En dotant le 4e RHFS de NH90 modifiés et en transférant tous les Caracal à l'escadron « Pyrénées » de l'armée de l'air, nous aurions deux entités s'appuyant sur des flottes cohérentes. Il y a en effet actuellement au 4e RHFS trois types d'appareils : des Puma, des Caracal et des Cougar. Je ne parle là que des hélicoptères de manoeuvre et pas des Gazelle ni des Tigre. Le Caracal présente l'atout de pouvoir être ravitaillé en vol. Je n'ai pas besoin d'avoir cette capacité sur tous les types d'hélicoptères, car cela demande un niveau élevé d'entraînement avec les avions ravitailleurs, mais le Caracal nous permet de nous affranchir de tous les plots intermédiaires de ravitaillement au sol, de gagner en temps et en fiabilité pour mener des opérations que je ne peux pas conduire aujourd'hui. La pleine capacité opérationnelle de l'escadron « Pyrénées » est aujourd'hui atteinte : il dispose de sept équipages. Il y a deux hélicoptères de l'armée de l'air en permanence au Sahel, le reste étant assuré par l'armée de terre. J'estime que le NH90 doit, quant à lui, être modifié à un standard compatible d'un emploi pour les forces spéciales. Ce besoin a été exprimé de manière analogue par certains de nos partenaires européens clients du programme NH90. La recherche d'un système d'interopérabilité technique avec ces mêmes partenaires auxquels j'associe les Australiens et les Néo-Zélandais, permettrait de réduire les coûts de développement et pourrait même constituer une brique capacitaire symbolique de l'initiative européenne d'intervention voulue par le président de la République. Le NH90 FS nous donnera aussi la capacité d'aller sur les bâtiments de la marine nationale, la marine disposant elle aussi de NH90 pour ses missions propres.
Vous avez évoqué les modalités de passation des marchés publics mais le problème des acquisitions est plus vaste et il faut distinguer deux types de matériel.
Lorsque les armées veulent acquérir du matériel de programmes à effet majeur, comme les Barracuda, les FTI ou des aéronefs, nous devons faire appel à la DGA, compte tenu des masses financières en jeu et des risques à prendre. Il faut alors que la DGA tienne compte des besoins des forces conventionnelles mais également soit capable d'imaginer, dès la conception du matériel, un kit « forces spéciales » à intégrer dans son cahier des charges. Car adapter une machine a posteriori, comme nous souhaitons le faire avec le NH90 rénové, coûte indubitablement plus cher.
Lorsque nous voulons acheter des équipements qui existent sur étagère – véhicules, petits drones ou armements –, nous sommes obligés de perdre un ou deux ans à refaire des tests que ces équipements ont déjà passés au sein d'organismes étrangers. C'est d'une certaine manière comme demander à un particulier qui achète ou loue un véhicule de le faire passer systématiquement aux Mines… L'AOA est faite pour aller vite et pour bien dépenser : elle permet de ne pas acheter du matériel lorsqu'il n'est plus utile. À l'inverse, lorsque vous êtes dans une logique de programme, vous consacrez tellement de temps et de moyens budgétaires à celui-ci qu'une fois qu'il est lancé, vous ne pouvez plus l'arrêter. Pour les opérations d'armement qui me concernent, mieux vaut donc recourir à l'AOA qu'aux PEM.
Il faudrait prendre en compte le fait que les forces spéciales ne représentent que de petits effectifs. On passe par un PEM lorsque l'acquisition d'un bien implique une prise de risques. Or, quel risque l'État français court-il quand il achète quelques armes, véhicules ou drones ?
Enfin, s'agissant de l'innovation, priorité de la ministre des Armées, nous avons, à l'occasion du Salon des forces spéciales que nous co-organisons tous les deux ans, invité un grand nombre de start-up françaises intéressant le domaine de l'industrie de défense. Au salon de Las Vegas, la deuxième délégation de start-up est française. Il est regrettable, comme c'est parfois le cas, que ces jeunes-pousses, qui ont des projets intéressants, tombent dans les mains de sociétés étrangères. Nous essayons de les mettre en avant. Pour autant le passage du projet à un produit commercial qui permette une véritable création d'entreprise, c'est-à-dire le passage de l'idée à un marché est encore difficile.