Madame la présidente de la commission des affaires européennes, chère Sabine Thillaye, mesdames et messieurs les députés, je tiens d'abord à vous remercier pour votre invitation. Je suis honorée d'inaugurer aujourd'hui le cycle des auditions que vous tiendrez tout au long de cette nouvelle législature. Je suis heureuse que nous puissions dès à présent commencer à échanger sur les grands dossiers européens. Je sais que je peux compter sur votre engagement et votre implication sur ces dossiers. Votre action est fondamentale pour que l'ensemble des commissions et l'Assemblée nationale elle-même puissent jouer pleinement leur rôle sur les questions européennes. C'est pourquoi j'attacherai une importance toute particulière à ce que notre dialogue soit aussi dense que possible. Je souhaite travailler avec vous, sans relâche, pour que la voix de la France au sein de l'Union européenne soit entendue et pour défendre partout une vision ambitieuse du projet européen.
Pour cette première audition, j'aimerais, mesdames et messieurs les députés, vous présenter tout d'abord, comme m'y a invité Mme la présidente, les priorités du Gouvernement au niveau européen, avant d'évoquer les plus proches échéances et de vous dire quelques mots de la méthode de travail que le Gouvernement s'est fixée en la matière.
Vous le savez, le Président de la République s'est engagé en faveur d'une Europe ambitieuse, d'une Europe fière d'elle-même – cet espace unique allie protection des libertés, encouragement à l'esprit d'entreprise et justice sociale ; nulle part ailleurs dans le monde on ne trouve un espace qui défende avec autant de vigueur ces trois grands principes –, une Europe fière d'elle-même, donc, qui ose assumer un rôle moteur dans de nombreux domaines, de l'économie au climat. Cependant, des inquiétudes se sont manifestées depuis des années, en France comme dans de nombreux pays européens, quant à l'évolution du projet européen, mal compris et parfois mal accepté. Ne nous y trompons pas : au vu du nombre de suffrages qui se sont portés sur des candidats que l'on qualifie globalement d'eurosceptiques, elles se sont aussi exprimées cette année à l'occasion de l'élection présidentielle et des élections législatives. Disons les choses : l'Europe est perçue comme trop lointaine, trop peu transparente et trop technocratique. Si nous faisons le bilan de notre année électorale, nous pouvons en conclure que les Français aiment l'Europe, pas forcément la façon dont elle fonctionne aujourd'hui, et qu'ils s'inquiètent de savoir si l'Europe les aime vraiment.
Il est donc indispensable de démontrer aux Européens, en particulier aux Français, que leur sécurité, leurs valeurs et le modèle social et économique auquel ils sont attachés, loin d'être menacés, sont au contraire renforcés par l'Union européenne. Il faut que l'Europe puisse mieux les protéger face au terrorisme, face au changement climatique, face au commerce inéquitable ou, plus largement, face aux effets négatifs de la mondialisation. C'est à l'échelle européenne, et à l'échelle européenne seulement, que nous pourrons mieux réguler la mondialisation, en mobilisant le dynamisme d'un continent plus prospère, plus pacifique, plus généreux, plus ouvert que les autres.
C'est le sens de l'« Europe qui protège » que le Président de la République a promue dès le Conseil européen des 22 et 23 juin derniers et qui inspire l'action du Gouvernement.
Une Europe qui protège, c'est d'abord une Europe qui assure la sécurité de ses citoyens. Les attentats à Londres et à Manchester nous l'ont rappelé, tout comme les tentatives avortées à Paris ou à Bruxelles : la lutte contre le terrorisme doit demeurer une priorité de l'agenda européen. Les discussions en cours sur le paquet dit « frontières intelligentes » nous permettront de mieux contrôler les frontières extérieures de l'Union, notamment pour repérer les éventuels retours de djihadistes étrangers, mais nous devons aller plus loin pour lutter contre l'utilisation d'internet par les réseaux terroristes, qu'il s'agisse de permettre l'accès aux services cryptés par les services d'enquête ou d'obtenir le retrait automatique par les acteurs de l'internet des contenus appelant à la haine ou à commettre un acte terroriste. Les orientations du Conseil européen des 22 et 23 juin derniers vont nous permettre de progresser dans ces domaines, sur la base de propositions législatives que la Commission européenne a mandat de présenter.
