Intervention de Dimitri Houbron

Séance en hémicycle du vendredi 7 janvier 2022 à 9h00
Application de la loi améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDimitri Houbron :

En premier lieu, je tiens à vous faire part de la fierté que j'ai ressentie en ma qualité de rapporteur de cette proposition de loi améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale. L'élaboration et l'adoption de ce texte auraient été impossibles sans le soutien du garde des sceaux, de mon groupe, Agir ensemble, des membres de la commission des lois et d'une très large majorité des parlementaires. Toutes et tous, je voulais vous remercier.

Avant d'aborder en détail les dispositifs contenus dans cette loi promulguée le 8 avril 2021, il convient d'évoquer sa genèse et ses fondements, afin d'en mesurer les bienfaits et d'établir une grille de lecture permettant d'évaluer son efficacité.

Avec le recul, nous pouvons affirmer sans caricaturer que cette loi constitue l'une des composantes de la série de réformes engagée pour renforcer la confiance dans la justice. En effet, avant la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire et l'organisation des états généraux de la justice, cette proposition de loi a contribué à répondre à l'une des priorités de cette fin de quinquennat, à savoir la lutte contre les incivilités du quotidien.

Le groupe Agir ensemble et la Chancellerie ont travaillé de concert pour mettre sur pied un texte de nature à améliorer le traitement de ce que l'on peut appeler vulgairement la petite délinquance, pour laquelle, le plus souvent, les tribunaux ne disposent pas d'assez de temps. La difficulté structurelle à produire rapidement une réponse pénale à ces délits donne le sentiment que les auteurs des faits restent impunis, alors qu'ils commettent des incivilités qui pourrissent le quotidien des Français. Ce sont de petits actes qui, à terme, fragilisent l'esprit de « vivre ensemble » au sein d'un quartier ou d'une commune : je pense entre autres à la dégradation d'un abribus, à l'inscription de graffitis sur les locaux d'une médiathèque, ou encore aux vols de vélos mis à la disposition du public par la collectivité.

Lorsque notre groupe politique et le Gouvernement ont amorcé ces travaux communs, les urgences étaient ailleurs. Le contexte était celui de la crise sanitaire et les ministères régaliens étaient incités à porter le fer contre le terrorisme et à accorder une attention singulière à la répression des atteintes contre les maires, les policiers et les gendarmes. Nous tenions néanmoins à ce que le retissage de la confiance dans la justice soit une priorité, car le tissu judiciaire des territoires, au même titre que les services publics, contribue à sauvegarder la cohésion sociale, notamment en période de troubles.

À cet égard, rappelons que nous avons récemment adopté des textes contribuant au développement des audiences dans les lieux d'accès au droit, avec un maillage plus fin des territoires, et à l'élargissement du périmètre d'intervention des délégués du procureur de la République.

Face aux conséquences sociales et sociétales de la réponse tardive, voire de l'absence de réponse pénale aux actes de délinquance du quotidien, à savoir la dégradation de la crédibilité, voire de la légitimité de notre institution judiciaire, nous avons établi un diagnostic qui constitue la raison d'être de cette proposition de loi. Vous me répondrez que ce diagnostic était connu de tous. Cependant, aucune parade juridique n'avait été trouvée pour remédier à ce fléau.

Contrairement à ce qui pouvait être proposé auparavant, et même si ces idées semblent refleurir à l'aube des échéances électorales, l'accent doit bien être mis sur l'effectivité des peines et non sur leur sévérité. Dit autrement, il ne s'agit pas de considérer que la justice est laxiste, ce qui est faux, mais qu'elle n'apporte pas toujours une réponse pénale rapide et efficace. C'est ce défaut d'efficacité et cette incapacité à limiter la récidive qui entraînent ce sentiment d'impunité des auteurs et font croire, à terme, que la justice reste les bras ballants.

Pourquoi cette lenteur ? Parce que les tribunaux sont engorgés et ne disposent que de peu de temps pour s'occuper des délits mineurs, qui se retrouvent en bas de la pile de dossiers. Et parce que – nous oublions souvent de le dire – les procédures pour traiter ce type de dossiers sont souvent trop lourdes, alors qu'elles peuvent être évacuées – en attestent les expérimentations locales menées par les procureurs de la République de Dax et de Rouen.

