Intervention de Philippe Gomès

Séance en hémicycle du jeudi 6 janvier 2022 à 15h00
Avenir institutionnel et politique de la nouvelle-calédonie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomès :

« Je ne crois pas que l'antériorité historique des Canaques sur cette terre suffise à fonder le droit. Histoire contre Histoire : les Calédoniens d'origine européenne ont aussi, par leur labeur, modelé ce sol, se sont nourris de sa substance, y ont enfoncé leurs racines. Les deux communautés face à face n'ont aucune chance d'imposer durablement leur loi, sans l'autre et contre l'autre – sinon par la violence et la violence elle-même atteindra ses limites. » Ainsi s'exprimait François Mitterrand dans sa Lettre à tous les Français, le 7 avril 1988, quelques jours avant le drame d'Ouvéa, où la violence devait effectivement atteindre ses limites.

Notre pays plonge ses racines dans ces cent soixante-dix années marquées par le sang, la sueur et les larmes : ceux des autochtones, « repoussés » pendant toute la période coloniale « aux marges géographiques, économiques et politiques de leur propre pays », comme le rappelle le préambule de l'accord de Nouméa ; ceux des concessionnaires pénaux, déportés et colons libres qui, reconnaît ce même préambule, ont « jeté les bases du développement » du pays ; ceux des travailleurs asiatiques, véritables esclaves au service du capitalisme minier. Ces populations se sont croisées, heurtées, ont combattu ensemble lors des conflits mondiaux ; elles se sont métissées, entremêlant leurs cultures, je le répète, par le sang, la sueur et les larmes – parfois aussi par la spiritualité et la fraternité.

Ainsi s'est constitué le peuple calédonien, un peuple qui porte l'héritage d'une période coloniale dont il faudra continuer à faire mémoire, faite de spoliations pour les Kanaks, d'expiation pour les forçats, de déracinement pour les pionniers, de labeur pour tous ; un peuple qui, tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, s'est enrichi de l'apport des Wallisiens, Futuniens, Tahitiens et métropolitains, notamment lors du boom du nickel. Un peuple qui s'est forgé ses valeurs, « lesquelles prennent leurs racines dans les valeurs universelles et républicaines, dans les valeurs Kanak et océaniennes, dans les valeurs chrétiennes, valeurs qui découlent […] du métissage de nos identités façonnées par des vagues successives de peuplement », selon la jolie formule de la Charte des valeurs calédoniennes ; un peuple qui a toujours « refusé que les versions divergentes de l'avenir se règlent par une partition, géographique ou ethnique », soulignait fort justement devant le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, le 23 février 2016, Gérard Larcher, président du Sénat.

Un peuple mosaïque célébré par la devise de l'Union calédonienne : « Deux couleurs, un seul peuple » ; un peuple constituant « une véritable petite nation au sein de la nation française », pour reprendre les mots justes de Jacques Lafleur, que j'ai fait miens de longue date ; un peuple souverain sur son destin puisqu'il dispose du droit à l'autodétermination, poteau central du processus de décolonisation et d'émancipation engagé ; un peuple qui vit toujours avec la même acuité la question de la souveraineté de la République française sur la terre calédonienne : pour certains, elle les protège, pour d'autres, ils la subissent.

Trois référendums successifs en ont témoigné, dont le dernier qui a connu une fortune différente des deux précédents, puisque les indépendantistes qui ont demandé sa tenue refusèrent au bout du compte d'y participer. C'est ainsi par la petite porte de l'Histoire que s'est achevé le processus engagé en 1988. Mais trois fois non, ça veut dire non, un non qui transforme le lien de souveraineté subi, celui issu de la prise de possession, en un lien de souveraineté choisi, celui issu du suffrage universel.

Toutefois, chacun sait que, si l'arithmétique électorale est un fait politique, elle ne peut constituer à elle seule, dans notre pays, une solution politique.

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