Intervention de Grégory Thuizat

Séance en hémicycle du lundi 31 janvier 2022 à 21h30
Évaluation du plan gouvernemental l'État plus fort en seine-saint-denis

Grégory Thuizat, secrétaire départemental du syndicat SNES-FSU 93 :

Je tiens à mon tour à remercier Mmes et MM. les députés pour cette invitation qui permet aux personnels d'enseignement, d'éducation et d'orientation d'être représentés par ma voix au titre du SNES-FSU 93, et qui permet également de donner une matière tangible à la réalité du service public de l'éducation dans le département de Seine-Saint-Denis.

Le rapport de la mission d'information de 2018 sur l'évaluation de l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis a eu le mérite de réaffirmer une forme de rupture d'égalité dans un département qui cumule pourtant des dispositifs dérogatoires. En matière d'éducation, le constat est sans appel : en Seine-Saint-Denis, 60 % des écoliers et des écolières et 62 % des collégiens et des collégiennes sont scolarisés dans un réseau d'éducation prioritaire (REP). Une phrase, extraite du rapport, avait retenu toute l'attention des personnels d'enseignement, d'éducation et d'orientation : « […] le moins bien doté des établissements parisiens est mieux doté que le plus doté des établissements de la Seine-Saint-Denis. » Ce constat n'était pas nouveau, puisqu'en 1998 déjà, à la suite d'une mobilisation sans précédent des personnels, le gouvernement, qui avait constaté à la fois la spécificité du département et le retard en matière de moyens humains et financiers qui lui étaient alloués, avait annoncé le recrutement de 3 000 postes supplémentaires. Depuis, c'est à une lente dégradation et à une lente saignée horaire que nous avons assisté dans le département, qu'il s'agisse des moyens horaires ou des moyens en matière de personnels dévolus au service public d'éducation.

Il est vrai que le déploiement de la mesure de dédoublement des classes de CP-CE1 et de grande section de maternelle en REP et en REP+ (réseau d'éducation prioritaire renforcé), depuis 2018, a engendré la création de postes. Néanmoins, il ne s'agit pas d'une mesure spécifique à la Seine-Saint-Denis. Outre le fait que ces dédoublements posent en eux-mêmes des difficultés dans le département, les moyens alloués aux classes non concernées par cette mesure aux directions d'école, aux dispositifs comme les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), aux établissements du second degré, à la vie et à l'inclusion scolaire ou encore aux pôles sociaux et santé, ces moyens ont été, par décompensation, largement insuffisants en Seine-Saint-Denis.

Depuis 2019 et les annonces du plan L'État plus fort en Seine-Saint-Denis, notamment son volet relatif à l'éducation nationale, sur lequel on pourra revenir dans le détail – en particulier quatre mesures annoncées le 31 octobre 2019 par le Premier ministre Édouard Philippe –, le personnel de l'éducation nationale s'est maintes fois mobilisé pour alerter sur ce déficit de moyens qui touche tous les métiers de l'éducation nationale, sans même parler des difficultés supplémentaires liées à la crise sanitaire, dont l'issue reste très incertaine. C'est la raison pour laquelle, très fréquemment, l'intersyndicale de l'éducation en Seine-Saint-Denis demande ce qu'elle appelle un plan d'urgence pour l'éducation en Seine-Saint-Denis.

Dans le rapport parlementaire, deux faits particulièrement saillants avaient retenu l'attention des personnels. Le premier est l'existence, de fait, d'une modalité subie d'exclusion scolaire, qui prenait la forme de l'absence d'enseignants et d'enseignantes devant les élèves. Le second est l'échec de la politique d'éducation prioritaire à réduire les écarts de réussite entre les établissements qui en bénéficient et les autres – dans le département de Seine-Saint-Denis en tout cas.

Nous avons bien évidemment réfléchi à ces deux problèmes – les organisations syndicales de Seine-Saint-Denis tout particulièrement. Il est vrai que la continuité de l'enseignement n'est toujours pas assurée en Seine-Saint-Denis, pour des raisons mécaniques : la direction départementale des services de l'éducation nationale, au niveau du rectorat de Créteil, nous répond très souvent que les remplacements de moins de quinze jours, « on ne sait pas faire ». Il y a donc une problématique quasiment logistique. Au-delà de ça, il est extrêmement difficile – j'insiste bien là-dessus – d'obtenir des chiffres et des données tangibles sur l'état du non-remplacement dans l'académie de Créteil et particulièrement en Seine-Saint-Denis. Lors du dernier comité technique académique (CTA), la FSU a demandé au recteur de l'académie de Créteil des chiffres sur les postes non remplacés ; il lui a été opposé une fin de non-recevoir.

