En tant qu'avocat du Front Polisario, j'ai eu l'immense honneur de plaider la cause du peuple sahraoui devant la CJUE, au Luxembourg. Nous menons également une action importante devant la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples.
Je voudrais, avant de faire quelques observations très brèves, marquer mon incompréhension totale devant le sort réservé au peuple sahraoui. Ce peuple, qui mène un combat strictement légaliste en faveur du respect du droit international par l'action en justice, fait l'objet d'un ostracisme, d'une répression et d'un déni absolument invraisemblables, quand d'autres, qui empruntent d'autres voies, sont finalement mieux considérés. Demander le respect du droit et s'en remettre aux juges ferait-il donc de nous des ennemis ?
La Cour de justice de l'Union européenne a rendu en 2016 un arrêt d'une grande importance qui a jugé de manière claire et définitive que le Maroc ne dispose d'aucune souveraineté sur le territoire du Sahara occidental. Ce jugement a des répercussions pour les États européens et les entreprises européennes opérant sur ce territoire. Ce jugement est conforme à l'avis rendu par la Cour internationale de justice en 1975. La base juridique est donc solide.
En tant qu'avocat, je sais que notre devoir est de respecter les décisions de justice et qu'un gouvernement a le devoir de les conforter, a fortiori quand il est aussi impliqué que l'est le gouvernement français. En théorie, la France reconnaît l'arrêt de 2016 et l'absence de souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, mentionnée dans l'extension de l'accord d'association entre l'Union européenne et le Maroc, dans telle ou telle disposition, dans les mémoires qui sont déposés devant la Cour. Mais il y a ses déclarations publiques, profondément choquantes et irrespectueuses des décisions de droit, ses démonstrations obscènes d'amitié et de proximité envers le Maroc, le jour même où celui-ci déclare que cette décision de justice n'est que de la propagande, que rien n'a été jugé et qu'il reste souverain sur le Sahara et que la souveraineté marocaine sur le Sahara est de principe.
Je pose donc la question : est-il possible d'attendre du gouvernement français un langage de vérité publique sur le sujet, au bénéfice de tout le monde ? Il ne s'agit plus de rendre la justice dans ce domaine, mais simplement d'appeler au respect de l'arrêt de 2016.
Ma deuxième observation est plus circonstancielle. Quand on parle de frontières, on parle d'échanges, de droits de douane. Il y a une dette douanière. Des entreprises ont profité pendant des dizaines d'années de l'application de facto du principe de la souveraineté du Maroc, auquel la Cour a mis fin par son arrêt de 2016. En conséquence, ces entreprises doivent dédommager le peuple sahraoui. Le calcul est assez simple, les chiffres étant publiés par la Commission européenne : 6,6 millions de bénéfices en plus sont réalisés chaque année par quatre entreprises qui ont leur siège à Perpignan et qui assurent 95 % des importations sur le marché européen. Avec la règle de prescription, cela fait 16,5 millions à récupérer demain.
Pourquoi ne peut-on pas récupérer cet argent, détenu sans aucun fondement juridique ? La dette douanière existe : au nom de quoi décide-t-on de ne pas la recouvrer ?
Ma troisième observation portera sur les exportations agricoles. Le monde entier veut venir sur ce marché : fort bien, mais il y a des conditions à respecter, notamment les normes de commercialisation. Parmi celles-ci, une est particulièrement importante pour les productions agricoles : l'origine des produits. En effet, quand on achète une cafetière ou un appareil photo, il importe peu qu'il ait été fabriqué ici ou là ; mais pour un produit agricole, l'origine compte. Là encore, il faut assurer le respect de l'arrêt de 2016, même si l'extension de l'accord d'association fait encore l'objet d'un contentieux. Les contrôles sont effectués sur place par Morocco Foodex, un établissement public marocain chargé de certifier l'origine des produits en provenance du Sahara occidental. La France va-t-elle continuer longtemps à accepter cette certification par une entreprise marocaine ? À en croire les statistiques d'Eurostat, il n'y a plus aucune importation en provenance du Sahara occidental.
J'ajouterai une dernière observation. Chacune des parties pense qu'elle va gagner ce procès. Nous verrons bien, mais je suis persuadé que nous avons de très bons arguments et qu'une fois de plus, nous gagnerons contre le gouvernement français, contre l'Europe, même si nous aurions préféré une autre issue. Le gouvernement français a-t-il prévu d'agir vis-à-vis des entreprises importatrices, persuadées que tout va bien se passer et qui vont se fracasser sur une décision de justice qui sera définitive ?