Intervention de Pierre-Henri Dumont

Séance en hémicycle du vendredi 7 janvier 2022 à 15h00
Accueil des migrants au sein de l'union européenne et réforme du règlement dublin iii

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Henri Dumont :

Le 24 novembre dernier, vingt-sept migrants ont tragiquement trouvé la mort dans la Manche, au large de ma circonscription. Ces morts mettent cruellement en lumière, peut-être pour la première fois sur le territoire national, l'échec de la politique migratoire européenne. Pourquoi ces personnes illégalement entrées en Europe, amenées à la mort par le régime dictatorial de Loukachenko, n'ont-elles pas pu imaginer avoir une meilleure vie en Europe ailleurs qu'au Royaume-Uni ? Comment pouvons-nous collectivement accepter que les pays européens ferment les yeux sur les transits de clandestins sur leur sol, tous préférant leur faire traverser le plus vite possible leur territoire afin qu'ils relèvent de la responsabilité du voisin ?

Ne nous berçons pas d'illusions : nous n'arriverons pas, dans les prochains mois ni dans les prochaines années, à une réforme efficace de l'espace Schengen ou de la politique migratoire européenne, tant les différences sont importantes entre les intérêts des pays de première entrée, de transit et de l'Est, et ce malgré la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Pourtant, il y a urgence à réformer ce système, en particulier le règlement de Dublin qui n'est même plus appliqué, en particulier par la France. Ainsi, en moyenne, seul un tiers des migrants qui pourrait être « dublinés » par notre pays vers un autre pays européen l'ont réellement été. Certains pays refusent même d'appliquer ce règlement, telle la Hongrie, qui a rejeté 97 % des demandes françaises en 2020. L'absence de résultats de la politique migratoire européenne est un danger pour l'ensemble de la construction européenne, car elle donne l'impression que la France ferait mieux seule, ce qui est bien évidemment une chimère.

Mais tout ne repose pas pour autant sur les seules épaules de l'Union européenne, de la réforme de ses règlements et de l'adoption d'un nouveau pacte migratoire. La responsabilité de la France est pleine, entière et immense. En effet, rien n'oblige notre pays à continuer d'emboliser son système d'asile en continuant d'examiner les demandes d'asile de migrants déjà déboutés ailleurs en Europe. Une procédure d'examen accéléré pour les déboutés pourrait ainsi faire baisser le nombre de ces demandes, que l'on appelle assez inélégamment les « flux rebond » et qui pèsent pour un tiers des demandes d'asile enregistrées en France.

Depuis 2017, des efforts d'accueil importants ont été faits par le Gouvernement pour accompagner les migrants. Je pense à l'accueil d'urgence, aux places d'hébergement pour les demandeurs d'asile, aux moyens supplémentaires alloués aux centres de rétention administrative et aux renforts de la police aux frontières. Mais tous ces efforts sont imperceptibles pour une partie de la population, en particulier pour les habitants de ma circonscription à Calais, dans le Calaisis, où la tension monte en raison de l'inaction du Gouvernement. L'absence de l'État exaspère les habitants, qui expriment un sentiment légitime d'abandon. Elle remplit malheureusement les cimetières des corps des jeunes Kurdes, Soudanais ou Érythréens morts en mer, percutés par un TER – transport express régional – ou écrasés par des camions.

Les campements sauvages, sorte de mini-jungles, se multiplient à proximité des habitations à Calais, à Marck, à Sangatte, à Coquelles. Les opérations de démantèlement ne sont pas efficaces : les CRS interviennent pour évacuer les camps et, dix minutes après, c'est le même cirque qui recommence pendant trois jours, avec des nuisances terribles pour les riverains et la menace de mort qui plane sur la tête des migrants à cause des passeurs ou du froid qui s'installe.

Pourtant, des places d'hébergement sont ouvertes, loin de Calais, pour protéger les migrants, les arracher aux griffes des passeurs et redonner enfin aux habitants de ma circonscription le calme et la sécurité qu'ils méritent, comme tout citoyen français. Mais vous refusez d'y emmener de force les migrants. La seule solution concrète, monsieur le ministre délégué, est d'obliger les clandestins à se mettre à l'abri dans ces centres. Avec la retenue pour contrôle de droit du séjour, vous avez la possibilité juridique de le faire. Qu'attendez-vous ? Combien de morts supplémentaires seront nécessaires pour que vous agissiez enfin ?

Par votre faute, le Calaisis devient un terrain de jeu pour les extrêmes, entre, d'un côté, des associations no border, qui violent quotidiennement les arrêtés d'interdiction de distribution de nourriture sur les zones économiques, au risque d'y fixer et d'y faire mourir les migrants, comme cela a déjà été le cas trois fois ces dernières semaines dans la zone de Transmarck, et, de l'autre côté, les Britanniques qui désirent engager un bras de fer malsain avec la France sur la politique migratoire.

Au milieu de ces affrontements, on trouve les forces de l'ordre, qui ont compté dix-sept blessés lors de la dernière intervention. J'adresse évidemment mes vœux de prompt rétablissement à ces CRS et je leur témoigne ma plus profonde indignation après la relaxe, hier, d'un migrant qui avait participé à ces attaques contre les forces de l'ordre. On trouve aussi, au milieu des affrontements dus à votre inaction, les pompiers et les sauveteurs en mer qui, chaque soir, chaque nuit, sauvent des vies en mer et sur terre. On trouve enfin la population, abandonnée au point de parfois se faire justice elle-même, comme ce fut le cas le soir du nouvel an, lorsqu'un migrant a roué de coups un habitant de Calais avant de se faire rouler dessus par la voiture d'un proche de ce dernier. C'est également le cas avec le retour, depuis plusieurs nuits, de barrages sur les rocades portuaires ou les autoroutes du Calaisis. Cela ne peut plus durer.

Voilà le résultat concret de votre politique sur le terrain. Monsieur le ministre délégué, nous en avons marre ; nous sommes tous, à Calais et dans l'ensemble de ma circonscription, exaspérés. Nous vous demandons d'agir avant qu'il ne soit trop tard pour sauver la vie des migrants et redonner de la quiétude aux habitants.

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