La proposition de loi a ainsi cherché à redonner ses lettres de noblesse aux alternatives aux poursuites, d'une part parce qu'elles sont les vecteurs d'une réponse pénale certaine et rapide aux petits délits du quotidien, et d'autre part parce qu'elles contribuent à désengorger les tribunaux et permettent aux magistrats de se recentrer sur leur office.

Les alternatives aux poursuites ont aussi l'avantage majeur de donner la possibilité de sanctionner sans succomber à la tentation d'une fausse bonne solution que sont les courtes peines. Celles-ci, nous le savons, sont désocialisantes et criminogènes. La loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019 poursuivait du reste déjà cet objectif à travers la réforme du régime des peines. Pour le dire clairement, nous nous sommes particulièrement attaqués à ces courtes peines, qui sont tout bonnement inutiles et génératrices de précarité et de récidive. Pour ce faire, nous avons tenu à redorer le blason du travail d'intérêt général, en ce qu'il place la responsabilité individuelle au centre de la démarche.

En définitive, la proposition de loi améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale avait pour objectif de briser le cercle vicieux de l'autoreproduction de la petite délinquance due à une récidive générée par des peines appliquées trop tardivement – phénomène alimentant ce fameux sentiment d'impunité des auteurs et d'inefficacité de notre institution judiciaire.

Aux côtés du ministère de la justice, le groupe Agir ensemble a donc défendu ce texte qui s'appuie sur deux axes majeurs pour modifier notre procédure : d'une part, l'élargissement du spectre des mesures pouvant être prononcées comme alternatives aux poursuites, et d'autre part, la facilitation du recours au travail d'intérêt général en tant que peine.

S'agissant des alternatives aux poursuites ou, selon le jargon des procureurs, du « classement sous condition », elles constituent la troisième voie pénale entre les poursuites et le classement sans suite, et représentaient en 2019 46,5 % de la réponse pénale. Elles permettent au délinquant, dont le casier judiciaire est en général vierge, et sous réserve qu'il reconnaisse les faits et respecte les mesures prononcées par le procureur, de voir son dossier classé sans suite et son casier rester vierge.

Certains qualifient trivialement cette alternative aux poursuites de « joker » donné par le ministère public au petit délinquant. Gardons néanmoins à l'esprit que ce joker n'est pas gratuit, le délinquant devant se plier à des obligations pour en bénéficier et s'exposant à des poursuites pénales classiques s'il ne le fait pas.

La proposition de loi a complété les alternatives aux poursuites existantes par des mesures complémentaires. Ainsi, le procureur de la République ou son délégué peut désormais demander au délinquant de ne pas rencontrer la victime, ni ses coauteurs ou complices, cette interdiction étant inscrite au fichier des personnes recherchées. Il peut également lui être demandé d'offrir réparation à la victime ou à toute autre personne ayant eu à engager des frais, comme une collectivité territoriale. L'auteur des faits peut également avoir à restituer les objets volés, remettre en état les lieux ou les objets dégradés, ou payer pour leur réparation. Il peut avoir à restituer aux autorités compétentes ou à une personne morale à but non lucratif la chose qui a servi ou qui était destinée à commettre l'infraction. Il peut enfin avoir à verser une « contribution citoyenne » à une association agréée d'aide aux victimes. Plafonnée à 3 000 euros, cette contribution financière n'est pas une amende pénale et doit constituer une sanction adaptée aux incivilités commises : elle est déjà mise en application dans le département du Nord.

Lors de l'examen de la proposition de loi à l'Assemblée nationale, vous avez également introduit par voie d'amendement, mes chers collègues, la possibilité pour le parquet de demander au délinquant de répondre à une convocation du maire afin de conclure une transaction lorsque les biens de la commune sont concernés. Cette mesure est très importante et je vous engage à la relayer auprès des maires de vos circonscriptions.

