D'abord, je tiens à remercier Sylvia Pinel et Jean-Luc Lagleize de s'être emparés du thème dont nous parlons. Leur rapport est bienvenu, car il permet d'adopter un regard objectif sur un certain nombre d'éléments et d'apporter un peu de lucidité, de recul et de raison dans un débat de société qui en manque parfois, qui cristallise les passions et qui donne lieu à quelques excès. Il est des esprits tristes pour lesquels il n'est pas de plus grand mal que l'aviation. Ils en ont fait un bouc émissaire et voient dans la décroissance le remède à tous les maux. Vous le savez, je ne suis pas un tenant de cette théorie.
Qu'on le veuille ou non, l'avion est une des plus éclatantes manifestations du génie humain. Il nous relie aux contrées les plus lointaines, nous rapproche des cultures les plus inconnues, nous permet de dialoguer avec le monde, de nous ouvrir à l'autre, de pacifier les relations entre les peuples, et, plus près de nous, de renforcer la cohésion du territoire.
La décroissance est un défaitisme, un renoncement, un déni de ce que nous sommes. Car nous sommes une nation d'inventeurs, d'aviateurs : nous sommes les héritiers de Blériot, de Mermoz et de Saint-Exupéry, dont les noms glorieux nous honorent et nous obligent. La France est le berceau d'Airbus, de Thales et de Safran, mais aussi de start-up que certains d'entre vous ont citées, comme Aura Aero, Elixir Aircraft ou Ascendance Flight Technologies.
Cette industrie, vitale pour l'attractivité de notre pays, pour notre économie et pour nos territoires, fait la fierté de la France et des près de 700 000 hommes et femmes qui se lèvent chaque jour pour repousser les limites du possible. C'est avec leurs savoir-faire, leurs compétences et leur excellence que nous mènerons à bien la transition écologique du transport aérien. Nous avons le droit d'y croire, parce que nous sommes une grande puissance aéronautique et parce que nous avons la chance inouïe de changer le cours des choses, pas seulement pour la France, mais pour le monde entier.
Tout cela est bien beau, me direz-vous, mais comment se projeter alors que le secteur traverse la pire crise de son histoire ? Il est vrai qu'avec la crise sanitaire, le trafic aérien a diminué. Il a même chuté très fortement, pour atteindre en 2020 des niveaux équivalents à ceux de la fin des années 1980. Pour y faire face, l'État a été au rendez-vous. Nous avons ainsi injecté des milliards d'euros pour sauver les compagnies nationales – Air France, bien sûr, mais aussi Corsair, Air Caraïbes et Air Austral. Nous avons aussi largement soutenu nos aéroports, comme en témoignent les 150 millions d'euros avancés pour l'année 2022.
Nous nous sommes mobilisés pour rouvrir les frontières au plus vite. La France a ainsi été l'un des premiers pays d'Europe à mettre en place le passe sanitaire. S'il est difficile de prévoir quand le trafic reprendra, la plupart des experts s'accordent à dire qu'il faudra attendre 2024 pour retrouver les niveaux de 2019.
Cependant, ne nous leurrons pas : tout ne redeviendra pas comme avant. Les comportements ont changé, et probablement pour longtemps : nos concitoyens sont devenus plus attentifs à leur empreinte carbone et, surtout, le télétravail et les visioconférences se sont généralisés, fragilisant pour un temps les revenus engendrés par le voyage d'affaires.
Dans ce contexte, si nous voulons que l'industrie aéronautique reste compétitive, l'ensemble du secteur doit évoluer – les constructeurs comme les aéroports et les compagnies aériennes. Autrement dit, c'est le moment idéal pour innover. À cet égard, notre ambition est claire : inventer l'avion bas-carbone, dans toutes ses composantes, et le commercialiser au plus tôt.
Nous nous donnons les moyens de nos ambitions. Avec le plan de relance, nous avons porté le soutien à la recherche aéronautique à 1,5 milliard d'euros sur trois ans, soit quatre fois plus que pendant la décennie précédente, tandis qu'avec France 2030, nous consentons un investissement de 1,2 milliard d'euros dans le secteur aéronautique.
