Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du vendredi 7 janvier 2022 à 15h00
Accueil des migrants au sein de l'union européenne et réforme du règlement dublin iii

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Il ne faut pas se voiler la face : la politique européenne en matière d'asile et d'immigration ne fonctionne pas. À l'image de ce que l'on peut voir sur le plan économique et monétaire, l'Union européenne a voulu avancer il y a plus de trente ans en supprimant les frontières entre les pays : l'espace Schengen était une avancée majeure. Mais nous avons laissé de côté les problèmes liés à la création, de fait, d'une frontière extérieure commune qui nécessitait pourtant de prévoir des règles pour la protéger, mais aussi d'assurer une coordination en matière d'accueil, de retour ou de traitement des demandes d'asile.

En matière économique, l'Europe a lancé l'euro sans budgets coordonnés, sans harmonisation fiscale ou sociale et a dû, lorsque les crises se sont présentées, prendre des mesures d'accompagnement et de solidarité pour préserver la monnaie unique. À l'inverse, côté immigration, la crise de 2015 n'a pas permis l'instauration d'une solidarité entre les États face aux vagues migratoires qui ont déferlé sur notre continent. Hélas, ce n'est pas étonnant. Là où les États ne sauraient se passer des avantages économiques évidents de l'intégration européenne, la récupération politique nocive des questions migratoires permet à certains pays, bien éloignés en général des frontières communes, de se désolidariser de ceux qui sont en première ligne, tant et si bien qu'il faut le dire : politiquement, l'Union européenne a financé grassement des régimes populistes bien contents de profiter des avantages du marché unique sans se soucier des questions soulevées par l'immigration.

Le système européen inachevé est d'autant plus problématique qu'il fait reposer toute la responsabilité sur les pays d'entrée. Cette injustice, nous la portons tous, car c'est bien le règlement Dublin III, voté par les États membres, qui entraîne cette politique délétère. C'est aussi le manque d'harmonisation de nos règles qui pousse certains États membres à ne pas respecter les droits les plus élémentaires inscrits dans la convention de Genève. Cette même désorganisation conduit à l'enfermement de milliers de personnes dans des conditions à peine soutenables, alors qu'elles ont bien souvent été victimes des passeurs qui leur faisaient miroiter monts et merveilles. L'instrumentalisation politique de quelques-uns ne doit pas desservir la tradition d'asile politique de notre continent et de notre nation.

Il est donc rassurant que soit proposée la création d'une véritable agence de l'Union européenne pour l'asile. Enfin, dirais-je ; nous l'attendons depuis si longtemps. De même, on peut se réjouir de voir la Commission européenne proposer d'unifier le cadre d'accueil dans un règlement cette fois, et non dans une directive, afin que la même règle s'applique à tous. Nous sommes nombreux à avoir défendu cette mesure et je me souviens de l'avoir moi-même évoquée lorsque nous avions débattu, dans cet hémicycle, de notre politique migratoire en octobre 2019.

Cette question ne concerne d'ailleurs pas uniquement le droit communautaire, puisqu'un vrai problème se pose dans l'interprétation de notre Constitution, qui nous pousse à examiner une seconde fois des dizaines de milliers de demandes d'asile venant de personnes déjà déboutées dans un autre État membre.

Il me semble que nous devrons préciser la Constitution pour éviter cet état de fait et j'espère que la réforme du règlement de Dublin III nous y poussera, à moins qu'elle ne permette une inversion de son interprétation par le Conseil constitutionnel. En effet, c'est ce dernier qui estime que nous ne pouvons pas refuser d'examiner une demande d'asile au motif qu'elle a été rejetée par un autre État membre.

L'intérêt de l'harmonisation de l'accueil ne s'arrête pas là. En effet, la loterie des demandes d'asile, avec des résultats plus ou moins cléments suivant les États, crée une véritable course à l'immigration clandestine pour des réfugiés qui préfèrent voir leur demande traitée – très longuement – en France, ou en Allemagne, plutôt que dans le pays d'entrée. Nous connaissons tous les conséquences que cette situation emporte s'agissant des délais de traitement des demandes d'asiles, qui ne font clairement pas honneur à notre pays.

Cela étant, j'estime que notre plus grand échec réside dans l'inefficacité totale de notre système de retour. Rien que sur le sol français, seule une obligation de quitter le territoire sur cinq est honorée, ce qui signifie que, chaque année, environ 60 000 personnes invitées à quitter notre pays y demeurent.

La France et l'Europe, dans un cadre commun, doivent se donner les moyens de renvoyer les déboutés chez eux, y compris en conditionnant les aides et la coopération internationales, voire les visas que nous accordons, au retour des personnes dans leur pays car, sinon, c'est l'ensemble du système qui est biaisé.

À cet égard, la Commission européenne a raison de faire des retours un point central de la révision de notre politique d'accueil, mais elle devrait le lier aux politiques de coopération et à la politique de visas, que nous devrions avoir en commun. Les pays qui ne veulent pas accueillir de migrants ou de réfugiés doivent contribuer à la politique de retour, voire participer financièrement à aider ceux qui sont prêts à mettre en place une solidarité effective avec ceux qui souffrent. Il est hypocrite de notifier aux déboutés qu'ils doivent quitter le territoire sans appliquer ces mesures. En cela aussi, nous devons nous donner les moyens d'agir et de coopérer avec les autres pays pour l'effectivité de ces retours.

Enfin, comment ne pas évoquer nos relations avec nos voisins du continent africain ? Si tous les enjeux que j'ai précédemment évoqués doivent être au cœur de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, il convient que nos rapports avec nos plus proches voisins constituent un point central. Le développement du continent africain peut nous être mutuellement bénéfique, et l'UE doit en cela jouer un rôle de facilitateur des relations entre l'Europe et l'Afrique.

Il paraîtrait normal que les pays qui ne veulent pas accueillir de migrants ou de réfugiés contribuent à la politique de retour et, éventuellement, soutiennent financièrement les États prêts à se montrer effectivement solidaires avec ceux qui souffrent.

Il est hypocrite de notifier aux déboutés qu'ils doivent quitter le territoire sans appliquer ces mesures. Pour garantir l'effectivité des retours, nous devons nous donner les moyens d'agir et coopérer avec les autres pays.

J'ai coutume de dire que l'Afrique, qui sera peuplée de 2,5 milliards d'habitants dans quelques années, peut être un formidable partenaire et un formidable marché, mais aussi un formidable danger si elle ne se développe pas et si nous ne l'y aidons pas.

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