Au crépuscule de sa vie, Jean Monnet écrivait dans ses mémoires : « L'Europe se fera dans les crises, et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». C'est dire, alors que nous assistons à tant de tragédies liées aux migrations, à quel point nous appelons de nos vœux cette leçon de l'histoire. Au groupe Démocrates, nous prônons une stratégie européenne globale sur la question des migrations qui, n'en déplaise à certains, constituent un enjeu majeur qui appelle des réponses autrement plus fines et complexes que ce que certains débats pourraient laisser à penser.
Notre défi, que d'aucuns qualifieront de civilisationnel, tient dans l'approche commune et globale qui doit permettre d'aborder le phénomène migratoire né des bouleversements géopolitiques, économiques et climatiques du monde. Cette approche doit d'abord s'inscrire dans un projet humaniste, et dans le respect de nos valeurs et engagements internationaux, qu'il s'agisse de l'indispensable préservation du droit d'asile ou du renforcement de l'accès aux droits.
Notre action doit à la fois reposer sur l'aide aux pays de départ, sans quoi rien ne sera possible car il faut rappeler que personne ne quitte son pays par plaisir, et sur la mise en œuvre des décisions prises, exigence tant pour les personnes accueillies que pour celles que nous ne pouvons accueillir. L'efficacité dans l'action est un prérequis de l'humanité dont nous devons faire preuve.
Vision stratégique européenne, action diplomatique et de développement de long terme pour garantir et pérenniser le droit d'asile et nouer un nouveau partenariat entre l'Union européenne et l'Union africaine : voilà déjà ce que Marielle de Sarnez appelait de ses vœux dans l'avis qu'elle avait rédigé au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif. Cette vision est aussi celle tracée par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne, en 2017. C'est pourquoi, alors que s'ouvre la présidence française du Conseil de l'Union européenne, notre diplomatie est particulièrement attendue.
Les tragédies qui ont marqué l'actualité depuis 2015 n'ont pas grandi l'Union européenne. Lorsque la réponse au « Wir schaffen das ! » – nous y arriverons ! – d'Angela Merkel fut la fermeture de la route des Balkans, lorsque l'Aquarius s'est posté en Méditerranée avec 600 migrants à son bord, lorsque des femmes et des hommes ont appelé à l'aide en mer sans obtenir de réponse, lorsque les pays de l'Union ont abandonné l'Italie et la Grèce notamment, c'est notre modèle européen qui a été ébranlé.
Il s'agit dès lors de prendre nos responsabilités dans la gestion de nos frontières, gestion qui est la condition de notre souveraineté et de notre sécurité. C'est pourquoi il nous faut encourager la montée en puissance de Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, qui sera dotée, à l'horizon 2027, de 10 000 garde-frontières et garde-côtes pour assurer ses missions de protection des frontières extérieures. Je pense aussi à EMPACT, la plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles, qui consacre la coopération des forces de police européennes, notamment dans la lutte contre les passeurs.
Les migrations sont un phénomène historique, cyclique, aujourd'hui en accélération, majoritairement intracontinental, et non le fait du laxisme de tel ou tel gouvernement. Cependant, après l'échec du paquet asile de 2016, il est plus que jamais urgent de lui apporter une réponse : en 2021, 83 000 personnes en situation irrégulière ont été arrêtées en Turquie, 600 000 migrants originaires de quarante pays différents stationnent actuellement en Libye, 17 000 bateaux ont traversé les eaux de la Manche dans les huit premiers mois de l'année et les tragédies se sont succédé.
Cette réponse, c'est le pacte européen sur la migration et l'asile. Sur ce sujet, il reviendra à la présidence française de trouver les voies de compromis, pour paraphraser les mots du Président de la République.
Le constat est partagé sur l'ensemble des bancs de l'hémicycle : le règlement de Dublin III est à bout de souffle. Il a révélé le pire des égoïsmes nationaux et a fini d'apporter la preuve de son inefficacité : sur plus de 13 000 requêtes Dublin émises par la France au premier semestre 2021, seuls 1 500 transferts ont été autorisés vers le premier pays d'arrivée ; 50 % de la pression migratoire en France est cristallisée à la frontière italienne. Malgré la nette amélioration constatée depuis la création en 2015 des pôles régionaux de mise en œuvre de la procédure de Dublin, les résultats sont insuffisants.
