Intervention de Philippe Gomès

Séance en hémicycle du jeudi 6 janvier 2022 à 15h00
Avenir institutionnel et politique de la nouvelle-calédonie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomès :

C'est le consensus en Océanie qui constitue le socle des décisions politiques, à l'instar des accords de Matignon et de Nouméa, consensus local nécessaire pour un consensus national ultérieur, les deux étant intimement liés, d'autant plus qu'aux 97 % de « non » enregistrés lors de la dernière consultation répond en écho le silence assourdissant du « oui ». La consigne de non-participation du FLNKS – Front de libération nationale kanak et socialiste – a été massivement suivie.

L'accord de Nouméa étant constitutionnellement caduc au terme du mandat actuel des assemblées de province en 2024, la porte d'un autre avenir pour notre pays s'offre désormais. Un nouveau consensus transitoire, à l'instar des précédents accords, peut donc être recherché, mais on n'écrira pas sur une page blanche, Matignon et Nouméa n'ayant pas vocation à passer en pertes et profits, comme certains le laissent entendre.

Ce consensus devra notamment respecter le principe d'irréversibilité de l'organisation politique mise en place en 1998, irréversibilité constitutionnellement garantie comme le souligne le préambule de l'accord de Nouméa. Ce nouveau consensus transitoire devra immanquablement prévoir d'autres référendums d'autodétermination, qui continueront de rythmer la vie de notre pays avec leurs conséquences économiques et sociales, avec leurs conséquences aussi sur le destin commun. Ou alors ayons des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue, ou, alors, nous pouvons essayer de construire collectivement une autre voie : parachever le processus de décolonisation engagé et nous libérer des référendums pour ou contre l'indépendance.

L'accès à la souveraineté pleine et entière est refusé par une majorité de Calédoniens mais l'ONU prévoit explicitement que d'autres solutions que l'indépendance sont envisageables pour conclure la démarche de décolonisation, notamment, je cite, « l'approbation par les populations concernées d'un statut politique librement décidé ». En quoi cette nouvelle organisation politique et institutionnelle « librement décidée » pourrait-elle consister ? Pouvons-nous conjuguer la souveraineté et la République au lieu de les opposer ? Pouvons-nous sortir de cette nasse dans laquelle nous sommes aujourd'hui, au terme de ce parcours, en tissant les fils entre le « oui » et le « non » ? Pouvons-nous constitutionnaliser un lien revisité en profondeur avec la France ? C'est la voie que je propose.

À l'époque des GAFAM, les géants du numérique, à celle des famines et des guerres qui parsèment la planète, de l'essor du djihadisme international, de la nouvelle guerre froide avec la Chine, qui a d'ores et déjà fait main basse sur l'arc mélanésien, comment concevoir une souveraineté intelligente et responsable pour un petit pays du Pacifique comme le nôtre ? Comment permettre à la Nouvelle-Calédonie de continuer de s'émanciper et d'aller aux limites extrêmes du récif sans prendre la passe pour s'engager en haute mer ? Parce que la République, c'est comme le récif autour de notre île : elle nous protège.

C'est pourquoi nous devons entendre les attentes des non-indépendantistes qui considèrent que, si la trajectoire d'émancipation doit se poursuivre, elle doit se faire sous la protection de la France, pour que les compétences régaliennes continuent d'être exercées en toute impartialité, même si l'esprit du pays doit davantage les insuffler, pour que chacun ait sa place sans qu'une ethnie domine les autres, pour que notre niveau de vie demeure à un haut standard en matière sanitaire, sociale, éducative, pour que notre économie puisse continuer de prospérer dans un environnement stabilisé.

Choisissons aussi de répondre à l'attente de la moitié du pays pour laquelle l'accession à une forme de souveraineté mettrait un point final à la prise de possession par la France en 1853 de cet archipel, une souveraineté qui restaure leur dignité, une souveraineté comme une nouvelle naissance au monde.

Pouvons-nous sur ces bases construire un consensus définitif pour tous les Calédoniens dans le cadre du référendum de projet prévu par le Gouvernement en juin 2023 ? C'est mon souhait. « Ce petit pays a besoin d'un grand frère, et ce grand frère c'est la France », nous dit un leader indépendantiste. Est-ce ce grand frère que Jacques Chirac envisageait en parlant d'un archipel qui devait inscrire son avenir dans, je cite, « l'adhésion à une communauté plus large, une communauté solidaire » ? Est-ce ce grand frère auquel Emmanuel Macron pensait en affirmant sa préférence pour un « caillou » qui continue d'appartenir « à la communauté nationale » ? Est-ce ce même grand frère que Nicolas Sarkozy dessinait en imaginant « une Nouvelle-Calédonie qui s'épanouisse à l'intérieur de la République dans un vaste espace de liberté » ?

Le droit constitutionnel calédonien s'est déjà engouffré dans ce vaste espace de liberté que la République a su lui offrir avec, comme écrin, la Constitution française. L'accord de Nouméa constitue lui-même une Constitution dans la Constitution, car il déroge à un certain nombre de règles et de principes de valeur constitutionnelle. Il nous appartient d'élargir cet espace constitutionnel calédonien au sein de la Constitution de la République française afin d'y loger cette organisation politique « librement décidée » dont parle l'ONU, un espace constitutionnel calédonien fondé sur un partage de souveraineté avec la France, clé de voûte des nouvelles relations entre nos pays.

« Notre identité est devant nous », disait Jean-Marie Tjibaou. Oui, on peut être une nation sans être un État. Oui, on peut être d'origine kanak, européenne, asiatique ou océanienne tout en étant calédonien, français et citoyen du monde. Oui, on peut être un archipel de la Mélanésie qui se gouverne lui-même, pleinement intégré dans son environnement régional et en même temps protégé par un grand pays, la France, et lié à un vieux continent, l'Europe.

Les indépendantistes ont le devoir de sortir des sentiers battus de la revendication originelle pour permettre aux nouvelles générations de se projeter vers un avenir qui ne soit pas un référendum de plus, un référendum encore. Et les non-indépendantistes ont le devoir de les accompagner sur ce chemin. L'État devra prendre toute sa place dans ce processus majeur pour l'avenir des relations entre la France et la Nouvelle-Calédonie. Collectivement, nous devons faire honneur à nos anciens qui nous ont laissé bien plus qu'une histoire en héritage : l'espoir d'une Nouvelle-Calédonie rassemblée et apaisée.

Pour moi, il n'y a pas une Nouvelle-Calédonie indépendantiste et une Nouvelle-Calédonie non indépendantiste. Il n'y a pas une Nouvelle-Calédonie noire et une Nouvelle-Calédonie blanche. Il y a un pays qu'on aime, parfois bien, parfois trop, parfois mal, un pays dont la terre coule dans nos veines, un pays à qui on appartient plus qu'il ne nous appartient, un pays qui nous oblige à conjuguer nos deux rêves pour une même terre.

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