Une Europe qui protège, c'est aussi une Europe qui défend les citoyens et les entreprises en favorisant une mondialisation régulée. Cela passe, notamment, par la défense des intérêts européens dans les négociations commerciales internationales. Rappelons-le, car on ne l'entend pas assez souvent : l'Europe bénéficie du libre-échange, qui offre des opportunités à ses entreprises. Mais ne soyons pas naïfs : l'ouverture des marchés doit être réciproque, qu'il s'agisse de la circulation des marchandises ou de l'accès aux marchés publics, et le dumping doit être systématiquement combattu. Nous devons également redoubler de vigilance s'agissant des investissements étrangers dans nos secteurs stratégiques.
Lors du dernier Conseil européen, la nécessité de renforcer nos mesures anti-dumping et de moderniser nos instruments de défense commerciale a été reconnue. De même, nos partenaires les moins enclins à peser en faveur d'une régulation du libre-échange – nous le savons, il s'en trouve parmi les États membres de l'Union européenne – ont évolué et comprennent désormais l'importance de l'instauration d'une réciprocité en matière d'accès aux marchés publics. L'annonce récente d'un accord de principe entre l'Union européenne et le Japon, aux détails duquel il faut encore travailler, témoigne de cette évolution ; il affirme en effet la réciprocité de l'accès aux marchés publics de l'Union européenne, totalement ouverte, et le Japon, dont on sait qu'il ne l'était pas. Quant à la surveillance des investissements dans les secteurs stratégiques, nous souhaitons engager la Commission dans un travail d'analyse et de partage d'informations que nous estimons nécessaire. Soyons honnêtes toutefois : nous sommes au début du chemin.
Si la lutte contre le dumping doit être au coeur de la politique commerciale européenne, l'Union doit aussi permettre de lutter efficacement contre cette autre forme de dumping qu'est le dumping social. Cela implique une révision de la directive sur le travail détaché et du règlement sur la sécurité sociale. Je me réjouis de l'intérêt que vous portez à ce sujet, comme en témoigne la création d'un groupe de travail dédié dont je suivrai attentivement les travaux. Notre détermination est très forte. La ministre du travail, moi-même, le Premier ministre mais aussi le Président de la République sommes tous totalement mobilisés. Nous avons défini des objectifs clairs sur la rémunération, en application du principe « à travail égal, salaire égal dans le même pays », sur la lutte contre la fraude, sur la limitation des périodes de détachement dans le temps ou encore sur le lien avec le transport routier. Des contacts techniques et politiques sont pris avec l'ensemble de nos partenaires, notamment sur la base d'un accord franco-allemand réaffirmé lors du Conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet dernier. Nous le faisons dans un esprit européen, pour une convergence par le haut qui bénéficiera à tous ; notre conviction est effectivement que la situation actuelle ne fait que des perdants. Cela suppose de ne pas opposer l'Est et l'Ouest de l'Europe et de discuter directement, en particulier, avec les pays du groupe de Visegrád – Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie – ou encore la Roumanie, l'Espagne ou le Portugal. C'est ce que le Président de la République a engagé dès le Conseil européen le 22 juin et que nous sommes en train de poursuivre. C'est ainsi que nous cherchons à dégager un consensus satisfaisant pour cet automne.
