Intervention de Philippe Bolo

Séance en hémicycle du mardi 1er février 2022 à 15h00
Stratégie de l'union européenne pour la décarbonation de l'électricité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Bolo :

Débattre de la stratégie énergétique de l'Union européenne impose de faire référence à son histoire. L'Europe s'est en effet bâtie autour de l'énergie. Au sortir d'une seconde guerre mondiale qui a meurtri le continent, une ambition partagée a pris corps : celle de rendre aussi impensable qu'impossible tout nouveau conflit entre la France et l'Allemagne. Elle s'est matérialisée en 1951 par la création de la première institution supranationale de notre continent, la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), suivie, sept années plus tard, par la création d'une autre instance, la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA).

La sécurité est le dénominateur commun de cette union politique autour de l'énergie, la crise du canal de Suez ayant révélé les difficultés d'approvisionnement en pétrole au moment même où celui-ci remplaçait progressivement le charbon. L'Europe politique était née. Elle s'est depuis dotée d'un traité de fonctionnement, toujours en vigueur aujourd'hui.

L'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) précise le cadre de la politique énergétique européenne, articulée autour de trois principes que sont le fonctionnement du marché intérieur, l'exigence de préserver l'environnement et la solidarité entre les États membres. En cohérence avec ces trois principes, la politique énergétique européenne est déclinée en quatre objectifs : la sécurisation des approvisionnements de l'Union, le soutien à l'efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables et le développement des interconnexions des réseaux.

L'article 194 du TFUE révèle cependant une contradiction. Malgré la volonté de construire une politique de l'énergie commune, les États membres demeurent libres d'exploiter comme ils l'entendent leurs ressources énergétiques et ils peuvent choisir librement leurs sources d'énergie et leur approvisionnement. Plus de soixante ans après la fondation de l'Europe autour des communautés du charbon, de l'acier et de l'atome, les sujets de l'époque restent d'actualité.

Si le changement climatique doit être la priorité pour orienter notre action, la compétitivité économique, les interconnexions et l'indépendance énergétique demeurent, comme dans les années 1950, des sujets cruciaux pour l'Europe.

À la lumière de cet aperçu des origines de l'Europe, je veux vous exposer trois axes de réflexion en lien avec la politique énergétique européenne.

Le premier point a trait à la dépendance énergétique de l'Union. La pandémie de covid-19 a provoqué une crise économique majeure à la suite de la paralysie de l'outil de production mondiale. À la faveur des politiques de relance et de maîtrise de l'épidémie, l'activité économique a rebondi à un rythme soutenu et inédit, provoquant un désordre systémique, notamment en termes de demande d'énergie. Le jeu de l'offre et de la demande a provoqué l'augmentation de la consommation d'énergie et, par effet domino, un emballement des prix à la hausse.

Les prix de gros du gaz ont augmenté de 150 % entre avril et octobre 2021. Sur la même période, le tarif du baril de pétrole a grimpé de 40 %. Le prix du charbon était cinq fois plus élevé en octobre 2021 qu'un an plus tôt. Les prix de l'électricité sur les marchés de gros ont épousé la hausse des prix du gaz. Le prix de l'électricité dépend en effet du coût marginal de production de la dernière centrale appelée pour satisfaire la demande ; c'est-à-dire des centrales fonctionnant aux énergies fossiles, notamment au gaz. Selon la Commission de régulation de l'énergie (CRE), le prix des électrons a triplé entre l'automne 2020 et l'automne 2021.

Cette tension sur les marchés de l'énergie a mis en lumière la très forte dépendance de l'Union aux énergies fossiles. Qui, avant la pandémie, s'inquiétait d'un taux de 70 % d'énergies fossiles dans le mix énergétique européen ? Qui s'inquiétait du volume des énergies fossiles importées, qui s'élève à 97 % dans le cas du pétrole et à 90 % dans celui du gaz ?

Au-delà de l'enjeu de la décarbonation, qui s'inscrit comme une priorité en raison de l'objectif de réduction d'au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030, la situation a fait prendre conscience aux États membres d'autres enjeux : la souveraineté énergétique et la maîtrise des prix de l'énergie.

La stratégie énergétique européenne n'a pas assuré la sécurisation des approvisionnements, ce qui a des conséquences sur son indépendance, sa souveraineté, sa résilience et sa liberté de manœuvre sur la scène géopolitique.

Deuxièmement, je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur le marché européen de l'énergie. Il n'a pas produit les effets que l'on attendait de lui. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler que l'un des principes du bon fonctionnement du marché intérieur de l'énergie consiste en la garantie de prix de l'énergie abordables. En effet, le marché doit garantir aux foyers et aux entreprises de l'Union un approvisionnement énergétique sûr, durable, compétitif et abordable. Force est de constater que ce principe n'a pas été respecté dans le contexte de la pandémie. L'intensité de la crise explique sans doute en partie ce constat d'échec. Cette situation révèle cependant un besoin d'adaptation et elle a donné lieu à un cortège de critiques et de mécontentements.

