La gestion des risques climatiques apparaît comme une question technique ayant l'étroitesse de la spécialité. Aussi aimerais-je insister sur le fait que c'est d'alimentation, d'agriculture et d'accès à l'eau qu'il s'agit dans ce projet de loi dont la discussion s'inscrit dans un calendrier plus large, celui du Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique.
L'eau et l'alimentation comptent parmi les ressources les plus stratégiques de toute nation. Je suis profondément convaincu que lorsque l'on a compris comment une population accède aux cinq ressources essentielles que sont l'eau, l'alimentation, l'énergie, la monnaie et les armes, on est en mesure de décoder pratiquement n'importe quelle situation géopolitique. C'est dire l'importance de l'enjeu qui nous occupe cet après-midi.
Ce n'est pas la première fois au cours de la législature que nous nous penchons sur la question de l'alimentation. Nous avons déjà matérialisé à travers des dispositions législatives les exigences de la nation en ce domaine, exigences en évolution qui ont un impact considérable sur les systèmes de production.
Ces exigences sont propres à un pays qui entretient un rapport très particulier à son alimentation et donc à son agriculture : un pays dont on ne saurait comprendre l'histoire, selon un historien américain francophile, sans prendre en considération le lien qui unit ses habitants au pain ; un pays qui compte 350 voire 450 sortes de fromages ; un pays dont le sous-sol, la végétation et le relief changent tous les 50 kilomètres, comme le soulignent les agronomes ; un pays composé d'une mosaïque de micro-identités dont nous sommes tous porteurs ici, en tant que membres de la représentation nationale ; un pays uni autour d'une conception de l'alimentation qui rayonne dans le monde entier.
S'il s'agit de porter si haut le principe de solidarité nationale dans le dispositif dont nous allons discuter, ce n'est pas parce qu'il importe de tendre une main secourable à un secteur qui affronte des difficultés croissantes. Non, c'est parce qu'il appartient à la représentation nationale de reconnaître l'extraordinaire contribution de l'agriculture à la qualité de vie des Français depuis des décennies.
Rappelons qu'en 1946, les tickets de rationnement étaient encore de mise à Paris et que le poste de l'alimentation représentait près de 40 % du budget des ménages pour une population totale de 40 millions alors que sa part n'est plus aujourd'hui que de 13 %. Les géants de la grande distribution et de l'agro-industrie ont émergé et, quoi qu'on en dise, nous mangeons mieux et sûrement de manière plus fiable. Tout cela grâce à un secteur qui a cédé l'essentiel de ses gains de productivité à ses clients. Aucun autre ne peut se vanter de l'avoir fait dans de telles proportions, si ce n'est peut-être celui de l'automobile.
Cette contribution du secteur agroalimentaire qui a fait de la pression sur ses marges, ses prix et ses salaires l'alpha et l'oméga de la mesure de son progrès, cette contribution dont ont largement profité les citoyens français, il est temps que la représentation nationale la reconnaisse, au moment où les risques que doit affronter ce secteur s'aggravent. La nation doit assumer ce qu'elle attend de son alimentation et de son agriculture et garantir un regain de solidarité nationale pour rendre possible le maintien de ce rayonnement et de ce potentiel de production.
Nous avons des exigences pour notre propre alimentation, qu'il s'agisse de la restauration collective, des restaurants ou de la cuisine que nous élaborons au sein de chacun de nos foyers, mais nous avons aussi une responsabilité au niveau international. Nous exportons en effet une tonne de blé sur deux, principalement vers les pays d'Afrique du Nord. Depuis le début de la crise sanitaire, les bateaux ont navigué, les camions ont roulé. La France est un fournisseur fiable et la contribution des filières céréalières à la stabilité géopolitique de nos voisins méditerranéens est absolument déterminante.
Alors qu'il existe beaucoup de foyers de déstabilisation dans le monde, il s'agit de maintenir ce potentiel et ce rayonnement de notre agriculture en rendant possible son adaptation au réchauffement climatique et donc son avenir – je pense ici à la formule de Saint-Exupéry : l'avenir, « tu n'as pas à le prévoir, mais à le permettre ».
Comment atteindre cet objectif ? En posant des principes, à commencer par celui de la solidarité nationale qu'a longuement évoqué le ministre. Nous devons rendre éligibles tous les agriculteurs à une indemnisation pour pertes exceptionnelles assurée par l'État.