J'ai bien compris que l'enjeu de notre discussion n'était pas seulement d'assurer le service après-vente de la proposition de loi, mais aussi d'obtenir un premier retour de la part du garde des sceaux. Mes interrogations sont sensiblement les mêmes qu'au moment de son examen ; j'attendrai donc moi aussi les réponses du Gouvernement, avant que nous posions des questions qui seront sans doute plus précises. En préambule, je souhaite rappeler les questionnements qui sont les nôtres.
La justice de proximité ne saurait être considérée uniquement dans sa dimension pénale, puisqu'elle est pour l'essentiel une justice civile. Mais c'est sur la dimension pénale que je me concentre aujourd'hui. Tout d'abord, qu'en est-il de la formation des délégués du procureur, qui ont été pensés comme la cheville ouvrière de la proposition de loi ? On en a recruté davantage, mais on sait que le vivier n'est pas très vaste. Y a-t-il eu une modification substantielle de cette formation, notamment à l'intention des délégués du procureur qui ne sont ni d'anciens magistrats ni des professionnels issus de la filière judiciaire ? Le manque de magistrats, notamment au parquet, a mobilisé les magistrats eux-mêmes à la mi-décembre. Il y a une limite à l'exercice : tant que le nombre de magistrats n'aura pas été multiplié par deux, nous serons confrontés aux mêmes difficultés d'organisation de l'institution judiciaire.
Les amendes forfaitaires ont fait l'objet de modifications substantielles depuis le vote de la loi. Jusqu'à présent, il était prévu la possibilité de relancer les poursuites dès la deuxième amende forfaitaire délictuelle ; il fallait donc tenir un fichier des personnes ayant reçu une amende avant d'en prononcer une deuxième. Or le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a introduit une disposition supprimant la nécessité de considérer la reprise des poursuites, de telle sorte qu'un policier peut désormais, de sa propre initiative, infliger à une personne autant d'amendes forfaitaires qu'il le souhaite. Je ne sais pas si nous disposons d'éléments, tant cette décision est récente, mais elle me semble s'écarter de la philosophie première du texte. L'objectif n'est plus d'avoir moins de poursuites judiciaires, mais de ne plus en avoir du tout ! Cela pose d'autres questions, et notamment celle du rôle répressif, immédiat et direct laissé aux mains des seuls policiers.
Si l'on fait l'analyse des textes récents, depuis la loi de programmation pour 2018-2022, l'intention générale était de diminuer les courtes peines d'incarcération et d'éviter les comparutions immédiates surchargées, qui ne permettent pas une bonne justice. Quatre ans et demi plus tard, le bilan n'est pas très bon. Il est même plutôt mauvais. Un des points évoqués dans la tribune des magistrats portait sur les audiences de nuit en comparution immédiate : en effet, si plus de pouvoirs sont mis entre les mains du parquet avec les procédures alternatives aux poursuites, celles-ci n'ont pas pour effet de réduire le volume de dossiers traités.
En prévoyant d'éviter les peines de moins de six mois, la loi de programmation a eu deux effets. Premièrement, le nombre de courtes peines a moins diminué qu'on ne l'imagine, car il faut des garanties, et notamment celle d'avoir un logement ; or de nombreux auteurs d'infractions n'ont pas cette garantie de stabilité géographique. Deuxièmement, les dernières études du service statistique du ministère de la justice montrent une augmentation de la durée des peines. Nous avions pointé du doigt, à l'époque, le risque d'un probable effet de seuil : si l'on ne peut pas prononcer une peine de six mois, elle sera de six mois et demi, sept ou huit mois. C'est ce qui est en train de se passer, et bien que les prisons aient été en grande partie vidées lors de la première vague du covid-19, nous sommes quasiment revenus au niveau initial, puisque nous avons franchi la barre des 70 000 détenus. J'ai l'impression que chaque fois que l'on donne des pouvoirs supplémentaires au parquet sans modifier le code pénal, le champ pénal ne fait que s'élargir, c'est-à-dire que le nombre de personnes mises en cause par la justice augmente sans être accompagné d'une diminution des délits.
Enfin, j'aimerais avoir quelques éléments concernant la possibilité de faire bénéficier les associations du produit des confiscations consécutives aux infractions, notamment dans le cas des systèmes mafieux. A-t-on déjà des exemples de cas où cette mesure a été appliquée ? Je sais que sa mise en œuvre n'est pas évidente.