Les particuliers ont exprimé leur désapprobation devant l'ampleur de l'augmentation des prix, qui varie selon les contrats d'approvisionnement souscrits. L'intervention de l'État a joué pour contenir l'augmentation des tarifs réglementés de vente et des tarifs à prix de marché. Si ces derniers ont mieux résisté, ils ont parfois mis à mal leurs fournisseurs. La disparition de certains d'entre eux a laissé des consommateurs sans accompagnement.

La hausse se fait particulièrement ressentir dans les entreprises électro-intensives, ce qui entraîne des conséquences sur les décisions d'investissement. Espérons que la dérive des prix à la hausse ne soit pas l'occasion de remettre en cause les investissements ciblés de réindustrialisation et de décarbonation.

La Commission européenne n'est pas restée sans réponse devant cette situation. Elle a proposé, dès octobre 2021, différentes lignes directrices aux États membres en les invitant à adopter les mesures suivantes : baisser les fiscalités énergétiques nationales ; affecter à des dispositifs de soutien des recettes excédentaires du système d'échange des quotas d'émission de gaz à effet de serre ; instituer des aides ponctuelles pour les ménages les plus vulnérables.

Malgré tout, le mécanisme de marché européen n'est pas parvenu à endiguer la hausse des prix des énergies, de sorte que l'accroissement des dépenses énergétiques s'est ajouté à d'autres coûts provoqués par la pandémie.

Troisièmement, je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur le déploiement hétérogène des stratégies énergétiques des États membres. En dépit des jalons définis par la trajectoire européenne déclinée par les États membres, on constate des différences sur les orientations technologiques et le calendrier de mise en œuvre. Les pays les moins riches utilisent plus de charbon. Les contextes sociétaux, culturels et géographiques, ainsi que les capacités financières, facilitent ou entravent les politiques de transition énergétique.

La solidarité européenne n'est pas au rendez-vous : chaque pays détermine ses propres choix en matière de décarbonation et d'efficacité énergétique, en cohérence avec les principes de libre administration énergétique de l'article 194 du TFUE.

À la lumière de ces trois axes de réflexion, le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés considère que les solutions aux difficultés identifiées passent par les interconnexions énergétiques. Elles représentent pour nous un levier indispensable au renforcement de la résilience de l'Union européenne. Le principe des interconnexions impose un projet européen plus fédéraliste qui, en augmentant les interdépendances entre pays de l'Union, renforce leur cohésion et favorise la solidarité européenne.

Si les réflexions que je viens d'exposer soulignent des points faibles de la politique énergétique européenne, elles sont surtout l'occasion d'affirmer le besoin d'élaborer une stratégie au bénéfice de la résilience de l'Union. Ce renforcement passe inexorablement par la décarbonation et l'efficacité énergétique : sortir des énergies fossiles n'est pas uniquement un impératif climatique mais une voie de souveraineté indispensable à l'Union. Des réformes structurelles et conjoncturelles sont indispensables pour diminuer les risques systémiques imposés par les fluctuations du marché mondial des énergies. Ces réformes permettront de se mettre à l'abri des prochains soubresauts d'un marché en tension et de nouvelles flambées des prix qui ne manqueront pas de se produire.

Je formule le souhait que ces nécessaires réformes soient portées par notre pays dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne qui vient de s'ouvrir. Les enjeux de l'énergie nous obligent à prendre de la hauteur et à nous extraire d'un débat qui s'est trop souvent cristallisé autour de clivages idéologiques et d'affrontements politiques stériles entre ceux qui sont favorables et ceux qui sont opposés au nucléaire, entre ceux qui sont favorables et ceux qui sont opposés aux énergies renouvelables. Ces oppositions frontales n'ont que très peu de sens quand on considère que la décarbonation de l'énergie passe par l'électrification massive de nos consommations.

L'énergie est une préoccupation quotidienne pour un grand nombre de Français qui doivent chauffer leur habitation ou se rendre à leur travail. Cette préoccupation est d'autant plus forte chez ceux pour qui les dépenses en énergie représentent une part significative de leur budget. L'énergie est aussi une des conditions de la compétitivité de l'industrie française, donc un facteur de réussite des politiques de réindustrialisation du pays.

En conclusion, mes chers collègues, si mon intervention a souligné le rôle clé de l'énergie dans l'histoire de l'Union européenne, elle démontre également que l'énergie est son avenir.

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