Comme j'ai pu vous l'indiquer dans mes propos précédents, le système d'entre-deux instauré par le règlement dit Dublin III ne fonctionne pas. Je voudrais ici énoncer deux problèmes auxquels nous faisons face : la grande mobilité de certains qui arrivent sur le sol européen rend ineffective la règle de responsabilité du pays d'entrée. Les retours vers les pays en charge de l'examen des dossiers sont quasi inexistants. En 2019, seuls 11,7 % des « dublinés » qui auraient dû être rapatriés vers leur pays d'entrée l'ont été effectivement. Tout cela laisse à la France, bien souvent, la responsabilité finale d'examiner la demande d'asile.
Il est donc temps que nous prenions de l'avance sur les demandes, pour que celles-ci se fassent à l'étranger ou à la frontière, et que les demandes sur le sol français deviennent l'exception. Cela implique cependant une meilleure organisation et coopération entre États, et surtout un meilleur accueil des migrants lorsqu'ils tentent de rejoindre notre continent. Mais cette intégration plus poussée, que l'on retrouve finalement dans la proposition de la Commission européenne, se heurte à un problème juridique spécifiquement français, sur lequel je m'interroge. Souvent, on accuse l'Europe de maux qui sont proprement français ; c'est le cas concernant l'accord de Dublin. Aux termes de l'article 53-1 de la Constitution, en effet, « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif », et ce quand bien même la France aurait passé des accords pour gérer les demandes d'asile en commun avec d'autres pays, notamment européens.
Ainsi, selon notre droit constitutionnel, une personne doit pouvoir déposer une demande d'asile en France, même si une précédente demande a déjà été rejetée par un autre pays européen avec lequel nous avons des accords. Ainsi, nous pouvons prendre toutes les mesures de coordination que nous voulons, l'obligation d'examiner la demande, à laquelle la France est in fine soumise, rend l'accord de Dublin totalement inopérant. Pourrons-nous surmonter cette difficulté en imposant un règlement ? L'intégration de plus en plus poussée de la politique d'asile fait face à ce problème constitutionnel. La transformation des règles de critères et d'accueil contribuera-t-elle à le résoudre ?