Rares sont les moments, nous ne le savons que trop bien, où nous pouvons prendre le temps de la réflexion sur notre pratique parlementaire. Plus rares encore sont ceux où nous pouvons avoir la chance de modifier les conditions dans lesquelles nous examinons démocratiquement le budget social de la nation.
André Fanton, le rapporteur de la première loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, adoptée en 1996, souhaitait « en finir avec le silence du Parlement ». Force est de constater qu'après une seconde réforme organique en 2005 et vingt-cinq ans de pratique, le Parlement s'exprime désormais chaque automne de façon approfondie sur les finances sociales.
L'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) offre l'occasion de discuter démocratiquement de plus de 600 milliards d'euros de dépenses, l'effort de politique publique le plus massif de notre nation.
Ses praticiens, que je vois réunis sur les différents bancs de l'hémicycle, connaissent sa valeur, la diversité des sujets qu'elle permet d'aborder, qu'il s'agisse de la santé de nos concitoyens, de leurs familles, de leur maintien en autonomie et, plus généralement, de la protection envers l'ensemble des risques sociaux.
Ce texte unique, cette vigie sur les moyens que la nation affecte à notre sécurité sociale et sur la manière dont nous choisissons de les répartir, constitue un acquis démocratique indispensable. Je sais qu'il existe parfois la tentation de rapprocher les lois de financement et les lois de finances de l'État, notamment pour ce qui relève des discussions sur les recettes. Ce serait à mon sens une erreur funeste, pour au moins trois raisons.
Tout d'abord, cela n'aurait pas de sens, compte tenu du maintien d'une partie rectificative de l'année en cours au sein des lois de financement, ce qui aboutirait à découper le texte en parties incohérentes. Ensuite, la lisibilité des débats n'en serait pas plus grande, puisque l'expérience montre que la grande majorité des mesures de recettes discutées au sein de la loi de financement ont un impact direct dans le seul champ de la sécurité sociale. Enfin, cela ne permettrait même pas de gagner du temps parlementaire, si c'est bien ce que les promoteurs de cette idée recherchent, puisque la loi de financement est régulièrement examinée dans son ensemble en un temps contraint, comme nous ne le savons que trop bien. À l'inverse, un débat commun aurait pour seul effet de repousser l'examen des recettes de la sécurité sociale en fin de débat, amoindrissant la qualité du contrôle démocratique que nous exerçons à leur endroit.
La loi de financement est donc désormais bien inscrite à l'intersection des démocraties parlementaire et sociale. Mais si le Parlement n'est plus silencieux, dispose-t-il pour autant des moyens de se faire entendre ?
Mon expérience de parlementaire, puis de rapporteur général depuis deux ans, m'a permis de m'attacher à cet exercice mais aussi d'en constater les limites. C'est tout le sens et l'ambition de la proposition de loi organique que j'ai déposée il y a plus de six mois sur le bureau de notre assemblée.
Issu de nombreuses réflexions que partagent le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS), la Cour des comptes ou encore nos homologues du Sénat, ce texte doit permettre au Parlement de disposer du temps, des informations et des moyens pour parler désormais d'une voix forte.
S'agissant du temps, tout d'abord, la loi organique que je vous propose lèvera l'une des principales contraintes qui pèse, si ce n'est sur notre droit d'amendement, du moins sur sa mise en pratique : le projet de loi de financement sera déposé non plus le 15 octobre au plus tard comme actuellement mais le premier mardi d'octobre. Cette semaine gagnée sera au bénéfice de l'ensemble de l'Assemblée, je le crois sincèrement.
La première partie des lois de financement, bien délaissée actuellement, il faut le dire, deviendra demain la loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale. Examinée au mois de juin, elle constituera l'aboutissement de ce que notre majorité a introduit durant cette législature, à savoir le Printemps social de l'évaluation. Nul doute qu'outre l'examen des comptes clos, ce moment sera l'occasion de faire chaque année le bilan de l'application des lois de financement et nourrira les réflexions pour l'automne, dans le cadre d'un cercle budgétaire vertueux et complet.
S'agissant des informations, ensuite, la loi de financement de l'année comme la loi d'approbation des comptes seront accompagnées de documents rénovés, modernisés et étendus.
Des documents rénovés : les annexes comporteront des informations approfondies sur des sujets comme l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) ou les exonérations de cotisations et de contributions sociales, qui seront évaluées pour chacune d'entre elles tous les trois ans. C'est un prérequis essentiel pour améliorer la qualité de notre débat annuel sur les recettes.
Des documents modernisés, ensuite : dans la lignée de la loi relative à la modernisation des finances publiques, nous avons prévu que les données issues des annexes puissent être fournies dans un format électronique ouvert et réutilisable, offrant à tous les parlementaires la possibilité d'évaluer par eux-mêmes les évolutions des finances sociales.
Des documents étendus, enfin et surtout : de nouvelles annexes compléteront celles dont nous disposons déjà, afin de donner à notre assemblée toutes les informations relatives à l'évolution de la protection sociale. Nous serons ainsi informés de la situation financière des établissements de santé, de leur trajectoire d'endettement, mais aussi des comptes prévisionnels et exécutés des régimes de retraite complémentaire et d'assurance chômage.
