Intervention de Mireille Clapot

Séance en hémicycle du jeudi 20 janvier 2022 à 9h00
Discussion d'une proposition de résolution européenne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMireille Clapot :

Lorsque vous achetez un appareil électronique, un produit alimentaire ou un vêtement, vous ignorez si la chaîne de valeur de l'entreprise qui vous le vend n'est pas entachée de graves violations des droits humains – travail forcé, travail des enfants, non-respect du droit syndical, mauvaises conditions de travail comme au Rana Plaza qui s'est effondré en 2013 au Bangladesh – ou d'atteintes à l'environnement – pollution de l'air, de l'eau ou des sols. L'entreprise productrice, quant à elle, qui sous-traite une partie de sa fabrication ou qui externalise l'extraction des matières premières, ne peut s'en laver les mains. Une responsabilité lui incombe, celle qui l'oblige à prendre connaissance de ces risques et à les prévenir. Cela s'appelle le devoir de vigilance.

Ce qui est en jeu dans cette proposition de résolution européenne, c'est la volonté de porter une parole politique forte dans le but d'obtenir au niveau européen une directive sur le devoir de vigilance des entreprises.

Je tiens à saluer à mon tour Dominique Potier pour son travail et pour le vote de sa loi pionnière de mars 2017, qui oblige les entreprises de plus de 5 000 salariés à prévenir ces risques dans leur chaîne de valeur, à publier un rapport et qui permet aux victimes de faire des demandes de réparations.

Près de cinq années plus tard, à la fin de cette législature et au début de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, nous constatons un consensus bienvenu – les différents orateurs l'ont montré – et une parole politique forte sur ce sujet, au plus haut niveau de l'État français et de l'Union Européenne.

La notion de devoir de vigilance s'est peu à peu diffusée parmi les États membres. En 2019, le parlement néerlandais a légiféré sur le travail des enfants et, en juin 2021, le parlement allemand a adopté une législation qui s'impose aux entreprises de plus de 3 000 salariés. Des débats ont également eu lieu dans plusieurs autres pays.

À l'échelon européen, la société civile et, de manière générale, les citoyens s'emparent de cet enjeu. Une centaine d'ONG a demandé à la Commission européenne d'agir en ce sens et la Confédération européenne des syndicats s'est mobilisée. Même les entreprises françaises et allemandes se rendent compte qu'il est dans leur intérêt de voir se concrétiser une directive qui s'appliquerait à leurs concurrents opérant sur le marché intérieur.

Le Parlement européen a joué un rôle clef en adoptant en mars dernier une résolution demandant à la Commission d'élaborer un texte ambitieux à ce sujet et lui a même soumis son propre projet de directive. Cette dernière s'est engagée depuis avril 2020 à adopter une directive relative au devoir de vigilance mais, hélas, plusieurs reports ont eu lieu. La dernière date retenue étant le printemps 2022, nous n'aurons pas de texte avant 2023 dans le meilleur des cas.

Aujourd'hui, 20 janvier 2022, ce processus rejoint les ambitions de la présidence française du Conseil de l'Union européenne qui fera du devoir de vigilance l'une de ses priorités, comme le Président de la République l'a déclaré lors de sa conférence de presse du 9 décembre 2021. Il s'agit au fond de défendre une certaine vision de l'Europe qui porterait une voix singulière dans l'économie mondiale, celle d'une puissance guidée par des valeurs fondées sur les droits humains et la protection de l'environnement, qui ne seraient « pas à vendre, à aucun prix » pour reprendre les mots forts de la présidente Ursula von der Leyen dans son discours sur l'état de l'Union européenne en septembre dernier.

La mission d'information dont nous avons été corapporteurs, Dominique Potier et moi-même, a exploré un champ un peu plus large et a donné lieu à dix propositions qui mettent en avant des critères alternatifs et des seuils plus ambitieux et réaffirment la nécessité de prendre en compte la chaîne de valeur dans toute sa profondeur.

Nous nous sommes posé une autre question importante au cours de nos travaux : au-delà de la publication de rapports, comment assurer l'application du devoir de vigilance ? Deux écoles existent : l'une promeut la responsabilité civile des entreprises, c'est l'approche française qui repose uniquement sur la voie judiciaire ; l'autre consiste à instituer une autorité administrative chargée d'accompagner et, si nécessaire, de sanctionner, option retenue par les Pays-Bas et par l'Allemagne et qui a été critiquée par certaines ONG.

Nous disons oui à une politique publique qui soutient le devoir de vigilance, avec une supervision administrative complémentaire et non concurrente de la voie judiciaire qui accompagne les entreprises et prévient les violations. Et, bien sûr, nous affirmons la nécessité de veiller à une application homogène dans les États membres.

Vous le voyez, chers collègues, la réflexion a bien mûri : cette proposition de résolution européenne arrive à point nommé pour affirmer l'engagement de la représentation nationale française et soutenir l'agenda européen volontariste en matière de devoir de vigilance européen.

Au nom du groupe La République en marche, je vous invite donc à adopter cette proposition de résolution, acte politique fort, qui sous-tend nos exigences et nos ambitions pour être à la hauteur des attentes de nos concitoyens, des entreprises et pour affirmer des règles européennes des affaires davantage responsables et éthiques.

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