Intervention de Sébastien Lecornu

Séance en hémicycle du jeudi 6 janvier 2022 à 15h00
Avenir institutionnel et politique de la nouvelle-calédonie

Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer :

Tout d'abord, je voudrais remercier le groupe UDI et indépendants, notamment les députés Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, d'avoir suscité ce débat dans l'hémicycle.

La consultation du 12 décembre 2021, troisième et dernière consultation prévue par l'accord de Nouméa, s'est déroulée de manière satisfaisante qu'il s'agisse de l'organisation ou de l'ordre public, grâce au sens de responsabilité des partis politiques loyalistes et indépendantistes.

Il faut ici saluer non seulement l'action des services de l'État, des forces de l'ordre, de la commission de contrôle et des observateurs internationaux, mais aussi, comme l'a rappelé Guillaume Vuilletet, l'engagement des maires de Nouvelle-Calédonie, quelle que soit leur sensibilité politique, et de leurs équipes.

À ce moment charnière de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, permettez-moi de faire un constat, de dresser un bilan et de proposer quelques pistes pour l'avenir.

Faisons d'abord un bref rappel historique. Les accords de Matignon-Oudinot de 1988 et l'accord de Nouméa de 1998 ont permis de faire la paix en Nouvelle-Calédonie. Cette perspective de stabilité reste la priorité absolue. Nous l'avons rappelé : la paix n'est pas négociable.

L'accord de Nouméa ne prévoyait pas seulement des référendums. Il comportait également des enjeux de rééquilibrage géographique, la reconnaissance de la culture kanak et de la coutume, la création ou la confirmation d'institutions, les fondements de la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie – car celle-ci est désormais reconnue par notre République – et des outils permettant d'arriver à l'autodétermination, l'un des grands principes posés par les accords de Matignon de 1988, même si certains font mine de le découvrir. À cet égard, je remercie le président Mélenchon d'avoir rappelé dans la plus grande des clartés ce principe acquis en 1988.

Le processus s'est déroulé sous le regard des Nations unies, puis l'accord de Nouméa est venu valider l'organisation de trois consultations, ou plutôt d'une consultation suivie de deux autres – soyons précis.

La première pouvait être déclenchée à la demande des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Si personne ne la demandait, au bout de vingt ans, l'État devait l'organiser lui-même. C'est ce qui s'est produit au début du quinquennat, en 2018, sur la base d'une liste électorale spéciale – il s'agissait en quelque sorte d'un corps électoral gelé. Le principe en avait été validé par une révision constitutionnelle à la fin du second mandat de Jacques Chirac.

Une deuxième consultation pouvait – et non pas devait – avoir lieu au plus tard deux ans après la première si un tiers des membres du Congrès en faisaient la demande après une période de six mois. C'est ce qui a mené à l'organisation de la deuxième consultation en octobre 2020.

Quant à la troisième, elle a été demandée dès que possible par les indépendantistes, c'est-à-dire dès le début d'avril 2021.

Chaque scrutin montre à sa manière un corps électoral profondément divisé, clivé en deux. J'y reviendrai car il n'était pas dans l'esprit des signataires des accords d'aboutir à cette situation de clivage, il faut le reconnaître collectivement avec beaucoup d'humilité.

J'en viens au constat. La Nouvelle-Calédonie de 2021 n'a plus rien de comparable à celle des années 1980 et 1990, au temps de la signature des accords de Matignon puis de Nouméa, temps dans lequel trop d'observateurs parisiens ont tendance à l'enfermer.

Au plan régional, le Pacifique Sud est devenu un terrain de rivalité entre les États-Unis et la Chine, qui s'engagent dans une course d'influence auprès des pays de la zone, comme l'a rappelé Philippe Gomès. La scission du Forum des îles du Pacifique, la crise diplomatique liée aux sous-marins australiens en sont des répercussions, tout comme les événements qui se sont produits au cours des dernières semaines dans les îles Salomon – ils sont déterminants même s'ils sont moins perceptibles et moins commentés à Paris.