L'enjeu du pacte européen est donc double, celui du rétablissement d'une véritable solidarité européenne par une clé de répartition et des dispositions obligatoires en cas de pression migratoire, et celui de la responsabilisation des États dans la gestion des flux migratoires, par la mise en place d'un contrôle du respect du régime commun de l'asile, par le filtrage aux frontières extérieures et la refonte du système d'information Eurodac. Cette dernière est devenue nécessaire si nous souhaitons éviter la multiplication des mouvements secondaires, notamment en France et en Allemagne.
Le pacte aboutira, à terme, à la transformation du bureau européen d'appui en matière d'asile (BEAA) en véritable agence européenne de l'asile chargée de l'harmonisation des conditions de traitement des demandes.
La présidence française devra aborder ces propositions avec humilité tant les divergences sont criantes au sein de l'Union. En effet, les États membres du groupe de Visegrád refusent d'entendre parler de relocalisations obligatoires, quand les États de destination militent pour la limitation des flux secondaires, et les pays de première ligne dénoncent un manque d'ambition sur le volet solidarité.
Parce que le sujet des migrations doit tenir compte de la situation dans les pays de départ, le pacte prévoit une coopération, une aide apportée aux pays tiers dans la mise en place de dispositifs d'asile et l'établissement d'une liste commune de pays d'origine et pays tiers sûrs. À cet égard, la question des laissez-passer consulaires, déjà abordée dans le cadre de la révision du code des visas Schengen de 2020, nécessite une véritable réponse politique : en 2020, en France, sur 126 000 mesures d'éloignement prononcées, seules 12 000 ont été réalisées. Nous avons besoin de renforcer l'efficacité de nos dispositifs.
Nous devons collectivement nous doter de dispositifs efficaces et pérennes pour répondre aux enjeux actuels et futurs des migrations. Parmi ces outils figure l'aide au développement, qui constitue la première réponse aux causes profondes des migrations. Là encore, et c'est heureux, nous assistons à une meilleure coordination des banques de développement et des programmes européens, à l'instar du budget de l'équipe Europe, qui réunit les États membres, la Banque européenne d'investissement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), doté d'une enveloppe exceptionnelle de 66,8 milliards d'euros en 2020.
Les initiatives Équipe Europe s'adressent en priorité à l'Afrique, avec un premier dispositif, appelé Atlantique, commun à la France et l'Espagne, couvrant l'Afrique de l'Ouest, et un second, dit Méditerranée centrale, impulsé par la France et l'Italie au bénéfice de l'Afrique subsaharienne et de l'Afrique de l'Est.
À l'échelle supranationale, l'Union s'est dotée d'un instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale, dont les capacités de financement s'élèvent à 79,5 milliards pour la période 2021-2027 ; 10 % de ce montant seront consacrés à l'aide à la construction de dispositifs d'accueil et d'asile, à la lutte contre la traite des êtres humains et les filières de passeurs, ainsi qu'à la coopération pour une meilleure gestion des frontières des pays tiers.
Enfin, il faut arrêter de penser la migration uniquement comme un poids ; elle doit s'imposer comme une opportunité pour nous Européens. En effet, l'immigration constitue un vecteur de croissance et d'innovation, à l'heure où l'Union européenne lutte pour se faire une place sur les marchés internationaux. Une part de notre compétitivité, et donc de notre souveraineté, proviendra de notre capacité à attirer les travailleurs les plus qualifiés vers les industries du futur. Dans cette course à l'émergence de champions européens, notre politique industrielle doit prendre en compte la dimension migratoire. Notre pays doit promouvoir les voies légales et la question des migrations économiques, et le Parlement doit se saisir de ce sujet. C'était d'ailleurs l'une des propositions de la commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides, dont Sonia Krimi a été la rapporteure.
C'est dans cet esprit que le Conseil et le Parlement européens se sont accordés, le 29 juillet dernier, sur un projet de directive réformant la carte bleue européenne et visant à assouplir les conditions d'entrée et de séjour des travailleurs hautement qualifiés et de leurs familles.
La présidence française constituera un moment charnière. Si elle nous appelle à l'humilité, cette séquence historique nous impose d'être à la hauteur de nombreux défis, au premier rang desquels celui des migrations.