À M. Anglade, qui m'a interrogée sur l'influence française au sein des institutions européennes, je veux d'abord dire que l'Europe n'est pas la France en plus grand. L'Europe élargie, c'est pour chaque État membre fondateur un peu moins de place que dans les premières années. Nous devons en prendre acte et, plutôt que de regarder dans le rétroviseur, nous employer à préparer l'avenir.
Si nous occupons un grand nombre de postes de directeurs généraux de la Commission européenne et sommes présents, appréciés, entendus et influents sur un grand nombre de sujets et d'orientations de la Commission, je partage votre préoccupation. Il est vrai qu'au sein des cabinets de commissaire, on trouve beaucoup moins de Français que par le passé, et qu'on voit également assez peu de nos compatriotes occuper des postes de chef de division, alors que ceux-ci constituent des viviers à haut potentiel. C'est malheureusement un défaut très français, que l'on retrouve dans toutes les organisations internationales : nous sommes très forts pour nous mobiliser et faire campagne pour obtenir la direction d'une agence internationale ou tel ou tel poste en vue, mais un peu moins bons quand il s'agit de faire entrer au bas de l'échelle des jeunes prometteurs et les accompagner dans une carrière européenne – même si nous avons mis en place un système d'experts nationaux détachés (END) particulièrement intéressant.
C'est un sujet que je connais bien et auquel je suis très attentive. Je nuancerai aussi votre propos en soulignant que, depuis la création du service européen pour l'action extérieure (SEAE) en 2010, nous avons placé au sein de cette organisation un grand nombre de diplomates français très appréciés, et dont la présence se renouvelle au fil des rotations. En tout état de cause, nous devons rester attentifs au sujet que vous évoquez.
Vous avez qualifié d'épisodique la présence des ministres français dans les conseils. Cette situation correspond en fait à celle d'un temps révolu, mes collègues du Gouvernement participant aujourd'hui à toutes les réunions auxquelles ils sont conviés, ce qui est évidemment indispensable : pour être entendus, nous devons être présents ! Compte tenu de l'engagement du Président de la République et de l'ensemble du Gouvernement sur les questions européennes, je n'ai aucun doute sur le fait que nous tiendrons toute notre place au sein des conseils.
Hier comme aujourd'hui, il y a toujours eu une stratégie d'influence de la France – encore faut-il veiller au quotidien à sa mise en oeuvre. Nous devons ainsi rester vigilants quant à l'emploi du français car, au-delà de l'usage de notre langue, c'est aussi une conception du droit qu'il est important de défendre au sein de l'Union européenne, et nous y sommes donc très attentifs.
Pour ce qui est de la Pologne, nous sommes effectivement inquiets de l'évolution de la situation de l'État de droit dans ce pays. Après la crise du Tribunal constitutionnel de l'an dernier, les réformes judiciaires actuellement envisagées par le gouvernement polonais, notamment sous la forme de deux projets de loi très controversés – y compris au sein de la majorité au pouvoir – semblent écarter la Pologne des valeurs sur lesquelles repose l'Union européenne. En tant que gardienne des traités, la Commission européenne mène un travail exigeant et précis sur la question de l'État de droit. Cette question a déjà été évoquée dans le cadre du Conseil des affaires générales de mai dernier, et le sera sans doute à nouveau prochainement.
Comme vous le savez, la procédure consistant à actionner l'article 7 des traités de l'Union européenne nécessite de recueillir l'unanimité des États membres à l'exception de celui qui est concernée. Il y a fort à parier que cette condition ne sera pas remplie, en raison de la solidarité d'au moins un autre État membre avec la Pologne. Une réflexion est en cours au sein de la Commission sur la possibilité de recourir à d'autres outils permettant d'envoyer des signaux très clairs à la Pologne. Je ne souhaite pas vous en dire davantage sur ce sujet pour le moment, mais nous aurons certainement d'autres occasions d'évoquer ensemble une question à laquelle nous sommes très attentifs.
Les régions ultrapériphériques qu'a évoquées Mme Bareigts constituent une priorité pour le Gouvernement, et bénéficient de la politique de cohésion européenne – dont nous débattrons prochainement lors de l'examen du cadre financier pluriannuel de l'Union européenne. Nous devons nous garder de penser que la politique de cohésion est réservée aux pays nouvellement entrés dans l'Union européenne : les régions ultrapériphériques des pays dits riches ont également vocation à en bénéficier, et le Gouvernement français est très attentif à ce que l'application du droit européen se fasse en tenant compte des particularités propres à certaines régions.