Au plan local, l'incertitude institutionnelle pèse sur le développement de l'archipel. Cette réalité s'est traduite très concrètement, ces derniers mois, dans l'accumulation des difficultés budgétaires et industrielles, qui ont appelé un effort massif de la solidarité nationale. Pour la première fois depuis 1983, le solde migratoire est négatif, un point qui n'a pas été suffisamment commenté.

La crise sanitaire a révélé des fragilités à la suite de la vague qui a frappé le Caillou début septembre. Je m'incline ici devant la mémoire des victimes du covid-19. Le taux d'incidence a malheureusement recommencé à grimper depuis quelques jours, ce qui doit nous inciter à être collectivement vigilants. Rappelons que la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie ont la compétence « santé » dans le cadre de leur autonomie.

Enfin, la société a changé. Quelque 44 % des Calédoniens ont moins de 30 ans. Nous devons écouter cette jeunesse qui aspire à la paix et à un modèle de croissance plus juste et plus respectueux de la nature. Nous devons lui offrir un avenir serein dans le respect des cultures de chacun.

Venons-en au bilan de ce que ce quinquennat a permis de réaliser dans ce moment singulier. C'est l'honneur de l'État, en particulier de cette XVe législature et de ce quinquennat, d'avoir mené le processus à son terme dans le respect de la parole donnée, en s'attachant à offrir de la visibilité aux acteurs calédoniens et à éclaircir les trop nombreux aspects du processus qui étaient, hélas, restés dans le flou depuis des années pour des raisons assez diverses.

La visibilité concerne les conséquences du « oui » et du « non » à la question posée, monsieur Brotherson. Pendant vingt-trois ans, on s'est légitimement interrogé sur la constitution du corps électoral, la date de la consultation, la question à poser. Curieusement, on ne s'est jamais posé la question du contenu et des conséquences. En vingt-trois ans, aucun travail n'avait été fait au Gouvernement ni au Parlement sur les conséquences, pourtant majeures, de ce choix.

Un travail interministériel inédit a donc été mené. Le document détaillait les effets intangibles d'une victoire du « oui », tout comme ceux qui résulteraient d'une victoire du « non ».

La séquence de travail, effectuée à Paris en mai et juin derniers sous l'égide de tous les ministères concernés, a permis de discuter les implications du « oui » et du « non » avec les parties présentes, indépendantistes et non indépendantistes : binationalité, traités commerciaux, adossement du franc pacifique à l'euro. Elle a permis d'aborder des sujets complexes qui n'avaient parfois jamais été soulevés mais qui pouvaient créer de l'angoisse chez nos concitoyens. Nous leur devions des réponses loin du binaire « oui » ou « non » dans lequel nous nous étions enfermés.

Pour la première fois aussi, les tenants du « oui » ont accepté de travailler dans la perspective du « non » et inversement. Cela n'a peut-être pas été suffisamment souligné.

Cette étape fut sûrement la première de la construction intellectuelle d'une articulation, chère à Philippe Gomès, entre un « oui » sec – dont, au fond, plus personne ne veut désormais, ce qui est d'ailleurs nouveau –, et un « non » sec, une forme de statu quo dont plus personne ne veut non plus. Si nous voulons fixer le cap à suivre pour les années qui sont devant nous, appuyons-nous sur cette avancée et rappelons-nous que, parmi les quatre grands scénarios initialement envisagés, les plus extrêmes ont été repoussés. Nous sommes donc appelés à travailler dans le cadre de la réflexion menée par d'éminents constitutionnalistes.

Nous avons aussi apporté de la visibilité sur le calendrier de la dernière consultation, donc de la fin de l'accord et de son lendemain, ce qui explique en partie le choix de la date du 12 décembre et son maintien. La consultation en tant que telle, d'abord, a été organisée à la demande des élus indépendantistes du Congrès de la Nouvelle-Calédonie en avril 2021, aussitôt que l'accord de Nouméa le permettait. Maintenant que le cycle électoral est terminé, je peux vous le confesser : je ne pensais pas que les formations politiques indépendantistes la demanderaient aussi vite. Comme je l'ai expliqué précédemment, ce scrutin était facultatif : il était loisible aux élus de le demander – leur volonté de le faire était un secret de polichinelle –, mais aussi d'attendre un peu.