Certains amendements prévoient d'intégrer ces régimes dans le champ des lois de financement. En dépit de leurs nombreuses ressemblances avec les régimes de base de la sécurité sociale, il me semble prématuré de s'engager en ce sens, au vu des positions des partenaires sociaux. À défaut d'être muet, le Parlement reste borgne s'il ne dispose pas d'informations sur des pans de la protection sociale qui concernent des millions de nos concitoyens.
S'agissant des moyens, je suis particulièrement fier que ce texte se traduise par un renforcement des liens entre démocratie parlementaire et démocratie sociale. Les avis des caisses de sécurité sociale ne seront en effet plus rendus au Gouvernement sur l'avant-projet de loi mais au Parlement sur le projet de loi déposé. Les caisses auront quinze jours pour nous faire connaître le contenu de leurs avis, qui contribueront à améliorer sensiblement la qualité de nos débats.
Ce texte est aussi celui d'une démocratie adulte, qui a conscience que nous ne pouvons pas nous résigner à abandonner l'objectif d'équilibre des comptes sociaux, qui était au cœur de l'ambition des lois de financement au moment de leur création par le constituant en 1996.
Au-delà de nos désaccords, je veux éviter deux écueils, deux positions contradictoires et aussi néfastes l'une que l'autre.
La première est de considérer que la protection sociale serait un tonneau des Danaïdes, un puits sans fonds dans lequel il serait possible, sans nulle conséquence, d'entretenir des déficits immodérés sans examiner l'efficacité des dépenses à laquelle contribuent l'ensemble de nos concitoyens. Indépendamment de nos divergences, je crois que nul ne peut raisonnablement tenir un tel raisonnement sans menacer, à terme, l'existence même de la protection sociale.
La seconde position, qui anime certains amendements, consisterait à l'inverse à prévoir un retour à l'équilibre aussi rapide que possible, sans tenir compte des efforts méritoires et parfaitement justifiés qu'ont fournis les finances sociales au cours de la crise sanitaire. Rétablir l'équilibre, oui ; au détriment de notre système de santé ou de la vigueur de notre économie, non.
C'est pourquoi ce texte adopte une position médiane. Tout en continuant de piloter la sécurité sociale par les soldes, comme c'est sa raison d'être, le compteur des écarts en dépenses que nous avons adopté en première lecture est un gage supplémentaire de responsabilité et de crédibilité. Ce n'est pas une règle d'austérité : chaque gouvernement, chaque majorité sera libre de s'engager, en début de législature, sur la trajectoire de dépenses qu'elle souhaite. Mais le Parlement, donc les citoyens, pourront demander des comptes si la trajectoire n'est pas tenue, charge au gouvernement en place de fournir des justifications voire d'apporter des corrections.
C'est dans ce même état d'esprit que j'ai proposé une règle de limitation de la durée des exonérations de cotisations et de contributions sociales, fixée à trois ans. Seules les lois de financement pourront créer des exonérations pérennes, ou pérenniser des exonérations récemment créées, sous réserve qu'elles aient fait la preuve de leur efficacité. Cette règle, qui s'applique aux parlementaires comme au Gouvernement, est une innovation juridique réelle. Il y va du rôle de vigie des lois de financement sur les finances sociales : c'est le moment où l'on peut déterminer avec précision et sincérité le niveau de recettes qu'on souhaite allouer à la protection sociale. Il n'existe aucune justification à ce que l'on examine l'efficacité des exonérations de cotisations sociales avec plus de magnanimité que celle des dépenses.
Mes chers collègues, je le disais en préambule : rares sont les occasions de rénover l'architecture de la protection sociale. Une loi organique engage non seulement notre législature finissante mais aussi les législatures à venir, jusqu'à ce que l'ouvrage soit remis sur le métier. C'est pourquoi, en dépit des divergences politiques profondes qui ont causé l'échec de la commission mixte paritaire (CMP) avec le Sénat, j'ai proposé en commission d'avancer vers une position commune.
C'est en ce sens que j'ai recommandé de reprendre les dispositions du Sénat relatives à la Cour des comptes et que j'ai aménagé la procédure d'avis des commissions des affaires sociales sur les décrets de relèvement des plafonds d'endettement de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), désormais nommée URSSAF Caisse nationale.
C'est en ce sens que j'ai repris la proposition consistant à demander au Gouvernement, en cas de remise en cause des conditions générales de l'équilibre financier définies par la LFSS, de déposer immédiatement un rapport au Parlement pour en expliquer les raisons.
C'est en ce sens, enfin, que je vous proposerai un amendement visant à améliorer l'information du Parlement si la dotation versée à un fonds ou à une agence dépasse inconsidérément le montant inscrit en annexe des lois de financement de la sécurité sociale de l'année.
J'invite le Sénat – j'ai bon espoir, après mes derniers échanges avec M. le rapporteur du Sénat, Jean-Marie Vanlerenberghe, qu'il y consente – à adopter cette proposition de loi dans les mêmes termes que ceux dans lesquels nous allons l'approuver aujourd'hui. Le Parlement dans son ensemble aura ainsi défini les conditions dans lesquelles il souhaite, pour les années à venir, examiner et écrire l'avenir de la sécurité sociale.
Chers collègues, je vous appelle à adopter ces propositions de loi organique et ordinaire relatives aux lois de financement de la sécurité sociale et à accomplir ainsi le vœu de Pierre Laroque de « développer notre démocratie politique en une vraie démocratie sociale ».