Intervention de M'jid El Guerrab

Séance en hémicycle du mardi 1er février 2022 à 15h00
Influence de la diplomatie française

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaM'jid El Guerrab :

« La France ne peut être la France sans la grandeur ». Dans un monde en ébullition et de compétition à outrance entre les nations, cette célèbre parole extraite des Mémoires de guerre du général de Gaulle nous invite à l'introspection et à la réflexion. À votre initiative, monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, le Quai d'Orsay a tenté de répondre à cet appel le 14 décembre dernier, au siège de l'Alliance française, devant un parterre de diplomates, de conseillers culturels ou encore de dirigeants de grands opérateurs, au cours d'une cérémonie à laquelle j'ai eu le plaisir de participer. Vous y présentiez la feuille de route de l'influence de la diplomatie française, cherchant à répondre à la question somme toute gramscienne « Où s'arrête la puissance et où commence l'influence ? », partant du postulat que la conquête du pouvoir présuppose celle de l'opinion publique.

Le recours fréquent à l'expression anglo-saxonne soft power a ainsi traduit une évolution dans les relations internationales : l'hégémonie symbolique compte autant dans la balance des pouvoirs que les déterminants matériels classiques que sont la démographie, l'armée ou encore l'économie.

Si la France, depuis le Grand Siècle prolongé par celui des Lumières, a fait de son capital académique, linguistique et philosophique un outil puissant de son rayonnement, voire de son hégémonie culturelle jusqu'au tournant du XXe siècle, nombre de pays se sont depuis activés sur ce front afin d'accompagner leur montée en puissance économique, des États-Unis à l'ex-URSS, maintenant la Russie, du Japon à la Corée du sud, de la Chine à la Turquie.

Cette feuille de route de l'influence rappelle les différents atouts de notre pays et présente les priorités que sont la langue française, l'éducation, l'insertion professionnelle, l'enseignement supérieur, la recherche, les médias français à l'international ou encore les think tanks à développer jusqu'en 2030. Elle montre surtout que le sujet des guerres d'influence qui s'annoncent émerge enfin au sommet de l'État.

Mais l'influence est aussi une culture, longue à ancrer et coûteuse à entretenir. Elle suppose une inscription dans le circuit international des idées avec l'organisation d'événements internationaux ou la création de structures dédiées qui prendront du temps et exigeront des moyens financiers.

Ancrant notre diplomatie dans un horizon fondamentalement européen, cette feuille de route ambitionne de répondre à trois objectifs majeurs. Premièrement, elle entend cibler les jeunes publics pour faire émerger de nouvelles générations de francophiles ; deuxièmement, elle prétend défendre notre modèle de manière plus assumée, voire plus offensive, comme nous le faisons déjà sur le terrain du développement où nos propositions de partenariat articulent solidarité et souveraineté ; troisièmement, elle aspire à écouter la diversité du monde et à s'en nourrir à travers une diplomatie de proximité et une diplomatie des sociétés civiles.

Alors que le Quai d'Orsay n'a pas connu de réforme sous ce quinquennat hormis l'évolution de l'École nationale d'administration – ENA – et de la haute fonction publique, avec son corollaire qu'est la suppression du corps diplomatique, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a entendu moderniser son dispositif d'influence et son fonctionnement. Pour cela, il devient urgent d'accélérer la transformation numérique de notre réseau culturel, de développer nos capacités de projection dans les nouveaux espaces informationnels ou de réformer les ressources humaines du Quai d'Orsay. L'ouverture de l'accès aux métiers de la diplomatie à des profils plus divers, parfois atypiques ou issus de quartiers populaires, doit inscrire le ministère dans une politique audacieuse et agile en adéquation avec l'environnement mouvant qui l'entoure. La féminisation des postes d'encadrement au Quai d'Orsay doit encore se confirmer : dans ma circonscription, je ne compte que deux ambassadrices, trois consules générales et trois conseillères de coopération et d'action culturelle – COCAC – sur seize pays. Je voudrais saluer ici tout le dévouement et l'abnégation qu'elles mettent au service de leurs actions, dans des contextes politiques, sociaux et sécuritaires parfois difficiles. Je pense notamment à la Libye et à notre ambassadrice Béatrice Le Fraper du Hellen.

Enfin, la création d'une véritable équipe de France de l'influence par un meilleur pilotage des opérateurs du Quai d'Orsay doit favoriser une plus grande synergie entre eux. Est ainsi envisagé un rapprochement entre l'Institut français de Paris et la Fondation des Alliances françaises, qui ferait suite à celui intervenu entre le CFI, l'agence française de développement médias, et France Médias Monde, ou encore entre Expertise France et le groupe Agence française de développement – AFD –, que notre assemblée a voté dans le cadre de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales du 4 août 2021.

