Intervention de Frédéric Petit

Séance en hémicycle du lundi 17 janvier 2022 à 16h00
Condamnation du régime d'alexandre loukachenko — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Petit :

« Mon pays, même s'il n'a pas toujours été clairement et formellement dessiné sur les cartes d'Europe, s'étend de la mer Baltique à la mer Noire. Mon pays passe par Odessa, Lvov – ou Lviv –, Cracovie, Grodno, jusqu'à sa capitale historique, Vilnius. » Qui parle ainsi ? Évidemment, c'est un Polonais, si vous êtes en Pologne, mais aussi un Lituanien, si vous êtes en Lituanie ; c'est un Bélarusse à Grodno ou à Brest ; c'est un juif d'Odessa ou de Minsk dont le grand-père rêvait d'aller se former auprès du Gaon de Vilnius, capitale du Yiddishland. Des Ukrainiens ou certains Tatars ont aussi pu s'exprimer ainsi.

Mes chers collègues, on ne peut pas comprendre ce qui se passe au Bélarus aujourd'hui sans appréhender dans son ensemble cette région entre la mer Baltique et la mer Noire ; une région qui a toujours été tissée de cultures opposées, de langues différentes, d'administrations souvent croisées dans les mêmes territoires – on ne s'adresse pas à la même administration si l'on est en affaires avec un juif du shtetl ou avec le propriétaire terrien polonais.

Ces tissages orthogonaux sont pour le meilleur – la république des Deux Nations, qui a duré deux siècles ; Milosz, Mickiewicz, les grands poètes polonais qui n'ont jamais habité dans la Pologne actuelle ; les peintres Soutine, Chagall ; le projet de fédération de l'entre-deux-mers du maréchal Pilsudski, dans les années vingt – mais aussi pour le pire – les tueries polono-lituaniennes après la première guerre mondiale, la Shoah par balles, les pogroms, les horreurs entre Polonais et Ukrainiens dans la région de Volyn. Lorsqu'un pays est déstabilisé dans cette région, c'est toute la région profonde, ce tissage, ce tissu d'amitiés et de haines, qui est déstabilisé. Revenons donc sur cette crise et sur quelques points trop souvent oubliés.

D'abord, c'est quelques semaines avant l'élection que le contrepied magnifique de trois femmes surprend Loukachenko. Il sait jouer la chorégraphie de la démocratie ; il l'a fait. Que la femme de Tsepkalo se présente ; que la directrice de campagne de Babariko se présente ; que la femme de Tikhanovski se présente. Mais ces trois femmes décident, quelques semaines avant le scrutin, de se regrouper derrière Tikhanovskaïa. La population, dès ce moment-là, comprend qu'il se passe quelque chose et sort dans la rue, avant l'élection, avec un mot d'ordre : cette fois-ci, ne nous vole pas notre élection. Cette révolution est surtout une révolution de la vérité.

Mes chers collègues, cette proposition de résolution rappelle ce que nous attendons du Gouvernement et de la communauté européenne. Tout d'abord, je l'ai souvent dit, la politique de voisinage de la communauté européenne ne doit pas être une espèce de politique de la pré-pré-pré-adhésion ; non, une politique de voisinage, c'est une politique qui organise les relations avec un voisin qui restera un voisin. Ensuite, les sanctions européennes fonctionnent ; fonctionne également la diplomatie que l'on appelle parfois soft ou d'influence – vous savez, monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, que je n'aime pas trop ces dénominations auxquelles je préfère l'action de la France dans le monde, parce que c'est bien de cela qu'il s'agit. Soutenir et former les Bélarusses en exil, c'est l'action de la France ; soutenir l'université du Bélarus qui est sur notre sol, à Vilnius, c'est l'action de la France ; soutenir les journalistes indépendants, c'est l'action de la France ; nommer comme envoyé spécial pour les affaires du Bélarus, juste après son expulsion du pays, notre ancien ambassadeur, c'est l'action de la France. La proposition de résolution appelle aussi à des actions internationales non gouvernementales qui rappellent ce qui s'est passé entre la France et la Pologne dans les années Solidarnosc, en particulier à une coopération parlementaire et citoyenne avec les représentants du Bélarus démocratique.

Je vous cite cette anecdote : pendant ma mission à Vilnius, j'ai rencontré, avec mes collègues Sonia Krimi et Jean-Michel Clément, une trentaine d'étudiants bélarusses avec lesquels nous avons discuté. Une question nous a été posée : « Quelle est la proportion de parlementaires français qui croient la propagande de Loukachenko ? 30 %, 60 % ?» Évidemment, nous les avons détrompés, mais cela vous montre l'importance du non gouvernemental à l'échelle internationale. C'est notre responsabilité de parlementaires que de faire ce travail de fourmi, ce travail de long terme, avec un peuple ami, un peuple voisin, qui doit rester voisin et ami. De Gaulle disait : « Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. »

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