Intervention de Jean-Pierre Cubertafon

Séance en hémicycle du jeudi 6 janvier 2022 à 15h00
Légalisation du cannabis : évolutions européennes blocages français

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Cubertafon, psychologue clinicien, membre du réseau Addictions France :

Cet épisode, qui peut apparaître comme une simple anecdote, montre bien que rien n'est gravé dans le marbre lorsqu'il s'agit d'addiction.

Si nos préoccupations sont aujourd'hui centrées autour des problèmes rencontrés par les adolescents, c'est peut-être parce que la France a mené, par le passé, une mauvaise politique, tendant à considérer la consommation de cannabis comme une maladie à soigner et orientée vers les cas les plus graves. C'est d'ailleurs un point sur lequel je suis en désaccord avec les propos de M. Laforestrie : il me semble qu'on commet une erreur en prétendant traiter l'ensemble de la population à l'aune des situations les plus sérieuses qui, heureusement, ne concernent pas la majorité des adolescents.

Lorsque je vous quitterai, je retournerai auprès d'enfants qui souffrent de psychotraumas et avec lesquels il faudra faire un travail difficile pour les faire arrêter un produit qui les soulage. Mais je consacre aussi du temps à mener des actions de prévention auprès de jeunes qui n'ont d'autre problème que de trouver leur place dans la société. Pour répondre aux besoins de cette population, nous devons monter des programmes de prévention, mais aussi mobiliser et soutenir les familles.

Je vous épargne le détail des dispositifs qui existent et dont je suis certain que la plupart d'entre vous n'ont jamais entendu parler, mais je fais partie des professionnels qui avaient œuvré à la création, en 2004, des consultations jeunes consommateurs (CJC). Personne ne s'en occupe beaucoup : je dirai même que la majorité des personnes s'en foutent – et après, on nous reproche que des jeunes consomment des substances ! J'évoque ces consultations parce qu'on y traite par exemple de la question des écrans – car il arrive que les adolescents fument devant un écran – ou de la consommation d'alcool, à laquelle l'usage du cannabis peut effectivement être associé, même si ce n'est pas systématique. On y prend ainsi en charge la santé des jeunes, plutôt que de partir en croisade contre tel ou tel produit. Une telle attitude tend d'ailleurs à produire des effets de bord, parce qu'en nous voyant être vent debout contre le cannabis, les adolescents peuvent en déduire que le fait d'en consommer un autre n'a pas de conséquence.

Des outils existent donc. Si j'ai salué le fait qu'on ait commencé à les utiliser, je tiens à dire une nouvelle fois ma déception de terminer ma carrière en constatant la pusillanimité des moyens financiers et politiques qui leur sont accordés : faute de soutenir ces outils, nous les sous-utilisons.

S'agissant de votre deuxième question, je ne me risquerai pas à y répondre alors que j'ai refusé de le faire pour votre collègue. Simplement, j'appelle à revenir à la notion d'expérience. On s'enferme souvent dans une distinction entre drogues douces et drogues dures. En réalité, le débat n'est pas là, car l'enjeu réside dans l'intensité de l'expérience. Par exemple, dans une fête foraine, certaines personnes renonceront à monter dans certains manèges à sensation et chacun placera la limite à un niveau différent. Heureusement, la majorité des personnes ne cherchent pas à vivre les expériences les plus intenses.

Imaginez qu'on distribue ici des produits surpuissants, que vous auriez la possibilité d'essayer en en augmentant progressivement l'intensité : la plupart d'entre vous s'arrêteraient à un palier intermédiaire et même un palier inférieur, car cela leur suffirait. Si un programme de prévention était déployé en parallèle, beaucoup s'arrêteraient encore plus tôt, estimant qu'ils disposent d'autres possibilités de vivre des sensations fortes – cette thèse a été validée, même si, encore une fois, je n'ai pas le temps de vous la présenter en détail ici. Une partie des sensations recherchées peuvent être apportées par des activités qui ne posent aucun problème : au risque de paraître désuet, on peut vivre des sensations très fortes grâce au sport, à la musique, ou à des activités culturelles qu'on ne mobilise pas suffisamment. Ce n'est pas du tout faire preuve d'angélisme que de dire cela : il s'agit au contraire d'un constat très pragmatique.

Si cette question vous intéresse, des chercheurs islandais ont mené une étude en population réelle, sur 300 000 habitants, pour mesurer l'incidence des programmes de prévention. Alors que ce pays affichait, lors du lancement des programmes en 1998, les mêmes taux de consommation des principaux produits que la France – avec 40 % pour un produit, 25 % pour un autre et 18 % pour un troisième –, ces taux étaient tombés respectivement à 4 %, 5 % et 3 % en 2015, au moment des premières évaluations.

Les moyens d'action existent donc. Encore faut-il les mobiliser.

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