Intervention de Sébastien Jumel

Séance en hémicycle du mardi 4 janvier 2022 à 15h00
Différenciation décentralisation déconcentration et simplification de l'action publique locale — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Jumel :

La République du quotidien, la République de la proximité, la République qui prend soin attendra, car le projet de loi que nous devons voter aujourd'hui n'a pas tenu ses promesses. Promesse non tenue d'une nouvelle étape de la décentralisation qui aurait rapproché l'État et les services publics des citoyens ; promesse non tenue d'un texte qui, après une crise des ronds-points révélatrice de la concentration des pouvoirs, des services publics et des richesses dans les grandes métropoles, ne viendra pas réparer les abandons de la République en matière d'aménagement du territoire, abandons qui ont fait mal à la France rurale, à la France périurbaine et à la France des quartiers populaires – aujourd'hui même, j'ai appris le déménagement de la trésorerie de la ville de Tôtes, nouvelle saignée dans la présence des services publics ; promesse non tenue d'un texte qui aurait dû redonner aux maires et aux communes les moyens d'agir, de retrouver prise sur leur destin et sur celui de leurs habitants. À ces promesses, vous avez substitué un ensemble de mesures techniques qui, sous les dehors de la banalité technocratique ordinaire, risquent d'aboutir à terme à une accentuation des inégalités géographiques et des fractures territoriales.

Par ailleurs, le projet de loi consacre une règle de fonctionnement de notre République qui sévit depuis de trop nombreuses années : celle qui voit l'État se défausser de ses missions, obligeant les collectivités à assurer le service après-vente, comme on a pu l'observer avec la crise sanitaire. Hier encore, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, poussé dans ses retranchements pour n'avoir pas agi depuis dix-huit mois pour favoriser la ventilation dans les écoles, nous expliquait que l'installation de purificateurs d'air dans les établissements scolaires n'était pas de son ressort, mais relevait de la responsabilité des collectivités territoriales.

Dénoncé au moment de la crise des gilets jaunes, mais à l'œuvre depuis des années, le recul de l'État va franchir avec ce texte une nouvelle étape. Dès demain, la gestion d'une grande partie des routes nationales et des gares sera renvoyée aux collectivités, lesquelles exerceront cette prérogative sans vision d'un aménagement d'ensemble, et l'aménagement du territoire sera une fois de plus laissé à la liberté de chacun, avec un État qui laisse filer le ballon. Quelques exemples : pour les éoliennes, vous dites aux maires de se débrouiller, sans mesurer la pression qui pèse sur eux ; en matière d'aménagement sanitaire du territoire, vous ne revenez pas sur la logique comptable imposée aux agences régionales de santé (ARS) au détriment des besoins de santé ; aux maires qui réclament de gérer le bien commun qu'est l'eau, vous répondez « intercommunalités », « fusions », « économies ». À Aix-Marseille, enfin, vous imposez une métropole au forceps, sans vous soucier de l'avis des acteurs locaux.

Lorsque l'État se fait libéral sur l'aménagement, les équilibres et les investissements, semblant lâcher la bride aux collectivités, c'est pour mieux, tel le coq revenant dans le poulailler, dresser sa crête, agiter ses barbillons et faire le tatillon : libéral, donc, mais souvent autoritaire.

Comment ne pas voir que, sur le terrain, les maires sont fatigués, démoralisés par toutes les contraintes – défense incendie, plans de prévention tous azimuts, avalanche de normes et d'obligations, et j'en passe – alors que, dans le même temps, ils voient les services publics abîmés ?

Au printemps dernier, la Défenseure des droits nous alertait : « La crise sanitaire n'a pas épargné le fonctionnement des services publics […]. Cet affaiblissement a contribué à accentuer le creusement des inégalités sociales, frappant d'abord les plus vulnérables, soulignant [le] rôle essentiel [des collectivités] dans la préservation de l'égalité. » En dépit de cette alerte, dans les territoires ruraux et dans les villes moyennes, les déserts progressent. Déserts de services publics, avec des permanences du Trésor public qui ferment, comme à Tôtes, dont je viens de parler ; déserts médicaux, d'où les 11 % de Français sans médecin référent, ce qui représente un prix élevé pour leur santé, avec deux ans d'espérance de vie en moins dans les territoires ruraux. Que dit votre projet de loi de ces problématiques concrètes que vivent nos concitoyens ? Déserts juridiques, avec la fusion des dernières instances de la justice du quotidien, quand 67 % des Français estiment se sentir loin de leur justice ; déserts scolaires qui gagnent du terrain, avec des projets de carte scolaire en cours d'élaboration qui amènent les inspecteurs de l'éducation nationale à annoncer des fermetures de classes aux maires au moment même où ceux-ci sont confrontés à la gestion de la crise sanitaire.

Madame la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, votre projet de loi, au-delà de quelques mesures positives comme la correction de la loi SRU – loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains –, la recentralisation du RSA ou l'adoption de certaines de nos propositions sur le logement – heureusement que nous étions là !–, ne relève pas l'immense défi de la fracture territoriale. Il dessine une France à la carte, plutôt qu'une carte équilibrée de la France. C'est la raison pour laquelle le groupe communiste votera contre un projet de loi technique, voire technocratique, qui ne répond pas aux préoccupations des élus locaux.

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