Je suis Claude Mangin, citoyenne française et défenseure des droits humains. Je suis mariée depuis dix-huit ans avec Naâma Asfari, militant pour le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui, un droit reconnu par l'ONU.
Naâma est en détention arbitraire au Maroc depuis plus de onze ans. Il a été enlevé par les forces de sécurité marocaines le 7 novembre 2010 à Laâyoune. C'était la veille du démantèlement, par les forces armées marocaines, d'un campement de protestation pacifique qui a réuni durant un mois plus de 20 000 Sahraouis, hommes, femmes et enfants, rassemblés dans 8 000 tentes traditionnelles à Gdeim Izik, à 10 kilomètres de la capitale du Sahara occidental. Lors de ce démantèlement violent, il y aurait eu onze agents tués. Naâma, arrêté la veille, a pourtant été accusé de ces meurtres et transféré en prison à Rabat avec vingt-quatre autres camarades. Il a été torturé et condamné à trente ans de prison par le tribunal militaire de Rabat en 2013, sur la base d'aveux extorqués sous la torture – une peine confirmée en appel en 2017. Ses compagnons, arrêtés dans la même affaire et condamnés à des peines allant de vingt ans à la perpétuité, ont également vu celles-ci confirmées.
Ces procès ont été entachés de nombreuses irrégularités relevées par les observateurs internationaux présents. Le 15 novembre 2016, le comité contre la torture de l'ONU a condamné le Maroc pour faits de torture sur Naâma Asfari. Dans sa décision, le comité demandait au Maroc de s'abstenir de toutes représailles sur le plaignant et sa famille. Cette condamnation a redonné sa dignité à mon mari et à ses compagnons mais les représailles à son égard et au mien n'ont pas cessé : de 2010 à 2016, j'ai pu lui rendre régulièrement visite dans sa prison au Maroc mais, depuis cette condamnation en 2016, j'ai été expulsée cinq fois sans aucune justification. Les deuxième et troisième expulsions m'ont empêchée d'être présente au procès en appel.
Si j'ai pu revoir mon mari en janvier 2019, c'est parce que, pour alerter le Gouvernement français sur mon droit de visite bafoué, j'ai observé en avril et mai 2018 une grève de la faim de trente jours à la mairie d'Ivry-sur-Seine, notre ville de résidence, dont Naâma porte le titre de citoyen d'honneur. Cette unique visite en cinq ans a été obtenue après de très difficiles négociations entre la sous-direction de l'Afrique du Nord au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, et l'ambassade du Maroc. On me reprochait en effet mes prises de parole à l'automne 2018 sur les ondes en Allemagne et à Strasbourg dans une église. C'est ainsi que j'ai été empêchée de présenter la situation des prisonniers de Gdeim Izik lors d'une soirée-débat dans une église de Strasbourg par un commando de cinq personnes, envoyé par le consulat marocain. Ce même consulat est allé jusqu'à engager une démarche de protestation contre moi auprès de l'évêché.
La visite, qui a eu lieu il y a trois ans déjà sous l'égide du Conseil national des droits de l'homme, organe nommé par le roi, a été très éprouvante. Constamment surveillée par des dizaines d'hommes, j'ai été dénoncée aux autorités françaises car j'ai rencontré le coordonnateur sahraoui chargé des relations avec les familles sahraouies ainsi qu'un membre du bureau de l'Association marocaine des droits humains (AMDH). À cette occasion, le média en ligne le360.ma a publié un article diffamatoire où je suis traitée de chrétienne, épouse de l'égorgeur sahraoui Naâma Asfari.
Ayant compris que la situation n'était pas normalisée, j'ai tenté une nouvelle visite six mois plus tard, en juillet 2019, mais j'ai été expulsée pour la cinquième fois. J'ai contesté cette interdiction d'entrée sur le territoire auprès des tribunaux marocains. Ma requête a été rejetée au motif que je constituais un trouble à l'ordre public et un danger pour la sécurité intérieure et extérieure de l'État. En novembre 2020, la Cour de cassation a définitivement condamné mon mari à trente ans de prison. Quid de mon droit de visite pour les dix-neuf prochaines années ?
Il a été révélé enfin que mon téléphone avait été infecté par le logiciel espion Pegasus, avec 128 connexions entre octobre 2020 et juillet 2021. J'ai compris à cette occasion comment le Maroc avait pu être informé de la tenue de nombreux événements militants ou privés, ce que je ne m'expliquais pas jusqu'alors.
En dépit des obligations qu'elle a envers ses ressortissants, dont je suis, et envers ses résidents, dont mon mari, la France a failli à assurer son rôle de protection. Jamais le consulat de France n'est intervenu pour s'opposer à mes expulsions. La France ne nous soutient pas dans notre combat pour la reconnaissance du caractère politique des prisonniers de Gdeim Izik. En faisant ainsi le jeu du Maroc, la France manifeste son soutien à son égard. Elle se rend complice d'un État qui a été reconnu coupable de torture sur la personne de mon mari en ne demandant pas l'application de cette condamnation et en permettant au Maroc d'exercer des représailles à l'encontre d'une ressortissante française.
Je demande l'application des décisions onusiennes et la libération de tous ces prisonniers détenus arbitrairement depuis onze ans.