Une Europe qui protège, c'est aussi une Europe qui sait faire preuve de solidarité et d'efficacité dans la gestion de la crise migratoire qu'elle traverse. L'Union européenne est confrontée, depuis deux ans, à un afflux sans précédent de migrants et de réfugiés. Ce défi exceptionnel appelle une réponse forte de notre part, qui allie le contrôle effectif de nos frontières et le respect exigeant de nos valeurs. Plusieurs réformes structurelles sont en cours de discussion, notamment sur le régime européen de l'asile, qui doit reposer sur un équilibre entre responsabilité et solidarité. Nous devons aussi redoubler d'efforts pour contribuer à stabiliser la Libye, ce qui, bien sûr, prendra du temps, et renforcer notre engagement envers les pays d'origine et de transit des migrants.
Il est également essentiel que nous tenions nos engagements vis-à-vis des pays européens de première ligne que sont la Grèce et l'Italie. C'est ce que nous faisons, en témoigne le plan d'action rendu public par le Premier ministre le 12 juillet dernier, notamment en matière de relocalisation de personnes en besoin de protection. Je me rendrai moi-même en Italie la semaine prochaine et j'aurai l'occasion de rediscuter de ces questions avec nos amis italiens.
L'Union doit également, face à un monde devenu beaucoup plus dangereux, beaucoup plus menaçant, s'affirmer à l'extérieur de ses frontières. C'est la raison pour laquelle la France joue pleinement son rôle pour contribuer à la construction d'une Europe de la sécurité et de la défense, avec l'objectif d'une autonomie stratégique de l'Union européenne ; l'expression n'est désormais plus taboue, ce qui montre combien le monde évolue. Le dernier Conseil européen a permis de progresser, d'abord sur la voie de la mise en place d'un véritable fonds européen de défense, qui permettra de financer la recherche et les programmes capacitaires en matière de défense. Pour la première fois, nous allons disposer collectivement de financements communautaires mobilisables, de façon très encadrée, dans le secteur de la défense. Ensuite, nous avons posé le principe d'une coopération structurée permanente en matière de défense, c'est-à-dire un ensemble d'engagements plus forts en matière de dépenses, de capacités et de missions extérieures. Nous travaillons en priorité avec nos partenaires allemands, comme le 13 juillet dernier lors de la réunion du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité, afin de définir une liste d'engagements contraignants, avec des dispositifs d'évaluation spécifiques. Cette proposition franco-allemande pourra former la base d'un accord européen plus large, qui garantit – nous y sommes attentifs – un haut niveau d'ambition pour le futur dispositif. Il faut avancer au même rythme sur les deux sujets, le fonds européen de défense et la coopération structurée permanente ; nous y sommes attentifs.
Cet agenda de protection, nous le promouvrons lors des rendez-vous qui rythmeront les prochains mois sous la présidence estonienne, qui s'est ouverte le 1er juillet. J'ai accompagné le Premier ministre à Tallinn juste avant le début de cette présidence pour insister sur nos priorités auprès des autorités estoniennes.
Nous avons de nombreux rendez-vous importants devant nous. Je pense d'abord à la réunion du Conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » (EPSCO) du 23 octobre prochain où les ministres du travail reviendront sur le détachement des travailleurs. Je pense aussi au sommet de Göteborg sur les droits sociaux, qui se tiendra le 17 novembre, et qui doit permettre des avancées concrètes sur le socle européen des droits sociaux proposé par la Commission européenne au mois d'avril dernier. Et le sommet Union européenne-Afrique, qui se tiendra à Abidjan au mois de novembre prochain, devrait bien entendu être l'occasion de mieux articuler les enjeux de développement avec ceux de la sécurité et ceux des flux migratoires.
