Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du mardi 4 janvier 2022 à 21h30
Application de la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Nous sommes le 4 janvier, et nous déplorons déjà trois féminicides. Si l'on ne peut pas arrêter du jour au lendemain les violences intrafamiliales, la faiblesse de l'action publique est inacceptable, coupable et criminelle.

Mes chers collègues, il s'agit d'un enjeu éminemment politique. La lutte contre les violences faites aux femmes aura peut-être été le plus grand serpent de mer de la législature : sacrée grande cause nationale du quinquennat par Emmanuel Macron, elle aura fait l'objet de toutes les promesses en plateau, de toutes les agitations dans l'hémicycle, pour se fracasser sur le mur de l'austérité. Le défaut de moyens humains et financiers, c'est-à-dire de volonté politique, a emporté tous les discours. Il y a quatre ans, j'appelais à la tribune la promulgation d'une grande loi sur le modèle de ce qu'ont fait les Espagnols en 2004, une loi-cadre contre les violences sexistes et sexuelles. Depuis, qu'est-ce qui a été fait ? Des articles de loi éparpillés entre plusieurs textes, des redondances et des contradictions, sans aucun plan de financement. Je suis désolée de nous voir loin, si loin de l'exigence portée par la déferlante #MeToo.

Nous revenons aujourd'hui sur l'application d'une loi votée à l'unanimité il y a deux ans, à l'initiative du groupe Les Républicains et en l'absence, remarquée, de Mme Schiappa. Le texte comportait de nombreuses insuffisances : un aveuglement complet à l'endroit de la dimension éducative et préventive, l'esquive permanente de la question des moyens attribués aux professionnels et aux associations… Là comme ailleurs, le ver était dans le fruit depuis le début. Alors, ne faisons pas trop les étonnés en constatant, deux ans plus tard, qu'un tiers des affaires ne sont pas jugées dans le délai de six jours imparti pour délivrer une ordonnance de protection ou que la généralisation des bracelets antirapprochement se fait tristement attendre. Les maigres avancées rendues possibles par le texte restent dans l'ombre de tout ce que nous aurions dû faire depuis longtemps.

À Tremblay-en-France, dans la circonscription dont je suis l'élue, une femme qui a vu son petit garçon mourir sous les coups de son mari est venue me voir, dans la plus grande détresse, avec ses deux autres enfants : elle vit dans un hébergement d'urgence malgré des interpellations répétées de ma part ; preuve que tout ne s'épuise pas dans la réponse pénale.

Mes chers collègues, même notre hémicycle compte un député qui multiplie depuis plusieurs années harcèlement et menaces à l'encontre de son ex-femme. Celle-ci est titulaire d'un téléphone grave danger (TGD) et bénéficie d'une ordonnance de protection ; pourtant, le bureau de l'Assemblée nationale a refusé la levée de l'immunité parlementaire demandée par le magistrat pour faire avancer l'affaire ; preuve, s'il en fallait encore, que votre volonté prétendue de protéger les victimes rencontre vite ses limites. Je vous le dis sincèrement, monsieur le garde des sceaux : je ne m'y ferai jamais.

Les manquements de cette loi révèlent l'absence encore massive d'appréhension du phénomène de domination masculine, laquelle doit être chassée dans chaque pan de la vie quotidienne. Madame Kuric, vous renvoyez la responsabilité aux seuls auteurs de violences ; vos propos montrent à quel point l'idée d'une dimension systémique, profondément viriliste, empreinte d'une histoire patriarcale répandue à travers le monde, n'est pas encore comprise par tous. Il s'agit bien d'une question politique : si nous ne nous accordons pas sur ce constat, nous n'apporterons pas les mêmes réponses à des problèmes que nous déplorons ensemble.

Je suis députée d'un département, la Seine-Saint-Denis, qui fut le premier à se doter d'un observatoire des violences envers les femmes et qui favorise la coordination entre les acteurs, depuis les services de police et de justice jusqu'aux associations militantes – c'est très important. Nous savons à quel point la réduction des dépenses publiques freine la protection des victimes et leur accompagnement. Sans une loi-cadre assortie de moyens, au moins 1 milliard dédié à l'ensemble de la chaîne, nous ne nous en sortirons pas. Nous pourrons toujours parler, mais nous serons condamnés à voir les drames se perpétuer.

Je ne peux me réjouir du bilan de cette loi, parce que je vois à travers ses carences le bilan raté d'un mandat. Au XXe siècle, les mouvements féministes ont arraché l'égalité dans la loi. Au XXIe siècle, cette égalité doit devenir réalité. Pour y parvenir, les mots ne suffisent pas.

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