Intervention de Erwan Guermeur

Séance en hémicycle du lundi 31 janvier 2022 à 21h30
Évaluation du plan gouvernemental l'État plus fort en seine-saint-denis

Erwan Guermeur, secrétaire départemental du syndicat Unité SGP Police 93 :

Je me concentrerai, pour ma part, sur la mise en œuvre du plan L'État fort en Seine-Saint-Denis dans la police nationale, après l'annonce de trois principales mesures : l'octroi d'une prime de fidélisation de 10 000 euros aux agents publics exerçant en Seine-Saint-Denis, la création de deux quartiers de reconquête républicaine (QRR) et la rénovation des bâtiments.

L'annonce de l'octroi de la prime de 10 000 euros a entraîné, dans un premier temps, la hausse des candidatures de fonctionnaires venus de départements limitrophes à la Seine-Saint-Denis, c'est-à-dire le Val-d'Oise, les Hauts-de-Seine et Paris. Nous en avons déduit que cette mesure avait atteint son objectif. Malheureusement, son effet n'a pas perduré et nous n'avons pas observé, dans les mouvements de personnel suivants, le même attrait pour le département. Peut-être cette baisse s'explique-t-elle par un manque de communication de l'administration. La prime aurait pu créer un véritable attrait pour la Seine-Saint-Denis, mais les agents étaient trop peu informés de ses modalités d'application et n'ont donc pas présenté leurs candidatures.

J'ajoute, s'agissant de la région administrative parisienne, que les mouvements y sont compliqués car il est difficile de faire venir des agents en Seine-Saint-Denis. Il s'agit essentiellement d'un problème de gestion interne entre les différentes directions. Des solutions relativement simples existent pourtant au-delà même du département. Le blocage des agents au sein d'une région administrative est d'ordre statutaire et lié à l'avancement. Or, chacun le sait, l'encadrement des fonctionnaires de police constitue une problématique majeure en Seine-Saint-Denis. Nos jeunes encadrants sont parfois mal formés et les blocages statutaires ne permettent pas d'attirer des fonctionnaires expérimentés. Reste que nous sommes régulièrement interrogés sur les modalités d'application de la prime de fidélisation territoriale. L'information ne circule toujours pas et les candidats désireux de travailler dans le département sont rares à se présenter.

Quelques chiffres maintenant. Malgré la mise en œuvre du plan L'État fort en Seine-Saint-Denis, les agents du corps d'encadrement et d'application (CEA) – les policiers que vous voyez au quotidien sur la voie publique – sont passés de 3 664 en 2015 à 3 637 en janvier 2022, soit trente de moins, alors que le département a connu une forte croissance démographique pendant la période, avec toutes les difficultés que cela représente. On estime que 300 agents supplémentaires seraient nécessaires pour répondre aux besoins de la Seine-Saint-Denis en matière de police, qu'il s'agisse du maintien de l'ordre dans les quartiers ou tout simplement de la mission première de la police, le secours aux personnes qui ont composé le 17, avec la voiture de patrouille. Ces chiffres, qui ont peu évolué, donnent le sentiment qu'il existe un plafond d'emplois indépassable en Seine-Saint-Denis. Les enjeux sécuritaires du département sont-ils réellement pris en compte ? Compte tenu de l'augmentation de la population, je le répète, 300 agents supplémentaires seraient aujourd'hui nécessaires en Seine-Saint-Denis !

La population recensée en 2013 était de 1 552 482 habitants ; elle est passée à 1 632 677 habitants en 2021. Il faut y ajouter tous les habitants de la Seine-Saint-Denis qui ne sont pas recensés et qui circulent dans le département dès qu'un conflit éclate au niveau international. Leur présence est alors observée dans des zones précises, telles que le quartier des Quatre-Chemins à Pantin ou celui des Six-Routes à La Courneuve, et se traduit par des trafics en tous genres – faux papiers, contrebande. Ces phénomènes mériteraient d'être mieux pris en considération, ce qui n'est pas possible avec les effectifs dont nous disposons.