L'adoption à l'unanimité de ce texte emblématique, sur lequel notre groupe s'est fortement mobilisé, comme en témoigne l'adoption de plusieurs de ses amendements, démontre à quel point les élus de tous bords reconnaissent l'importance de disposer d'une stratégie d'aide publique au développement renouvelée et offensive. Le groupe Libertés et territoires a notamment fait adopter un amendement invitant le Gouvernement à agir pour que sa communication soit plus visible sur le terrain, là où certains de nos partenaires – qui ne nous veulent pas que du bien – soufflent sur les braises d'une question mémorielle parfois sensible.

Certes, la feuille de route doit renouveler et renforcer nos pratiques en matière d'action extérieure pour les dix prochaines années au moins ; mais il y a aussi la réalité du terrain, monsieur le ministre. Nous ne pouvons que nous féliciter de la prise de conscience du rôle que joue l'influence dans les relations internationales, mais nous ne pouvons que regretter que la feuille de route n'accorde pas plus d'importance aux 3,5 millions de Français qui vivent à l'étranger – quasi inexistants dans ce document.

Oui, la France possède le premier réseau culturel au monde, avec 125 instituts français et 830 alliances françaises ; le premier réseau éducatif au monde, avec 545 lycées accueillant 380 000 élèves dans 138 pays ; le troisième réseau diplomatique au monde, avec 163 ambassades, 16 représentations permanentes et 89 consulats généraux et consulats. Elle est aussi le cinquième pourvoyeur d'aide publique au développement, avec 14,6 milliards d'euros en 2022 – soit près de 5 milliards de plus qu'en 2017. Et le français est la cinquième langue la plus parlée dans le monde, avec 300 millions de locuteurs et potentiellement 750 millions d'ici à 2050. Tout cela, elle le doit en grande partie aux femmes et aux hommes qui ont fait le choix de représenter le savoir-être et le savoir-faire de notre pays à l'étranger.

Dans notre France archipélagique, cette cinquième France internationale se trouve au-delà des quatre premiers cercles – urbain, périphérique, rural et ultramarin. Bien souvent oubliée, elle n'en reste pas moins représentée par des ambassadeurs qui, en toutes circonstances, savent porter haut ses couleurs. « Un peu d'internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup […] y ramène », écrivait Jean Jaurès. J'ajouterai ceci : quand on a la France loin des yeux, elle est toujours près du cœur.

Député de la neuvième circonscription des Français de l'étranger établis dans seize pays d'Afrique de l'Ouest et du Maghreb, je sais combien nous pouvons compter sur eux pour incarner dignement notre pays au quotidien ; ils ne sont pas des Français à part, comme certains le voudraient, mais des Français à part entière.

Il y a urgence à ce que les services de l'État répondent à la question que je leur pose régulièrement, en vain jusqu'ici : quelle est la part de la richesse nationale – qui fait de notre pays la sixième économie mondiale – que nous devons aux entrepreneurs français résidant à l'étranger ? N'ayant pas de réponse, je continuerai d'interpeller l'État.

Où s'arrête la puissance et où commence l'influence ? Cette question, mantra de la feuille de route sur l'influence de la France, que notre groupe a proposée au débat dans le cadre de cette ultime semaine de contrôle de la législature, illustre à quel point les affaires internationales sont au cœur de notre ADN. C'est aussi une réponse à l'actualité, où l'on ne compte plus les réceptacles des multiples tensions internationales, du Sahel aux confins de l'Europe en passant par l'Indo-Pacifique et le Moyen-Orient.

L'émergence de conflits dits hybrides – recrudescence des cyberattaques, présence d'officines de mercenaires sur plusieurs théâtres d'opérations, essor du numérique devenu objet central de médiation et de diffusion des informations – invite à repenser le concept là où les acteurs culturels internationaux ont été multipliés. Qu'ils soient publics – collectivités locales, universités, grandes écoles d'ingénieurs ou de commerce – ou parapublics, qu'ils soient des fondations ou des organisations non gouvernementales, de grands groupes de médias ou des entreprises, chaque jour ils remettent un peu plus en cause l'ordre westphalien et contraignent les appareils diplomatiques culturels à toujours plus d'adaptations.

Je conclurai en citant le regretté Thomas Sankara, auquel le Président de la République lui-même a fait référence dans son discours de Ouagadougou. Il s'adressait avec ambition à son peuple par cette formule : « C'est cet avenir que vous osez inventer ». Dans un monde en bouleversement permanent, donnant l'illusion d'une fuite en avant qui mettrait la France et l'Europe hors jeu, par quels moyens notre diplomatie peut-elle contribuer à ce que notre pays invente un avenir dans lequel il tiendra encore son rang ?

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