Intervention de Emmanuelle Auriol

Séance en hémicycle du jeudi 6 janvier 2022 à 15h00
Légalisation du cannabis : évolutions européennes blocages français

Emmanuelle Auriol, économiste :

Le cannabis est-il un substitut ou un complément de l'alcool ? Selon les études internationales, il s'agit plutôt d'un substitut – on consomme soit l'un soit l'autre, mais pas les deux. En revanche, surtout sous sa forme illégale, c'est un complément du tabac : les consommateurs veulent éviter les produits trafiqués et contrôler ce qu'ils achètent, ce qui est plus facile avec l'herbe – au pire, elle contient des pesticides. Ils ont donc plutôt tendance à fumer le cannabis, ce qui n'est pas très bon.

En ce qui concerne la transition vers la légalisation, je le répète, le diable est dans les détails ; c'est pourquoi j'ai évoqué d'emblée la fiscalité. Vous avez raison, une fiscalité abusive revient à une prohibition économique. Mettre le paquet de cigarettes à 1 million de dollars revient à l'interdire ; cela ne fait aucune différence puisque les gens ne peuvent pas l'acheter. Il y a donc une limite à la pression fiscale que l'on peut imposer pour réguler ce marché. La variation des prix a cependant un effet, comme observé pour le tabac. Toutes les études économétriques montrent que quand vous augmentez les prix du cannabis, la demande diminue. Les gens sont sensibles à cette contrainte.

La fiscalité est donc un outil à condition d'être plafonnée, vous avez raison sur ce point. L'application de taxes trop élevées conduirait à une résurgence du marché noir.

Comment se préparer à une légalisation ? Pour l'instant, les conventions internationales interdisent le commerce de cannabis à usage récréatif. C'est interdit même aux États-Unis, ce qui est un peu paradoxal – des États limitrophes ayant légalisé le cannabis ne peuvent pas en échanger entre eux. De même, la France, même si elle optait pour la légalisation, ne pourrait pas pratiquer ce genre de commerce avec les Pays-Bas, par exemple. Seul le commerce de cannabis à des fins médicales est possible.

L'avantage, c'est que la production domestique serait protégée, ce qui n'est pas possible dans le cas des autres marchés. Cela générerait en outre des recettes fiscales, dont, contrairement à nos voisins, nous ne pouvons pas bénéficier tant que la production reste illégale. Mais si nous la légalisons, il faudra prévoir de gros stocks, au moins 500 tonnes. Comme pour toute production agricole, il suffit de s'y prendre un an à l'avance, mais il ne faut pas croire qu'une tonne serait suffisante !

Je comprends votre angoisse à l'idée de ce que feront les dealers en cas de légalisation. En tout état de cause, ils seraient très affaiblis, tandis que les policiers pourraient leur consacrer le temps qu'ils passent aujourd'hui à arrêter les usagers, ce qui ne constitue pas une utilisation efficace de la police.

La légalisation n'est certes pas la panacée, mais les études montrent qu'elle affaiblirait beaucoup la pire et la plus déstabilisante forme de criminalité : le crime organisé. Il y aura toujours des voleurs de bicyclettes, des cambrioleurs et des petits trafiquants. Le crime organisé, c'est autre chose. Pour l'instant, ce type de criminalité est bien organisé et structuré. Agissant depuis l'étranger, il nourrit le blanchiment d'argent. Il est très nuisible pour notre pays.

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