Je salue l'initiative du groupe Socialistes et apparentés d'avoir inscrit cette discussion à l'ordre du jour de notre assemblée. Elle nous donne l'occasion de faire le point sur l'évaluation des politiques de prévention en santé publique.
Disons-le franchement, malgré les efforts entrepris depuis 2017, la révolution de la prévention que l'on nous avait annoncée n'a pas eu lieu. Elle n'est évidemment pas chose aisée. Depuis le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2003, différents travaux ont souligné les difficultés de gouvernance, de pilotage, de financement et d'évaluation de la politique de prévention. Ces difficultés ne datent donc pas d'hier. Au problème structurel s'ajoutent des constats que nous connaissons bien, mais qu'il est toujours bon de rappeler.
La population française est vieillissante. L'espérance de vie en bonne santé de nos concitoyens est de dix ans inférieure à celle de nos voisins européens, en particulier les Suédois – dix ans ! Les maladies infectieuses ont été remplacées par un nombre grandissant de pathologies chroniques et les inégalités sociales et territoriales en matière de santé ont été mises en évidence par la crise sanitaire. La révolution de la prévention implique de bouleverser certaines logiques. Le temps qui m'est imparti pour cette intervention étant inversement proportionnel à l'étendue du sujet, je me limiterai à trois défis importants.
Le premier est la nécessité de renforcer résolument notre action en matière de prévention primaire, laquelle constitue un levier puissant de réduction des inégalités sociales et territoriales en matière de santé. Tel est précisément l'objet du plan national de santé publique, mais je regrette que le comité interministériel qui le pilote ne se soit pas réuni depuis 2019. Nous avons certes affronté depuis une grave crise sanitaire, mais celle-ci aurait justement pu faire l'objet d'une réunion de ce comité.
La prévention primaire implique d'agir plus résolument sur l'environnement et les comportements, notamment par la réglementation de certains produits, l'amélioration de l'information et de la promotion de la santé et la politique fiscale. Ces sujets sont évoqués par la Cour des comptes, dont je partage les constats et les préconisations. Je veux cependant insister sur le fait que les comportements favorables à la santé se construisent dès l'enfance. Nous devons donc rendre bien plus efficaces et robustes les services collectifs de prévention et d'éducation en matière de santé, aujourd'hui éparpillés autour d'une multitude d'actions sans cohérence d'ensemble.
En ce qui concerne l'activité physique, nous avons proposé, avec Régis Juanico, de l'intégrer dans les savoirs fondamentaux. De la même manière que nous ne concevons pas une journée scolaire sans déjeuner à la cantine, nous ne pouvons plus concevoir une journée au cours de laquelle les élèves resteraient assis derrière leur bureau des heures d'affilée. Le premier défi est donc de changer de logique en considérant la prévention dès le plus jeune âge, non plus comme une politique utile bien qu'accessoire, mais comme un axe fondamental. Un tel changement affectera positivement le comportement des jeunes à l'égard de leur santé, mais aussi leur réussite scolaire.
Le deuxième défi que nous devons relever est le dépassement du tout curatif dans la construction de notre système de santé. Il existe une contradiction entre l'intérêt de la société de s'assurer que chacun est en bonne santé et l'intérêt de notre système de santé de multiplier toujours plus le nombre d'actes et donc le nombre de malades. Il faut développer la culture de santé publique, qui n'a pas encore pleinement fait son entrée dans la formation initiale et continue des professionnels.
Nous avons constaté, avec Régis Juanico, les lacunes de la formation des médecins dans le domaine de l'activité physique et leur difficulté à prescrire une activité physique adaptée. Nous proposons de valoriser cette prescription, qui constitue une thérapeutique à part entière, et de mieux structurer les maisons sport-santé, qui ont tant de mal à se développer. Si nous parvenons à relever ce deuxième défi, au-delà des bénéfices pour la santé des Français, ce sont bien des économies qui seront à la clé pour notre système de santé.
Le troisième défi est le pilotage des politiques de prévention en santé publique et leur portage politique. En ce qui concerne le pilotage, nous constatons l'interminable répétition des plans thématiques, de qualités diverses – il y en a eu 51 entre 2003 et 2013. Nous proposons, quant à nous, la création d'un document unique permettant d'établir des priorités dans les objectifs de santé publique et de définir un calendrier de mise en œuvre et une évaluation. Chaque objectif devra être adossé à une organisation. Le problème, à nos yeux, n'est pas tant la « coordination des acteurs » – nous avons trop entendu ces mots, que je ne supporte plus ! – que la clarification du rôle de chacun.
Quant au portage politique, la prévention est une politique transversale, qui concerne autant le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, le ministère chargé des transports, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, le ministère de la transition écologique et le ministère chargé de l'industrie. Chacun d'eux a ses priorités, parmi lesquelles ne figure pas nécessairement la prévention en matière de santé. Pour mener la révolution de la prévention, nous proposons la création d'un ministère délégué chargé de la prévention, auprès du ministre des solidarités et de la santé. Nous disposerions ainsi d'une autorité politique chargée de veiller à la déclinaison des politiques de prévention en santé publique.
En conclusion, dans cette période de crise que nous traversons, nous souhaitons évidemment que le système de santé tienne et que nous puissions renforcer l'accès aux soins. Néanmoins, pour préserver notre système de santé, nous devons aussi nous assurer que les personnes ne sont pas malades. Tel est le sens de la politique volontariste et structurée de prévention que nous appelons de nos vœux.