Je voudrais également mentionner les négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Vous le savez, une deuxième session de négociation avec les Britanniques se déroule en ce moment. Sans spéculer sur ses résultats, je voudrais insister sur l'importance de l'unité des Européens autour des deux phases définies par le Conseil européen le 29 avril dernier et acceptées par le Royaume-Uni. Nous devons d'abord nous concentrer sur les questions essentielles relatives au retrait du Royaume-Uni, à savoir les droits des citoyens de part et d'autre, la question des frontières et celle des modalités de calcul du règlement financier du départ du Royaume-Uni. C'est ce qui figure à l'ordre du jour des négociations cette semaine. C'est seulement dans un second temps, lorsque des progrès suffisants auront été réalisés – espérons-le, à l'automne –, que les autres sujets seront ouverts et que le négociateur pourra commencer à évoquer l'avenir des relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Cela suppose cependant des progrès suffisants, notamment sur le règlement financier de la séparation et le sort des citoyens européens résidant au Royaume-Uni. Michel Barnier, qui négocie au nom de l'Union européenne, a notre entière confiance.
Enfin, le Brexit ne doit pas éluder la réflexion sur l'avenir de l'Union européenne. Nous devrons dès cet automne définir le niveau d'ambition que nous voulons donner à l'Union à vingt-sept pour l'avenir. Nous avons encore un peu de temps devant nous mais nous devons l'utiliser à nous préparer, avec nos partenaires et la Commission européenne elle-même ; le discours sur l'état de l'Union que prononcera au mois de septembre le président Juncker est à cet égard très attendu – nous aurons certainement l'occasion d'en reparler.
Avant d'engager la discussion avec vous, permettez-moi, mesdames et messieurs les députés, de vous parler brièvement de la méthode de travail que nous avons définie avec le Gouvernement pour défendre nos positions le plus efficacement possible. S'impose d'abord la nécessité de faire preuve, en préalable aux discussions que nous engageons avec nos partenaires, de sérieux et de crédibilité en montrant que nous faisons les réformes promises et que nous respectons nos engagements, notamment budgétaires.
Mais j'aimerais ici insister sur deux convictions que je défendrai et qui sont partagées par l'ensemble du Gouvernement.
Première conviction, nous devons mieux nous coordonner avec notre partenaire allemand sur les sujets européens. Le couple franco-allemand demeure un moteur irremplaçable pour la construction européenne – vous êtes mieux placée que quiconque, madame la présidente, pour le savoir. Cette relation de travail étroite avec l'Allemagne, nous avons voulu la lancer dès le début du quinquennat, avec l'organisation, il y a une semaine exactement, du premier Conseil des ministres franco-allemand. Celui-ci a permis de donner une impulsion forte à la coopération entre nos deux pays, autour de projets concrets dans les domaines de l'éducation et de la culture, avec les classes bilangues, de la défense et de la sécurité, comme en matière économique et sociale ou encore sur le climat. Il a notamment permis d'évoquer des sujets sensibles comme l'union économique et monétaire, et l'avenir de la zone euro. Nous avons encore beaucoup de travail devant nous pour préciser les concepts, pour nous mettre d'accord sur une approche commune, mais la France et l'Allemagne sont pleinement mobilisées pour avancer.
Seconde conviction, il nous faut refonder le lien entre les citoyens et le projet européen. L'agenda de protection, que nous défendrons et que je vous ai présenté, devra d'abord répondre à cette insatisfaction qui s'est exprimée, notamment dans les urnes, par rapport à l'état de l'Union européenne, mais nous devons aussi prendre le temps d'écouter les critiques, d'engager le dialogue avec les déçus de la construction européenne, bien au-delà du cercle restreint des convaincus. C'est l'enjeu des conventions démocratiques que le Président de la République a l'ambition d'organiser, en France et dans tous les États membres qui le souhaiteront, pour redonner la parole aux citoyens. La participation de toutes les forces vives de la société sera essentielle. Je me réjouis que vous ayez créé, le 13 juillet dernier, un groupe de travail sur le sujet, qui, pourra, je l'espère, nous faire part prochainement de ses propositions.
Permettez-moi pour conclure de vous remercier encore pour votre accueil et de souhaiter à votre commission des travaux fructueux pour cette nouvelle législature.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.