Intervention de Cédric Villani

Séance en hémicycle du jeudi 20 janvier 2022 à 9h00
Condamnation des crimes perpétrés contre les ouïghours — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani :

L'année 1964 n'était pas seulement l'année de la reconnaissance de la Chine ; elle était aussi celle de la première campagne internationale d'une association promise à un essor extraordinaire : Amnesty International, respectée dans le monde entier pour sa ténacité à défendre les droits humains, pour sa rigueur et son indépendance. Avec d'autres, cette association a permis de produire tout un corpus de documents et de témoignages rigoureusement recueillis et recoupés sur le quotidien dans la province chinoise du Xinjiang. Cette documentation a permis à la secrétaire générale d'Amnesty International d'affirmer : « Les autorités chinoises ont créé un environnement dystopique cauchemardesque à une échelle stupéfiante dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Les Ouïghours, les Kazakhs et les autres minorités musulmanes sont victimes de crimes contre l'humanité et d'autres graves violations des droits humains qui menacent de faire disparaître leur identité religieuse et culturelle. »

Déjà, en 2014, peu après l'arrivée au pouvoir du président Xi Jinping, l'intellectuel ouïgour Ilham Tohti, professeur d'université prônant le dialogue entre les cultures, avait été condamné à la prison à vie pour un site internet jugé subversif. En 2019, le Parlement européen lui a attribué le Prix Sakharov des droits de l'homme, mais, depuis des années, nous n'avons plus de nouvelles de lui.

À partir de 2017, les persécutions ont empiré sous prétexte de lutte contre le terrorisme : arrestations arbitraires, tortures physiques et psychiques, parfois jusqu'à la mort, viols répétés, endoctrinement politique et assimilation forcée, internements de masse, coups, décharges électriques, positions inconfortables imposées des jours durant, privation de sommeil, températures glaciales. Il y a quelques jours, à l'invitation de l'Institut ouïghour d'Europe, nous entendions les témoignages poignants de deux de ces prisonniers rescapés, deux parmi les centaines de milliers internés dans ces camps, pudiquement nommés « camps de formation » ou « camps de rééducation ».

La vie au Xinjiang, c'est aussi le travail forcé, en particulier pour la production de coton, et la surveillance de masse. Selon Amnesty International, « les musulmans du Xinjiang sont parmi les populations les plus étroitement surveillées au monde ». La vie au Xinjiang, c'est aussi l'éradication de la religion et de la langue, la destruction – d'après ce que révèlent les images satellitaires – de 16 000 mosquées et le contrôle brutal de la natalité, par la stérilisation, les avortements forcés et les placements d'enfants.

« Les mots de vérité manquent souvent d'élégance », disait Lao Tseu. En l'occurrence, la vérité est simplement atroce : ce grand pays, qui sait planifier et organiser mieux que quiconque, a planifié et organisé une opération de réduction, par la force, de la présence ouïghoure au Xinjiang. Les documents qui ont fuité sur les analyses et les intentions du Président Xi Jinping et du responsable du parti communiste chinois au Xinjiang, Chen Quanguo, authentifiés par des experts indépendants, sont révélateurs de la volonté d'État qui préside à cette persécution.

En vérité, les faits établis au Xinjiang couvrent toutes les pratiques définies comme constitutives d'un génocide par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par les Nations unies en 1948. Parmi ces pratiques, on peut citer, par exemple, une atteinte grave à l'intégrité physique ou morale des membres d'un groupe ou des mesures visant à entraver totalement ou partiellement les naissances au sein de ce groupe.

De fait, le tribunal ouïghour de Londres, doté d'un jury indépendant et sans lien avec la cause ouïghoure, composé d'experts reconnus et travaillant pro bono, selon une méthodologie rigoureuse et transparente, a conclu, en décembre dernier, qu'en l'espèce le génocide était caractérisé. Il est temps, pour notre assemblée, de faire de même et je remercie le groupe Socialistes et apparentés de nous en donner l'occasion aujourd'hui.

Ce débat s'inscrit dans la continuité de l'action d'autres parlementaires, tels que Raphaël Glucksmann, inlassable défenseur de la cause ouïghoure au Parlement européen, Hubert Julien-Laferrière, qui fut le premier, dans cet hémicycle, à demander au Gouvernement de reconnaître les crimes contre l'humanité perpétrés en Chine ,

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