Intervention de Bruno Studer

Séance en hémicycle du mardi 25 janvier 2022 à 15h00
Restitution des biens culturels des victimes de persécutions antisémites — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Je ne reviendrai pas sur le caractère exceptionnel de la loi que nous examinons aujourd'hui ni sur le principe d'inaliénabilité – Mme la ministre et Mme la rapporteure s'en sont chargées avec talent.

En revanche, je tiens souligner combien ce texte est l'aboutissement d'une recherche de provenance longue et méticuleuse effectuée par la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations et par les services du ministère de la culture que je félicite.

À la lecture de l'étude d'impact, on ne peut qu'être frappé par la singularité et la complexité du parcours de ces œuvres. Toutes, néanmoins, ont en commun de témoigner de destins et de vies brisées par les persécutions antisémites, entre 1933 et 1945, en France et en Europe.

L'essentiel des restitutions des œuvres pillées par l'occupant nazi a eu lieu dans l'immédiat après-guerre par la Commission de récupération artistique, grâce notamment à l'inventaire contradictoire établi en secret par Rose Valland, attachée de conservation au musée du Jeu de paume. Le travail de restitution fut délaissé après cet effort initial, laissant encore quelque 2 000 œuvres en dépôt dans les musées nationaux – les fameuses œuvres MNR, Musées nationaux récupération, dont il n'est pas question ici.

Il fallut attendre cinquante ans pour que la France accepte de rouvrir ce chapitre et de regarder son histoire en face. Le discours de Jacques Chirac de 1995, qui reconnaît la responsabilité de la France dans la déportation des juifs de France ouvre la voie à cette introspection. La mission confiée à Jean Mattéoli en 1997, puis la création, deux ans plus tard, par le Premier ministre Lionel Jospin, de la CIVS, réaffirment l'actualité du processus de restitution, qualifié par le Premier ministre Alain Juppé de devoir national.

Malgré l'important travail effectué par la CIVS depuis sa création il y a plus de vingt ans, la politique française en matière de restitution des œuvres spoliées a fait l'objet de critiques, exprimées notamment dans deux rapports d'information, l'un du Sénat en 2012 et l'autre de l'Assemblée nationale en 2014. C'est en effet « un domaine dans lequel nous devons faire mieux », comme l'a réaffirmé le Premier ministre Édouard Philippe lors de la commémoration de la rafle du Vél d'Hiv en 2018. L'extension des pouvoirs de la CIVS en 2018 et la création en 2019, au sein du ministère de la culture, d'une mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 participent de cette démarche, et je veux saluer ici le rôle de l'actuel Premier ministre Jean Castex pour faire respecter la parole donnée par le Président de la République, Emmanuel Macron. Le texte que nous examinons aujourd'hui est le résultat de cette politique volontariste. Mais on ne peut pas s'en contenter.

Si, pendant longtemps, la question de la provenance n'a pas été centrale, elle s'impose aujourd'hui comme une nouvelle exigence. La France s'est d'ailleurs engagée à y répondre lors de la conférence de Washington en 1998. Depuis 2013, l'État recherche de manière très active les ayants droit des propriétaires d'œuvres MNR et, depuis 2020, les recherches de provenance des œuvres qu'il a acquises entre 1933 et 1945 se systématisent progressivement. Mais nous devons encore aller plus loin pour étendre cette démarche à l'ensemble des collections publiques et ne plus se limiter aux seules œuvres acquises pendant l'Occupation. Il faut également faciliter et stimuler la recherche sur les collections au sein des musées, y compris par des chercheurs extérieurs. Au-delà de l'investissement de la CIVS et du ministère de la culture, je tiens à cet égard à saluer le travail des historiens, notamment des historiens de l'art, pour leur contribution à notre connaissance de la période.

Il s'agit du premier texte de ce type que nous examinons et déjà nous nous interrogeons sur l'opportunité d'une loi-cadre pour la restitution de l'ensemble des œuvres spoliées durant la période nazie. En effet, de l'aveu des spécialistes, le nombre d'œuvres concernées dans les collections publiques est amené à se multiplier dans les années qui viennent. Je comprends l'intérêt de définir une procédure administrative générale permettant la sortie des objets concernés des collections publiques, mais au regard de la diversité de parcours des œuvres je ne suis pas certain qu'une loi-cadre permette en effet dans l'immédiat, madame la ministre, d'appréhender toutes les situations. Surtout, elle se substituerait à la solennité d'un vote de restitution par le Parlement, qui constitue, en tant que tel, un moment fort de reconnaissance par l'État du destin tragique des propriétaires de ces œuvres et de sa propre responsabilité.

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