Deux QRR ont été créés à Saint-Ouen et à La Courneuve. Au sein de chacun d'eux, la police se concentre sur un secteur donné, bien souvent au détriment d'autres secteurs. Le dimensionnement des unités chargées de traiter l'afflux d'interpellations dans ces secteurs donnés n'est pas toujours bien calibré, ce qui pose des problèmes sur le plan judiciaire, dans la gestion des gardes à vue et parfois dans le fonctionnement de tout le service. En effet, quand une unité spécifique est créée pour traiter une thématique, toutes les autres unités du commissariat sont en réalité laissées de côté. Les agents chargés d'assurer la gestion des procédures quotidiennes, notamment les gardes à vue, ne sont plus en nombre suffisant et doivent faire face à une surcharge de travail très importante. Or un agent qui travaille en permanence sous tension n'a qu'une idée en tête : demander son transfert dans un service où il travaillera plus tranquillement et où il aura les moyens d'assumer ses missions. Le surcroît de travail imposé aux unités a comme conséquence d'entraîner le départ des fonctionnaires de certains commissariats.

Dans un QRR, la création d'une unité spécifique pour mieux traiter une problématique n'atteint pas toujours son objectif. En revanche, elle entraîne un transfert de charge au détriment des autres unités. Ces unités spécifiques, appelées les brigades territoriales de contact (BTC), regroupent vingt-cinq fonctionnaires, mais ne travaillent pas dans l'ensemble du département. Compte tenu du plafond d'emplois que j'ai cité tout à l'heure, la création de QRR à Saint-Ouen, à La Courneuve et à Aulnay-sous-Bois a privé les petites circonscriptions du département de renforts en effectifs. Quand vingt-cinq fonctionnaires sont envoyés à Saint-Ouen ou à La Courneuve, ce sont vingt-cinq fonctionnaires de moins pour une autre circonscription. Du fait de la création des BTC, nous avons vu apparaître, dans des petites communes du département, une délinquance auparavant inexistante.

Les créations d'unités n'ont pas été anticipées et les commissariats qui ont dû les accueillir n'en avaient pas toujours la capacité. Cette situation a créé des tensions dans les services. Je pense en particulier aux conditions de travail des agents, qui se sont dégradées. La question du bien-être au travail devrait pourtant être prédominante dans la police nationale. Les politiques sécuritaires qui se superposent – hier, les unités territoriales de quartier (UTEC) et les zones de sécurité prioritaire (ZSP) ; aujourd'hui, les QRR – et qui sont appliquées à marche forcée, sans anticiper, mettent sur le devant de la scène des unités dédiées à la mise en œuvre de la politique sécuritaire sans se soucier des conséquences que ces nouvelles structures auront sur la vie des services et des agents qui les composent.

J'oppose donc la mise en œuvre des politiques sécuritaires à la volonté de fidéliser les agents dans un département où, pour reprendre les mots de l'ancien Premier ministre Édouard Philippe lors d'un discours à la préfecture de la Seine-Saint-Denis, « tout est hors norme ». Les conditions de travail, l'accès à la formation, l'état des locaux et les cycles de travail permettant de concilier la vie professionnelle et la vie personnelle devraient constituer la priorité absolue. Un agent bien au travail est un agent épanoui et donc fidèle au poste qu'il occupe.

En ce qui concerne les annonces bâtimentaires, la construction de deux nouveaux commissariats, à Épinay-sur-Seine et à Aulnay-sous-Bois, d'ici à 2023, n'a pas encore démarré bien qu'elle ait été annoncée depuis longtemps, avant même le plan L'État fort en Seine-Saint-Denis. Des efforts ont bien été réalisés au cours des dernières années pour la rénovation de certains locaux, mais de nombreux bâtiments restent à la limite de l'insalubrité. La priorité a été donnée à la rénovation des locaux de rétention, qui accueillent les gardes à vue, ce qui est compréhensible. Néanmoins, quand les locaux dédiés à la vie des agents ne sont pas rénovés, les fonctionnaires en déduisent que l'administration ne prend pas en considération leurs conditions de travail et sont tentés de demander leur mutation.

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