Connaître le pourcentage de remplacement des enseignants en Seine-Saint-Denis n'est pas une fin en soi ; ce qui importe, c'est le temps scolaire des élèves, qu'ils ne peuvent pas rattraper. Cette perte avait été chiffrée dans le rapport : pour les enfants du département, elle correspondait à la perte d'une année sur l'ensemble de la scolarité.

La réalité de la Seine-Saint-Denis, encore aujourd'hui et particulièrement dans une période de crise sanitaire, ce sont des postes vacants ; mais cette réalité préexistait à la crise pandémique. Ce sont aussi des personnels non remplacés ; nous avons reçu de multiples alertes dans les établissements du département, certaines équipes étaient exsangues. Et pour cause ! Mmes et MM. les députés seront certainement intéressés par cette information : à la fin de l'année civile 2021, le rectorat de Créteil n'était plus en mesure budgétairement d'assurer les remplacements, faute de crédits. Il avait atteint son plafond d'emplois, ce qui signifie que des dizaines, des centaines d'heures ont été perdues par les élèves dans de nombreux établissements du département, dans lesquels les enseignants n'étaient pas remplacés. Cela n'avait rien de conjoncturel. Or une décision du Conseil d'État du 27 janvier 1988 impose au ministère de l'éducation nationale « […] l'obligation légale d'assurer l'enseignement de toutes les matières obligatoires inscrites aux programmes d'enseignement […] ». Cela signifie que l'État, ne remplissant pas cette obligation, déroge, et que cette dérogation est constitutive d'une faute.

Je pourrais donner des exemples précis ; ainsi, une demande d'audience adressée par le collège Jean-Lolive à Pantin le 17 novembre 2021, dans laquelle les enseignants pointaient avec les parents d'élèves qu'au 21 octobre, 832 heures d'enseignement avaient déjà été perdues et non remplacées – il s'agissait de remplacements longs, pas de remplacements de quinze jours : 158 heures en français, 83 en histoire-géographie, 141 en anglais, 83 en allemand. Cinq enseignants, absents de manière prévisible – pour congé parental ou congé maternité –, n'avaient pas été remplacés ; deux classes de troisième n'avaient pas eu de cours depuis la rentrée ; des classes de sixième n'avaient ni professeur de français, ni professeur d'histoire-géographie, ni professeur d'anglais.

Plus récemment, un autre exemple donne aussi à réfléchir. Dans la cité scolaire Henri-Wallon, qui rassemble un collège et un lycée à Aubervilliers, les personnels ont écrit le 18 janvier 2022 à M. le recteur de l'académie de Créteil pour signifier que, depuis le 8 novembre – soit neuf semaines –, une enseignante en anglais et une enseignante en histoire-géographie n'avaient pas été remplacées. Des classes étaient donc sans cours d'anglais et sans cours d'histoire-géographie ; une professeure documentaliste était également non remplacée depuis cinq semaines ; quatre collégiens ne bénéficiaient d'aucun accompagnement d'AESH (accompagnant d'élèves en situation de handicap), malgré une notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). À cela s'ajoutent évidemment des sous-effectifs chroniques en vie scolaire, que les collègues dénonçaient également. En une décennie – le rapport l'avait bien montré en 2018 –, une très forte hausse démographique est donc loin d'avoir été compensée par les moyens alloués, à la fois horaires et humains.

Le retard sur la question du bâti, sensible pour les collèges, est particulièrement critique pour les lycées. Quelques chiffres assez éloquents : entre 2011 et aujourd'hui – on a calculé sur une décennie –, on compte dans le département 11 309 collégiens supplémentaires, soit l'équivalent d'une vingtaine de collèges environ, et 8 780 élèves de lycée supplémentaires, hors post-bac. En même temps, depuis la rentrée scolaire 2018, sur l'ensemble du territoire cette fois-ci – mais on en verra la traduction dans la réalité de la Seine-Saint-Denis –, quasiment 8 000 postes ont été supprimés dans le second degré, soit l'équivalent de 175 collèges rayés de la carte.

Cette baisse de moyens, qui est un choix gouvernemental, s'est poursuivie, en particulier dans les collèges du département : moins vingt-deux équivalents temps plein (ETP), donc moins vingt-deux postes à la rentrée 2021 ; moins douze ETP programmés pour la rentrée 2022. Plus rien ne distingue aujourd'hui, en matière de dotations horaires – au bénéfice direct des élèves, s'entend –, un collège de l'éducation prioritaire d'un autre établissement. C'est un point extrêmement sensible. Il en va de même dans les équipes pluriprofessionnelles : on pourrait parler aussi de la médecine scolaire, des personnels de santé et sociaux, des établissements découverts en matière de postes d'infirmières ou d'assistantes sociales. La rupture d'égalité, qui a été signalée et signifiée par le rapport parlementaire, est plus que jamais une réalité.

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