Mme Le Grip et M. Gollnisch m'ont interrogée sur l'accès aux marchés publics des pays tiers. Vous avez raison, madame la députée, de dire que si le Parlement européen a porté cette question, le Conseil européen ne l'a pas vraiment suivi. Cependant, les choses sont en train d'évoluer. Les conclusions du dernier Conseil européen marquent un vrai progrès sur ce sujet, dont le Président de la République a fait un axe fort dans ses interventions lors de son premier sommet européen à Bruxelles : nous avons parlé des instruments de défense commerciale et de la vigilance sur les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques, en insistant sur la réciprocité en matière de marchés publics. Nous avons été entendus, notamment par des États membres qui n'avaient jusqu'alors pas semblé accorder d'importance à ce sujet, et avaient certainement une part de responsabilité dans le fait que son examen ne progressait pas.
Nous sommes très déterminés à aller de l'avant et, contrairement à M. Gollnisch, je suis extrêmement confiante dans notre capacité à tirer parti de l'ouverture de marchés publics de pays tiers. Nous l'avons d'ailleurs déjà fait dans des pays, où nos entreprises, qu'elles soient petites, moyennes ou grandes, ont fait la preuve de leur dynamisme et de leur capacité à s'adapter à des contextes culturels différents. Objectivement, nous avons tout à gagner à cette démarche. J'ai cité volontairement l'accord intervenu avec le Japon qui, de ce point de vue, me semble marquer un progrès auquel nous sommes disposés à donner une traduction concrète – notamment dans le secteur ferroviaire.
L'euroscepticisme se nourrit de beaucoup de choses. Ainsi a-t-il prospéré en raison de cette terrible habitude que nous avons eue, des années durant, de blâmer Bruxelles quand nous nous heurtions à une difficulté, et de nous prévaloir d'une victoire nationale quand l'Union européenne prenait une décision qui nous était favorable. On ne pouvait avoir une attitude moins pédagogique que celle-ci, et nous en payons aujourd'hui le prix. Beaucoup d'autres pays de l'Union européenne ne se sont pas laissé aller à cette facilité politicienne, alors même qu'ils se trouvaient confrontés à de vraies difficultés les conduisant à mettre en oeuvre des plans d'austérité. Je peux vous assurer que ce Président de la République et ce gouvernement ne s'y risqueront pas : nous savons qu'il est temps de devenir adultes et de prendre nos responsabilités, et que nos difficultés nous appartiennent, tout comme nos engagements – en d'autres termes, Bruxelles c'est nous, c'est ce que nous en faisons !
M. Naegelen a évoqué les différences sociales et fiscales existant entre les différents États membres, soulignant à juste titre que ces différences pouvaient être à l'origine de difficultés au sein d'un marché unique. Aux côtés d'autres États, nous sommes très engagés dans le dossier de l'Europe sociale, auquel sera consacré le sommet de Göteborg qui se tiendra en novembre prochain. Ce sujet figure désormais parmi les priorités des États membres, ce qui est une nouveauté. Sans aller jusqu'à affirmer que nous allons progresser rapidement sur cette question, je pense qu'une véritable prise de conscience s'est opérée, y compris au sein de la Commission européenne.
Pour ce qui est de l'harmonisation fiscale, plusieurs réflexions sont en cours, notamment au sein du Parlement européen. La France et l'Allemagne ont décidé d'avancer sur cette question, à la fois pour répondre à des intérêts bilatéraux évidents, compte tenu de l'interconnexion entre nos deux économies, mais aussi pour montrer la voie au reste de l'Union européenne. De ce point de vue, le Conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet dernier a demandé aux ministres de l'économie et des finances des deux pays d'aller plus loin en matière d'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Il s'agit d'un dossier extraordinairement complexe. Cela dit, un travail important a déjà été accompli dans le sens du projet de directive au sujet de l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés (ACCIS) porté par le Parlement européen. D'une manière générale, des concepts qui n'existaient que dans les discours jusqu'à une période récente sont en voie de concrétisation après que des groupes de travail ont été mandatés pour cela. En ce qui concerne l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés avec l'Allemagne, la clause de rendez-vous arrive à échéance dès la fin de cette année.
J'entends votre préoccupation relative aux pêcheurs bretons, madame Tanguy. Sachez qu'elle est pleinement partagée par le Gouvernement et qu'il ne fait aucun doute qu'elle fera partie des sujets évoqués lors de la négociation des futurs accords avec le Royaume-Uni. Michel Barnier est parfaitement informé sur cette question, et je rends hommage à sa méthode, consistant à avoir obtenu un mandat de négociation extrêmement transparent, communiqué à tous à la fois dans ses grandes lignes et en détail – si les États membres devaient décider de modifier ce mandat, cela se ferait de manière tout aussi transparente. En tant que responsable des négociations avec le Royaume-Uni, il ne manque jamais de venir dialoguer avec les États membres à la fin de chaque phase de négociation : c'est ce qu'il va faire à partir de vendredi en rencontrant le Président de la République.