En effet, les maires éprouvaient des difficultés à appliquer l'article 44-1 du code de procédure pénale, relatif à cette transaction, car ils ne sont pas nécessairement informés des suites des enquêtes. Ils ne pouvaient donc pas toujours recourir à cette disposition, alors qu'eux seuls en avaient la possibilité. Grâce au dispositif que vous avez introduit, le procureur de la République pourra désormais, après avis du maire, initier cette procédure. Si l'auteur des faits ne se présente pas à la convocation du maire ou si aucun accord n'est trouvé avec lui, le maire pourra en informer le procureur de la République. Vous constatez donc que cette loi est proche du terrain, fait confiance aux élus locaux et replace la justice au contact du citoyen.

En ce qui concerne le travail d'intérêt général (TIG), il s'agit, comme vous le savez, d'une sanction pénale infligée à celui qui a commis une infraction. Concrètement, le délinquant doit travailler gratuitement, pendant une durée fixée par le juge, pour le compte d'un organisme public – une préfecture, un hôpital –, d'un organisme privé chargé d'une mission de service public – par exemple une régie de transport public –, d'une collectivité locale ou d'une association habilitée – par exemple une association d'insertion sociale.

Nous nous sommes concentrés sur le TIG, car il s'agit d'une mesure efficace, plébiscitée par les magistrats. Comme je l'ai souligné précédemment, ce dispositif participe à la réinsertion de l'individu, en lui donnant un rôle social qui doit être encouragé.

La proposition de loi a ainsi permis au juge d'application des peines (JAP) de s'affranchir des procédures lourdes qui ralentissaient le recours aux TIG. Dans un but de simplification et de clarification des compétences des acteurs, le texte confie aux fonctionnaires de la direction du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) le soin d'établir la liste des TIG dans le département et de contrôler leur exécution. Le JAP, qui détenait jusqu'ici cette compétence, conservera la possibilité d'intervenir dans la décision d'affecter un condamné à un TIG en particulier.

Les alternatives aux poursuites et les travaux d'intérêt général faisaient partie de notre arsenal juridique bien avant l'adoption de la proposition de loi, nous en sommes d'accord. Cela étant, le sens de ce texte était de donner aux magistrats les moyens de mettre réellement ces outils en mouvement. Par exemple, nous avons opéré un ajustement procédural qui permettra de fluidifier considérablement l'articulation entre le prononcé de la sanction et l'accomplissement effectif des TIG.

La loi améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale porte également sur deux autres points sur lesquels il convient de se pencher : l'élargissement aux contraventions de cinquième classe du dispositif d'amende forfaitaire, qui permet un recouvrement effectif des amendes, et le renforcement de la composition pénale.

L'examen du texte au palais du Luxembourg a également conféré à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) la possibilité de mettre les biens immobiliers saisis ou confisqués dans le cadre d'une procédure pénale à la disposition du secteur associatif ou des organismes concourant à la politique du logement. Ce dispositif a d'ailleurs fait l'objet d'un décret d'application, lequel définit la procédure de passation des contrats de mise à disposition, qui intervient après publicité et concurrence, et les formes qu'ils peuvent prendre.

Sachez, mes chers collègues, que cette proposition de loi a fait l'objet d'une vingtaine d'auditions et de plusieurs tables rondes réunissant une grande diversité d'interlocuteurs. Tous ont salué avec enthousiasme les mesures que nous avons défendues et que j'ai détaillées.

En guise de conclusion, je tiens une nouvelle fois à vous remercier d'avoir rendu cette loi possible et de l'avoir votée. Je vous engage également à nouveau à faire ce que l'on appelle communément le SAV – service après-vente – de ce texte auprès du tissu juridique et judiciaire de vos circonscriptions ainsi que, bien sûr, des élus.

Un jour, un maire m'a raconté de façon ironique, mais assez révélatrice, que même s'il parvenait à trouver un travail, un logement ou une place de parking à un administré, celui-ci serait toujours insatisfait, car le maire et sa police n'ont pas mis la main sur celui qui avait incendié sa poubelle. Plus que jamais, dans ces circonstances troubles, soyons aux côtés des forces vives de notre territoire et de nos représentants de l'autorité judiciaire.

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