Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du jeudi 20 janvier 2022 à 9h00
Condamnation des crimes perpétrés contre les ouïghours — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Je prononce devant vous mon discours avec la gravité qu'exige l'horreur. Le sentiment de tragédie commande, comme cela doit toujours être le cas lorsque l'histoire élève notre conscience à la place du juge.

Depuis de longues années, le Xinjiang est plongé dans l'épouvante. Les témoignages qui nous parviennent sont glaçants et nous ne pouvons être que pétrifiés en songeant à toutes celles et à tous ceux qui ne peuvent pas traverser les murs qui les étouffent.

La surveillance massive, la logique concentrationnaire d'une détention menée à l'échelle industrielle, les déportations vers les camps de travail, c'est la mise au pas cauchemardesque d'un peuple. L'interdiction du culte musulman, la destruction méthodique des mosquées, les transferts forcés d'enfants dans des orphelinats gérés par le parti communiste chinois, la politique de peuplement par des familles Han, c'est la destruction à marche forcée d'une culture. Le recours systématique à la torture et aux viols, les assassinats, les stérilisations et les avortements forcés, les humiliations, la mise en esclavage, les suspicions de prélèvements d'organe sur les corps vivants, c'est l'abattement féroce des droits fondamentaux, l'enlèvement aux individus de cette dignité qui nous fait hommes et femmes, la négation la plus froide de leur humanité.

En accolant la modernité technologique du XXIe siècle aux pires cauchemars orwelliens, le régime chinois se rend coupable de crimes contre l'humanité d'autant plus atroces qu'ils se déploient à grande échelle. Lorsque des gardes filment des femmes ouïghoures en les forçant à faire leur toilette intime avec une sauce pimentée, comment ne pas penser à l'huile de ricin utilisée par les fascistes italiens pour humilier et déshumaniser ? Lorsque plus d'un million de Ouïghours sont détenus dans des camps d'internement, comment ne pas se figurer l'horreur des goulags soviétiques qui ont brisé tant d'opposants au régime ? Lorsque des femmes ouïghoures sont violées et se font arracher leur fœtus, comment ne pas songer aux scènes effrayantes qui ont marqué la guerre de Bosnie-Herzégovine où ces violences ont été mises au service d'une politique de nettoyage ethnique ? Je convoque ces exemples les plus sordides pour nous aider à prendre la mesure de cet enfer.

Le groupe La France insoumise n'est pas resté muet face à cette horreur : nous avons envoyé des courriers au Président de la République, créé un collectif parlementaire de solidarité comptant huit députés insoumis, interpellé de manière répétée le ministre en commission des affaires étrangères, participé encore récemment à des manifestations, signé la charte de solidarité avec le peuple ouïghour ainsi que des pétitions diverses et variées. Pour faire entendre la cause du peuple ouïghour, et j'y ai pris ma part, pour provoquer – en vain jusqu'ici – une réaction du Gouvernement dans les instances multilatérales, nous avons usé de toutes les cordes politiques et nous continuerons de le faire.

La proposition de résolution inscrit dans le marbre d'un texte officiel le terme de génocide. Je voudrais que l'on mesure sa portée et les enjeux qu'il soulève. Comme plusieurs d'entre vous le savent, ce n'est pas la première fois que je convoque la rigueur intellectuelle afin de m'interroger sur la pertinence de ce mot pour qualifier de telles atrocités. Je constate d'ailleurs que les grandes ONG humanitaires parlent de crimes contre l'humanité et non de génocide. Il faut dire que l'ONU ne reconnaît que trois génocides : celui du peuple arménien par l'Empire ottoman, celui des Juifs par les nazis et celui des Tutsis par le pouvoir hutu dans lequel, je le rappelle, la France a une part de responsabilité.

Le mot génocide n'est donc pas synonyme de crimes contre l'humanité, même si je sais qu'il peut l'être dans notre imaginaire. J'ai moi-même relayé des pétitions utilisant ce terme au sujet des Ouïghours, car je ne voulais pas me dissocier de mouvements – dont je salue certains représentants assis dans les tribunes – qui dénoncent des crimes inacceptables.

Néanmoins, la proposition de résolution engage la parole de la France et les mots doivent être pesés avec justesse et précision. Historienne de formation, je sais qu'il n'y a pas de consensus au sein de la communauté scientifique pour parler de génocide. Comme l'ONU, j'ai bien sûr été troublée par le rapport de Londres. J'aurais aimé que le pouvoir français fasse entendre la cause des Ouïghours dans ses relations diplomatiques avec la Chine et exige que l'ONU puisse mener son travail d'enquête afin de déterminer la nature et l'ampleur exacte de ce qui se déroule.

Utiliser ou non le terme de génocide est une question juridique et politique. Le génocide est l'intention revendiquée, affirmée, systématique, d'exterminer tout ou partie d'un peuple. Je ne sais pas si nous pouvons désigner les crimes effroyables perpétrés contre les Ouïghours par le terme qui qualifie ce qu'ont subi les Juifs, les Arméniens ou les Tutsis. Ce dont je suis convaincue, c'est qu'il existe un risque, une dynamique génocidaire. Sans doute l'emploi de ces termes aurait-il permis un consensus plus large. Notre responsabilité est de le dire et de contribuer à arrêter cette dynamique.

Cependant, si génocide il y a, comment peut-on envoyer une délégation aux Jeux olympiques de Pékin, nouer des partenariats commerciaux et même entretenir des relations diplomatiques avec la Chine ? Combler la faiblesse des actes par l'inflation des mots ne sauvera en rien les Ouïghours. Je formule le vœu que l'unanimité qui se dessine aujourd'hui pour la défense du peuple ouïghour se traduira dans la durée par des actes qui empêcheront que ne se produise et ne se répète le pire de l'inhumanité.

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