Nous inventerons l'avion bas-carbone en suivant trois priorités, trois axes de travail – repris d'ailleurs par les instances européennes : une optimisation des trajectoires des avions ; la minimisation de la consommation des aéronefs par le recours à des matériaux plus légers, à des moteurs plus sobres et à des avions plus aérodynamiques ; enfin, comme l'ont dit certains d'entre vous, un remplacement progressif du kérosène par des alternatives durables, et ce pour le climat comme pour notre souveraineté.
À moyen et long terme, la piste de l'hydrogène est à l'étude ; à plus court terme, les carburants aéronautiques durables, alternatifs au kérosène, sont déjà là. Il est indispensable d'y recourir parce qu'ils sont à notre portée et nous permettent de diminuer nos émissions sans attendre.
L'été dernier, nous avons lancé un appel à projets pour développer en France une filière industrielle autour de ces carburants. Ce sont ainsi 200 millions d'euros qui viendront soutenir des projets de recherche, depuis les phases de recherche industrielle, en amont, jusqu'à la démonstration opérationnelle. D'ores et déjà, trois projets ont été présélectionnés : l'un vise à produire du biokérosène à partir de déchets agricoles et forestiers, un autre du kérosène synthétique à partir d'hydrogène renouvelable et de CO
Voilà où nous en sommes et quelles sont nos priorités, à l'échelle française. Toutefois, comme certains d'entre vous l'ont dit, nous ne pouvons nous contenter de raisonner à l'échelle de la France quand près des trois quarts des émissions de CO
L'objectif n'est pas de délocaliser la pollution mais bien de la réduire : à nous d'y veiller et de nous assurer du sérieux des mécanismes de certification. La plupart de mes homologues européens y sont attentifs : j'ai pu le constater lors du dernier Conseil TTE – transports, télécommunications et énergie –, qui s'est tenu en décembre 2021. Nous allons formuler des propositions en ce sens, notamment une forme de mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pour l'aérien.
Par ailleurs, vous le savez, la France soutient l'ambition du paquet dit Fit for 55, lequel inclut différentes mesures : une amélioration du signal prix carbone, l'électrification de tous les équipements au sol des aéroports ou encore un mandat d'incorporation obligatoire de carburants aéronautiques durables dans les aéroports européens. Je le redis ici : nous veillerons à concilier ambition environnementale et compétitivité du secteur. La transition écologique ne peut et ne doit pas se faire au détriment des hubs européens.
Enfin, le développement des biocarburants est un projet que nous devons défendre à l'échelle internationale. Les mandats d'incorporation doivent être beaucoup plus ambitieux. C'est à l'OACI que beaucoup de choses se jouent. Nous devrions avancer sur les discussions cette semaine, lors du sommet de l'aviation qui se tiendra à Toulouse jeudi et vendredi. L'objectif de celui-ci est précisément de rallier à notre objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 tous les États européens, mais aussi d'autres États dans le monde et, bien évidemment, des entreprises. Ainsi serons-nous en mesure de défendre cette ambition à l'OACI d'une voix assurée, forte et unie.
Bien sûr, tout cela ne sera pas simple. Je rappelle toutefois que, il y a cinq ans encore, les acteurs industriels n'envisageaient même pas l'idée de faire voler un avion bas-carbone. Aujourd'hui, tout le secteur y travaille. Le dossier avance vite mais il nous faut encore accélérer et, surtout, soutenir l'effort dans la durée.
Henry Ford, qui connaissait très bien le monde de l'industrie et un peu celui de l'aviation, disait : « Lorsque tout semble aller contre vous, souvenez-vous que les avions décollent toujours face au vent. » Cela reste vrai. Alors, qu'importent les voix qui s'élèvent contre eux et qui voudraient les clouer à terre. L'histoire de l'aviation est celle d'une lutte contre l'adversité. Les audacieux, les courageux, les téméraires qui ont fait de l'aéronautique française ce qu'elle est – aujourd'hui encore – ont toujours transformé cette adversité en force. Je ne doute pas qu'ils continueront car la décarbonation ne marque pas la fin de l'aviation mais bien un nouveau départ.