Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du jeudi 13 janvier 2022 à 9h00
Droit de révocation des élus — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

L'article 2 de notre Constitution pose le principe du « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Vaste discussion que de savoir comment ce principe s'applique. Le grand Jaurès le disait : « Nous avons conquis le suffrage universel. Il nous reste à conquérir la souveraineté populaire. » Tout est là. Chacun sait bien qu'il ne suffit pas que le suffrage universel existe pour qu'il soit la meilleure expression de la souveraineté populaire.

La présente proposition de loi constitutionnelle vise précisément à donner une réalité légale aux mots de Jaurès, en accordant aux citoyens, aux électeurs, le droit de révoquer les élus, afin que l'expression de la volonté du peuple ne se réduise pas seulement à glisser un bulletin de vote dans l'urne à l'occasion d'une échéance électorale, sans possibilité d'intervention entre deux échéances.

La Ve République née, rappelons-le, sous la menace d'un coup d'État a fêté dernièrement ses 60 ans. Cependant, le système sur lequel elle se fonde est profondément en crise : refuser de l'admettre et refuser d'agir pour en changer met en péril, en vérité, l'idée même de la République.

Aux élections législatives de 2017, dont nous sommes tous issus, près d'un électeur sur deux n'est pas allé voter. D'autres échéances électorales ont suivi, qui ont confirmé cette tendance lourde : le taux d'abstention s'est élevé à 70 % lors des élections régionales et à un niveau presque équivalent lors des élections municipales.

Dans de telles circonstances, où est l'expression de la volonté du peuple, ce principe selon lequel les élus le représenteraient et seraient la traduction d'un gouvernement « par le peuple et pour le peuple » ? Pouvons-nous continuer à ignorer cette insurrection froide contre les institutions – les vagues sanitaires n'ayant fait qu'amplifier ce mouvement ?

Soyons attentifs au fait que les Français sont de plus en plus nombreux à considérer que le système démocratique est bloqué. Nous devons apporter une réponse car les violences inacceptables qui ont eu lieu dernièrement sont aussi la manifestation de ce blocage. Nous devons proposer des modes pacifiques d'expression, accorder à nos concitoyens des droits nouveaux afin que ce blocage ne s'exprime pas de nouveau par des violences, des menaces de mort dont certains d'entre nous ont été la cible – non seulement votre serviteur, mais aussi de nombreux députés de La France insoumise et, je le sais, de la majorité.

À quatre-vingt-dix jours de l'élection présidentielle, la proposition de loi constitutionnelle que j'ai l'honneur de défendre vise à répondre à cette situation politique identifiée : celle de l'urgence démocratique. Les électeurs doivent disposer de droits nouveaux afin d'être en mesure de contrôler leurs mandataires, afin de passer d'une culture de la défiance à une culture du contrôle exercé par les citoyens sur leurs représentants.

Le présent texte est donc fondé sur ce constat et le droit de révoquer est l'une des solutions – peut-être la solution centrale – qui pourraient redonner le goût d'aller voter et qui marqueraient la fin d'une forme d'impunité politique, à commencer par celle du Président de la République qui, constitutionnellement, est irresponsable devant les électeurs et devant l'Assemblée nationale.

Le droit de révoquer que nous proposons n'est pas la marque d'une irresponsabilité ou d'une instabilité : elle est au contraire la traduction de notre volonté de donner plus de responsabilités au peuple et de renforcer le lien entre les représentants et les représentés. En outre, il rendrait le système plus solide car, en réalité, l'instabilité est déjà là. Qu'est-ce que l'instabilité en effet ? Chacun connaît le phénomène physique : est instable un meuble qui repose sur une faible base. Comment ne pas voir la faiblesse de la base sociale électorale lorsque, comme je l'ai rappelé, seulement 30 % des Français votent ? Nous proposons donc la fin de cette irresponsabilité, à commencer par celle du Président de la République – j'y reviendrai ultérieurement.

Notre proposition n'est pas une position marginale : défendue par le candidat Jean-Luc Mélenchon lors de la dernière élection présidentielle, elle a recueilli l'adhésion de près de 7 millions de Français ; elle est soutenue par 75 % de nos concitoyens, interrogés dans le cadre de différentes enquêtes d'opinion.

Par conséquent, nous accorderions, en l'adoptant, un nouveau droit démocratique qui favoriserait l'implication des électeurs et renforcerait leur lien avec les élus. Réduit actuellement au simple rôle de spectateur, l'électeur est en effet ramené à une forme de minorité civique, alors que nous voulons faire de lui un acteur permanent de la vie politique, le véritable souverain en toutes circonstances – et non pas, comme je l'ai dit, une fois tous les cinq ans seulement. L'objectif est de créer un cercle vertueux dans lequel le peuple souverain garderait le contrôle sur ceux qui le représentent. Ce principe s'appliquerait à l'ensemble des mandats, notamment à celui du Président de la République, qui n'a actuellement de comptes à rendre à personne et peut parfois bafouer ou dévoyer ses propres engagements. Mes propos ne s'adressent pas seulement au président actuel, le mal vient de bien plus loin. J'en veux pour preuve la profonde blessure démocratique qui s'est fait jour après qu'une majorité du peuple s'est exprimée le 29 mai 2005 contre un traité constitutionnel, qui lui a été finalement imposé par la suite. La blessure est donc bien présente et c'est ce droit de contrôle que nous voulons renforcer.

