Intervention de Amiral Laurent Isnard

Réunion du mardi 19 décembre 2017 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Laurent Isnard, commandant les opérations spéciales :

Je ne veux pas laisser penser que, comme l'affirme un article du Canard enchaîné, je ne m'entends pas avec la DGA. Heureusement que la DGA est là, pour ces véhicules, car nous ne saurions pas traiter avec l'industriel, étant donné que nous n'avons pas acheté sur étagère. Je remercie donc la DGA de gérer ce dossier. Elle a pris en compte un cahier des charges défini par le COS en 2014 et passé un marché fin 2015, pour une livraison qui aurait dû avoir lieu, pour les vingt-cinq premiers véhicules, en février 2017. Ces véhicules, les PLFS, sont finalement repartis chez l'industriel car les conduire a été jugé dangereux. La livraison aura donc lieu au mieux en juin 2018 pour les premiers, et pas avant fin 2019, voire 2020, pour les suivants. Pour les VLFS, on n'en est encore qu'au projet de maquettage et nous avons déjà plus d'un an de retard. Mais ce n'est pas la DGA qui est responsable de ce fait.

J'ai besoin des VLFS. Le VLRA (véhicule de liaison de reconnaissance et d'appui) est en service au début des années 1960 et réactualisé en 1996. Ces modèles de véhicules commandos ont donc été créés avant la création du COS… La demande n'est donc pas un caprice de notre part, nous sommes véritablement en rupture capacitaire.

En ce qui concerne les relations entre le RAID, le GIGN et le COS, je peux affirmer qu'elles sont très bonnes. Nous nous retrouvons autour de gestes techniques : libérer des otages en France ou à l'étranger requiert des techniques très proches, même si l'environnement sécuritaire est différent. Nous nous entraînons parfois ensemble. S'agissant du contre-terrorisme maritime, nous travaillons ensemble. Le COS finance en outre des projets innovants dans le cadre d'un système de soutien étatique à l'innovation piloté par le COS auquel le RAID et le GIGN sont associés.

Je ne souhaite pas aborder la question relative au domaine cyber pour des raisons de confidentialité. Le COMCYBER sera mieux à même de répondre à vos questions sur ce sujet.

Au sujet de la mutation du terrorisme, je dois d'abord préciser qu'entre Al-Qaïda et Daech, les approches sont différentes. Al-Qaïda cherche à terroriser, pour faire reconnaître une idée. Daech regarde là où il y a le chaos et installe, par l'horreur et la terreur, une exploitation territorialisée de la population locale. Il prend le contrôle de territoires et les gère ; il traite les gens comme les ressources naturelles de manière très administrative, à des fins mercantiles. Quand Daech aura perdu son territoire dans quelques mois, en Irak et en Syrie, il sera contraint de rebasculer dans une forme de clandestinité et vers des modes opératoires connus et hybrides, entre terrorisme et insurrection. D'où l'intérêt d'avoir des personnels sur place pour mesurer la part de terrorisme, de rébellion, de lutte interethnique, religieuse ou politique.

Il y a eu une mutation entre Al-Qaïda et Daech. En même temps, nous constatons, sur les réseaux sociaux, dans le système de propagande et de recrutement, un lien plus qu'étroit entre nos territoires et les zones où les « combattants étrangers » exercent leur terreur, en sachant qu'il y a aussi des retours de combattants. Tout ce que nous constatons est partagé avec l'ensemble des services de renseignement pour que nous puissions nous préparer à des contre-attaques utilisant les modes opératoires développés au Levant.

Il existe aussi une sorte d'internationale du terrorisme. C'est une sorte d'industrie. J'ai utilisé, pour Mossoul, l'expression de « Stalingrad avec Twitter » : nous devons lutter contre des terroristes qui travaillent sur les réseaux, s'échangent des informations, des techniques, se coordonnent et recrutent. C'est un nouveau champ d'affrontement.

En ce qui concerne la formation des partenaires, quand on arrive sur un théâtre d'opérations, à l'étranger, il faut d'abord se faire accepter et, pour cela, apporter quelque chose, une garantie de notre engagement à leurs côtés. C'est ce que permet la formation. Quand nous sommes arrivés au Kurdistan dans le nord de l'Irak, pour aider les Kurdes à éviter que Daech remonte au nord et à l'est depuis les territoires qu'il occupait, nous les avons formés dans les domaines où ils avaient des lacunes capacitaires tactiques. Cela nous permet en même temps de mieux comprendre l'environnement local pour être plus efficaces le jour où nos forces, conventionnelles ou spéciales, sont engagées. Cela nous permet enfin de pouvoir nous désengager car nous formons des partenaires qui sont capables de reprendre à leur compte certains métiers. Nous les formons car notre objectif n'est pas de rester sur place éternellement.

En matière de coopération bilatérale, il existe dans ce domaine une forte concurrence entre alliés. Certains partenaires pèsent davantage que d'autres et arrivent avec d'importantes sommes et de puissants équipements, produisant un effet d'éviction.

Vous avez réagi à la notion de start-up que j'évoquais dans mon propos introductif. Le COS, avec un état-major entre 110 et 130 personnes et des métiers identifiés, ne couvre pas tout le spectre de la guerre électronique, du cyber, du déminage, de l'artillerie lourde, de l'emploi de bombardiers… Je ne vais bien entendu pas demander des Rafale pour le COS dans la LPM, car cela n'aurait pas de sens. Je regarde ce que le chef d'état-major des armées me fixe comme objectifs à atteindre et je fais du sur-mesure. C'est en cela que je parle d'esprit start-up en privilégiant la réactivité et la créativité. Je ne cherche donc pas à être propriétaire de toute la gamme des moyens. En revanche j'ai besoin de l'être pour des métiers avec des gestes très précis que je ne peux pas partager, mais de manière générale je m'appuie sur l'ensemble de nos forces. C'est pourquoi j'ai dit que je suis dans un esprit d'ingénierie et d'intégration avec les alliés et les forces conventionnelles françaises.

En ce qui concerne le MCO hélicoptères, je constate qu'en moyenne un quart de la flotte des hélicoptères de manoeuvre (HM) est déployé en opérations, un quart est en maintenance dans les divers organismes de maintenance, industriels ou étatiques, et il m'en reste la moitié en métropole. Pour le quart déployé, tous les efforts sont consentis pour donner des pièces de rechange aux mécaniciens. En opération ces derniers travaillent sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec pour effet une disponibilité bien supérieure à la moyenne nationale. Tout ceci bien entendu au détriment de l'activité en métropole.

De fait la moitié des heures de vol des équipages est effectuée en opérations. Cela pose à terme un problème de niveau de compétence acquis par les équipages avant déploiement. Sur certains théâtres je peux assurer une préparation en amont mais il y a aussi des théâtres soudains, la guerre n'étant pas quelque chose qui se planifie systématiquement. Le MCO est donc un enjeu pour toutes nos armées, forces conventionnelles comme forces spéciales, car ses défaillances peuvent obérer notre capacité de réponse immédiate.

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