Intervention de Jean-Paul Lecoq

Séance en hémicycle du jeudi 6 janvier 2022 à 15h00
Sahara occidental

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq, avocat au barreau de Lyon :

Gardons-nous de nous enfermer dans la litanie selon laquelle les deux territoires sont distincts et séparés, et envisageons plutôt ses conséquences : traitons la question des douanes et de l'origine des produits, autant de contingences juridiques, matérielles et économiques immédiates.

L'arrêt de la CJUE de 2016, auquel il est de plus en plus fait référence – sans qu'il ait toujours été lu –, précise bien que sur ce territoire qui n'est pas marocain et qui ne le sera jamais, sauf si le peuple en décide autrement par référendum, il ne peut y avoir d'activité économique qu'avec le consentement du peuple du Sahara occidental. Je n'exprime pas là le point de vue de l'avocat ou des dirigeants du Front Polisario : je me contente de lire une décision de justice. L'arrêt de 2016 a introduit la décolonisation dans le droit de l'Union européenne ; il est salué à cet égard, et commenté dans toutes les revues. Il implique qu'il ne revient pas à l'Union européenne ou à la France de décider ce qui est bon pour le développement du territoire. Seul le peuple sahraoui peut le faire. D'ailleurs, lorsqu'un visiteur – pourquoi pas un parlementaire – veut se rendre à Laâyoune ou à Dakhla, il n'en demande pas l'autorisation au Front Polisario ! La situation actuelle constitue donc une irrégularité au regard de l'arrêt de la CJUE de 2016, qui revêt une ampleur considérable.

Après 2016 s'est exprimée une volonté de contournement de cette décision. Dès lors que les deux territoires étaient considérés comme distincts, un procédé d'extension de l'accord d'association a été envisagé – le Maroc s'est évidemment bouché les oreilles, car une extension signifiait qu'il n'était pas chez lui. Le Maroc a été conduit, par un accord international, à admettre qu'il n'était pas souverain sur le territoire du Sahara occidental, puisqu'il a signé le traité d'extension avec l'Union européenne. Est-ce de la bonne diplomatie ? Il ne me revient pas d'y répondre. Quoi qu'il en soit, le piège est en train de se refermer. Pour notre part, nous préférerions qu'il n'y ait pas de piège, et que les discussions se poursuivent.

Cette situation a des implications concrètes pour les douanes. C'est ainsi qu'en l'absence de préférences tarifaires, les exportations de produits agricoles du Sahara occidental seraient redevables de 6,6 millions d'euros de droits de douane par an. Les mémoires précisément documentés que nous avons publiés à ce sujet n'ont jamais été mis en cause. Au total, le montant à récupérer équivaudrait à 16,5 millions d'euros. Pourquoi n'est-il pas réclamé ? Des procédures ont-elles été lancées, et des efforts ont-ils été faits ? Le protocole n° 4 de l'accord d'association entre l'Union européenne et le Maroc comporte une clause relative aux questions douanières. Est-il appliqué ? Ce sont autant de questions précises sur lesquelles nous appelons une réaction. Nous pouvons d'ores et déjà annoncer que des syndicats agricoles italiens et espagnols s'apprêtent à intenter de nouveaux procès, tant ils sont écrasés par cette distorsion douanière. Ces procédures nous confortent dans notre lecture stricte de la question de la dette douanière.

J'en viens à une autre conséquence pragmatique de l'arrêt de 2016 : l'étiquetage des produits issus du Sahara occidental. Là encore, nous nous contentons, dans les mémoires que nous déposons à la Cour, de décliner la pratique de l'Union européenne. Vous avez évoqué la Palestine, mais nous pourrions aussi citer Chypre ou la Transnistrie, entre autres exemples, autant de zones d'occupation militaire où se posent des questions territoriales. La France dispose de procédés parfaits pour y répondre. Nous ne demandons ni plus ni moins, pour le Sahara occidental, que l'équivalent de ce qui se pratique avec la Palestine : un étiquetage portant la mention « origine colonie marocaine au Sahara occidental ». Ce n'est pas notre premier cheval de bataille – nous préférerions reprendre la maîtrise –, mais telle est la solution que nous sollicitons dans l'immédiat. Nous demandons également que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) effectue des contrôles, pour traquer cette fraude à l'origine : les consommateurs pensent acheter des produits provenant du Maroc, alors qu'ils viennent du Sahara occidental. Il s'agit bien d'une fraude à l'origine : la loi n'est pas appliquée, et les infractions sont patentes.

En conclusion, nous nourrissons une certaine inquiétude au vu de l'avancée du procès, non pas pour nous-mêmes, mais pour l'État de droit en général. La procédure est en cours, et l'arrêt devrait survenir en 2022 ou 2023. Nous déplorons un manque d'enthousiasme de la part du Conseil de l'Union européenne. Somme toute, la décision politique est transférée au tribunal. Il sera facile d'arguer, ensuite, que tout a été fait – jusqu'à un pourvoi devant la grande chambre de la CJUE –, que la justice a rendu sa décision et qu'il convient de l'appliquer. Ce sera très dur pour le Maroc. Que ce soit très dur pour les dirigeants marocains ne nous traumatise pas outre mesure, mais le peuple sahraoui est très attaché à entretenir des liens amicaux avec le peuple marocain, et souhaite que la situation se résolve par la négociation.

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