Certains collègues arguent que cela renforcerait une forme d'instabilité – j'ai évoqué cette question – et engendrerait un système chaotique – mais je répète que le chaos est là puisque les deux tiers des électeurs ne se déplacent plus pour voter. Ils craignent également que ce dispositif ne laisse la place à des lobbies minoritaires – je l'ai entendu en commission – qui pourraient peser sur les élus. Cependant, comment ne pas constater que nous sommes élus parfois par seulement 20 % des électeurs de nos circonscriptions ? Nous ne sommes plus l'expression d'une part majoritaire du nombre d'électeurs inscrits et nous ne pouvons pas nous résoudre à cette situation. La Constitution dispose qu'« aucune section du peuple » ne peut exercer une tyrannie sur l'autre : or, actuellement, c'est souvent une part minoritaire qui élit ceux qui exercent des responsabilités.

Si nous voulons discuter d'abord et avant tout du principe de la révocation, c'est que nous pensons qu'il donnerait un souffle nouveau à nos institutions. Bien sûr, nous souhaiterions l'inscrire en réalité dans un projet plus général, issu d'une assemblée constituante dans le cadre d'une VIe République. Nous voulons néanmoins en débattre avec vous aujourd'hui.

La possibilité d'instituer le droit de révocation n'est pas une remise en cause ou une façon d'appliquer le mandat impératif – j'y reviendrai plus tard dans le cadre de nos débats. Pas du tout. Le mandat impératif, auquel je suis personnellement défavorable, n'est pas au cœur de ma proposition de loi. C'est une autre idée. Il est concevable que les élus délibèrent et prennent éventuellement des décisions qui ne faisaient pas partie de leur programme initial. Toutefois, ils doivent rendre des comptes à tout moment à leurs mandants, c'est-à-dire au peuple.

Notre proposition vise donc à créer un droit selon lequel, au terme d'une période correspondant au premier tiers de la durée du mandat, un référendum révocatoire pourrait être actionné sous réserve qu'un seuil représentatif des électeurs le souhaite : ce seuil, dont la détermination ferait l'objet d'une discussion d'ordre technique – 5 %, 10 %, 15 % ? – serait fixé par une loi organique. Cependant, c'est sur le principe de cette faculté de révocation que nous voulons débattre avec vous. Comme je viens de le dire, il pourrait être actionné après le premier tiers du début du mandat mais ne pourrait pas s'appliquer durant la dernière année de celui-ci, afin de ne pas créer un système permanent d'élections. Notre volonté est de donner au peuple une nouvelle possibilité démocratique d'intervenir et de reprendre éventuellement ce qu'il a conféré.

Cette proposition s'inscrit, en vérité, dans notre histoire nationale : n'allez pas chercher des exemples internationaux qui nous auraient inspirés. Pour ceux qui connaissent l'histoire de France, le président Mélenchon en a parlé précédemment en évoquant la Révolution française ; le droit au rappel des élus existait déjà dans les différentes assemblées délibératives ou les assemblées communales durant le Moyen Âge ; il était au cœur de certaines propositions dans les districts de la Révolution française et il a été longuement débattu à cette époque par nos prédécesseurs. Cette proposition a circulé tout au long du XIXe siècle : elle a été évoquée à l'occasion de la Commune de Paris et a été discutée par de nombreux concitoyens – je pense notamment aux grands Louis Blanc et Auguste Blanqui, qui ont donné leur nom à des boulevards français, mais qui étaient aussi de grands républicains, farouches partisans du droit de révoquer les élus.

Ce droit existe également dans de nombreux autres pays : non seulement dans trois pays andins, dans 60 % des États aux États-Unis, mais aussi dans des pays voisins et comparables au nôtre. Ainsi, au Royaume-Uni, à la suite de différentes crises, nos homologues ont dernièrement institué une possibilité de révoquer les élus.

La proposition que nous défendons n'est donc ni inapplicable, ni exotique ou étrangère à notre histoire nationale : c'est tout l'inverse. Il est temps d'en discuter et de dire qu'en tant que députés nous en accepterions le principe. Non pas que nous souhaitions qu'il s'applique forcément à notre cas personnel : je peux comprendre que nous agissions de façon à ne pas nous retrouver en situation d'être soumis à un référendum révocatoire. Mais le fait d'accorder ce droit permettrait, je le répète, de nouer des relations plus vertueuses avec ceux dont nous sommes les représentants.

Enfin, je veux rappeler qu'en acceptant ce principe de révocation, nous serions fidèles à la volonté exprimée à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public […]. » C'est ce que nous demandons : les citoyens doivent pouvoir demander des comptes ; ils doivent pouvoir, dans les conditions définies par les textes, révoquer telle personne qui les représentait et dont ils ne veulent plus. Le peuple doit être souverain en toutes circonstances et nous devons mettre fin aux situations dans lesquelles des institutions permettent de gouverner contre lui et à distance de lui. C'est en adoptant la présente proposition de loi que nous renouerons avec la grande promesse républicaine.

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