Intervention de Olivier Faure

Séance en hémicycle du jeudi 20 janvier 2022 à 9h00
Condamnation des crimes perpétrés contre les ouïghours — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Faure :

« Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ». Réunis ce matin dans l'hémicycle, nous avons le devoir de qualifier le martyre que subit aujourd'hui la minorité ouïghoure en Chine. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Nous savons, et nous devons briser le silence. Nous devons le briser parce que le crime s'épanouit toujours dans l'obscurité des consciences éteintes. Nous devons parler parce que nous sommes la France, le pays des droits universels, des droits de l'homme et du citoyen. C'est notre héritage ; il est notre honneur et notre charge.

Il m'a été remis, il y a quelques jours, un carnet rouge. Il appartient à Gulbahar Jalilova. Cette rescapée des camps y a consigné une liste de soixante-sept noms : ceux de ses compagnes de la cellule 704. Ces soixante-sept femmes, âgées de 14 à 80 ans, lui ont fait promettre de témoigner de l'horreur, si elle réchappait de cet enfer.

La pièce où elles sont cloîtrées est si petite que les internées doivent se relayer pour s'allonger. Elles sont enchaînées, pieds et mains solidaires ; la position debout est ainsi rendue impossible. En guise de toilettes, un seau au milieu de la pièce qui n'est vidé qu'une seule fois par jour. Les corps sales et les peaux scarifiées par les parasites et la torture cohabitent, sans que les femmes aient la possibilité de se doucher. Les corps meurtris subissent des injections régulières pour stériliser celles qui sont en âge de procréer.

Quand elles quittent la cellule, c'est pour une séance de torture sur la chaise du tigre ; c'est pour être violées, sodomisées avec un bâton électrique, pour recevoir des chocs électriques vaginaux quand elles refusent de signer des aveux de terrorisme. Une femme sort de l'hôpital attenant. On lui a attaché un sac plastique destiné à contenir tout ce qui déborde de son corps éviscéré : on vient de lui prélever un rein, de force. Une jeune femme accouche en détention ; son bébé lui est immédiatement arraché et elle retourne en cellule alors que le lait continue de couler de ses seins. Une jeune fille de 25 ans se badigeonne avec ses propres excréments : elle est devenue folle après une séance de torture. Voilà ce que les yeux de Gulbahar Jalilova ont vus. Voilà ce qu'elle a vécu. Voilà ce dont elle est venue témoigner ici avec d'autres femmes et d'autres hommes, dans les murs de notre assemblée.

C'est l'anéantissement au présent et au futur du peuple ouïghour qui est en train de s'accomplir. Deux à trois millions d'hommes et de femmes sont incarcérés de force dans plus de 1 400 camps de concentration. Environ 900 000 enfants sont séparés de leurs parents internés, et envoyés dans des orphelinats où ils sont rééduqués. La stérilisation forcée entraîne une chute vertigineuse du taux de natalité. Seize mille mosquées ont été détruites ou endommagées. Les cimetières sont rasés pour être remplacés par des parkings. La surveillance numérique est partout. La langue, la religion, les traditions ouïghoures sont proscrites. Les intellectuels sont persécutés. De l'enfance à la mort, c'est toute la vie des Ouïghours qui est disloquée par une machine implacable, visant à l'éradication biologique et culturelle d'un peuple.

Il n'est pas besoin de convoquer l'image du charnier, de la chambre à gaz ou de la machette pour établir la réalité d'un génocide. Le tribunal citoyen de Londres a démontré en décembre dernier que la politique du gouvernement chinois relevait de la convention de 1948 sur le génocide, en particulier de son article 2 sur « l'intention de détruire, ou tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. »

Face à cette réalité, que faire ? Euphémiser le crime pour en relativiser la portée ? Se taire et nier le crime effroyable, comme nous y enjoint la propagande chinoise et comme nous y incitent ses nombreux relais ? Il en est toujours ainsi. Il y a des gens pour spéculer sur tout. Il y a un marché pour tout, même pour l'horreur. Cinq cent mille esclaves pour produire 20 % de la production mondiale de coton, ça ne se refuse pas comme ça. Un marché de 1,4 milliard de consommateurs, cela mérite réflexion. Et c'est ainsi qu'au crime s'ajoute l'obscénité, celle de ces conseils d'administration climatisés où l'on échange sur un ton dégagé, sans pudeur ni honte, des dividendes attendus.

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