La date a été fixée par l'État, conformément à l'accord de Nouméa, à la suite des échanges qui se sont tenus à Paris en mai et juin. Ces échanges s'inscrivaient d'ailleurs dans un calendrier plus global de fin d'accord qui n'existait pas jusqu'alors. La date ainsi définie a ensuite reçu un avis favorable du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Les accords de Nouméa prévoyaient, de manière quelque peu énigmatique, qu'en cas de troisième « non », les différentes parties se réuniraient pour examiner les effets ainsi créés. Vous conviendrez du caractère un peu flou de cette disposition, qui invite en tout cas, d'une certaine façon, les uns et les autres à prendre leurs responsabilités le moment venu. Ce que nous avons cherché à faire au cours de nos débats à Paris, ce n'est donc pas tant à fixer la date du 12 décembre qu'à commencer à nous accorder sur ce qu'il adviendrait le jour d'après, tout simplement parce que c'est ce que la population calédonienne demandait.

Ce qu'il s'est passé depuis, nous le savons : la Nouvelle-Calédonie a connu en septembre une grande vague épidémique. Le Caillou n'y avait pas été accoutumé jusqu'alors, car la Nouvelle-Calédonie fut longtemps covid free – pour parler en bon français. L'hypothèse d'un report, alors que la campagne avait pourtant commencé pour les deux parties – là aussi, c'est un fait indéniable –, soulevée par les formations politiques indépendantistes et longuement discutée lors de ma visite sur place en octobre dernier, a suscité une opposition particulièrement forte des formations politiques autonomistes. Il n'y avait donc pas de consensus politique pour modifier la date retenue.

Dès lors, seules des circonstances sanitaires objectivement constatées auraient pu conduire à reporter la consultation. Cela n'a pas été le cas, puisque le pic épidémique a été atteint le 20 septembre dernier et que le taux d'incidence n'était plus que de quarante-cinq cas pour 100 000 habitants le jour du scrutin. Je rappelle, pour mémoire, que le Conseil d'État, saisi quelques jours avant le vote, a estimé que les conditions étaient pleinement réunies pour que chacun puisse faire campagne et voter librement.

Les résultats du scrutin du 12 décembre confirment les conclusions qui s'imposaient déjà au soir des scrutins de 2018 et 2020 : au terme de trente-trois ans sous le régime des accords de Matignon et de Nouméa, l'indépendance, par trois fois proposée, n'est pas le souhait de la majorité des Calédoniens inscrits sur la liste électorale spéciale. Néanmoins, l'esprit des accords – convoqué et rappelé par le président Mélenchon – et les résultats clivés font que le « destin commun » reste, en premier lieu et toujours, notre défi.

Aussi devons-nous, selon la formule de la coutume reprise par le Président de la République, accueillir ces résultats avec « humilité et respect ». Avec humilité, car il nous faudra du temps pour prendre la juste mesure de l'abstention massive des partisans de l'indépendance : leur silence a un sens. Les partisans de l'indépendance, en tout cas, en ont fait leur moyen d'expression. Chacun doit l'entendre. Respect, ensuite, pour la parole donnée dans le cadre de l'accord de Nouméa, qui nous conduit à constater le refus, trois fois confirmé, de l'indépendance, ainsi qu'un clivage marqué, au sein d'un corps électoral dont chacun reconnaît désormais le caractère non consensuel.

La Nouvelle-Calédonie entre dans une période de transition. Les prochains mois seront donc déterminants pour construire l'avenir, dans le dialogue : il s'agit d'imaginer l'après-consultation. Trois étapes se dessinent devant nous.

Nous devrons d'abord faire face à plusieurs urgences, dès le premier semestre de 2022. Vous me pardonnerez donc de vous entretenir de ces questions, qui concernent la fin du quinquennat et de cette législature et, à ce titre, relèvent de notre responsabilité. Tout d'abord, je l'ai dit, la crise sanitaire nous rattrapera très vite. La question de la robustesse du système et de la permanence des soins sur le territoire se posera donc de nouveau – tout comme en Polynésie française, d'ailleurs.

Le nickel, qui n'a pas été évoqué une seule fois durant la discussion générale ,

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