Je tiens tout d'abord à remercier mes collègues et les administrateurs pour la qualité des travaux qui ont été menés. Je regrette toutefois que cette commission d'enquête s'apparente davantage à une mission d'information, puisqu'elle se borne à établir le constat d'une situation déjà signalée, au cours de la présente législature, à travers plusieurs textes de loi votés par notre assemblée.
Lorsque nous avons entamé nos travaux j'ai tenu à rappeler qu'ils ne pouvaient consister, dans leur esprit, à remettre en cause le travail des personnels pénitentiaires et des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), que nous saluons pour leur engagement.
Parler de prison, c'est évoquer la surpopulation carcérale, la réinsertion, la lutte contre la récidive et les aménagements de peine. C'est aussi souligner l'importance des bonnes pratiques et des réussites.
Parler de prison, ce n'est pas appeler à son abolition, comme pour la peine de mort en 1981, mais à tout le moins insister sur le fait que la majeure partie des peines sont purgées en dehors des murs des établissements.
Parler de prison, c'est aussi faire œuvre de pédagogie, à l'heure où l'opinion publique se montre de plus en plus sévère à l'égard des détenus et se détourne d'une politique pénitentiaire qui ne l'intéresse pas. De fait, le sujet n'est pas rentable du point de vue électoral, alors même qu'il témoigne de la qualité de notre démocratie et de l'état de notre société. Rappelons que, selon une enquête de 2018, 50 % des personnes interrogées considèrent que les prisonniers en France sont trop bien traités, 21 % qu'ils sont traités de manière correcte, et 17 % seulement qu'ils ne sont pas bien traités ; 12 % déclarent tout ignorer de ce monde.
Je formulerai quatre remarques. Premièrement, la réalité carcérale en France, celle que nous connaissons tous, est régulièrement dénoncée et condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). La population carcérale a crû de 11 % en un an. Le nombre de détenus est désormais de 69 500 pour 60 800 places, et trente-six établissements présentent un taux d'occupation supérieur à 150 %. La France fait partie des États européens dont les prisons sont les plus encombrées. Dès lors, je m'interroge sur le sens de voir rappelée, dans la proposition n° 23 du rapport, la date butoir du 31 décembre 2022, échéance prévue pour la fin du moratoire sur l'encellulement individuel. Les conditions de détention ne sont toutefois pas une fatalité. Avec la crise sanitaire, pour la première fois depuis vingt ans, nous avons ainsi vu le taux d'incarcération passer en dessous des 100 %.
Deuxièmement, l'engagement de créer 15 000 places d'ici à 2027, quel que soit le crédit qu'on lui accorde, doit s'accompagner d'une politique adaptée de l'emprisonnement car, nous le savons bien, « plus on construit de prisons, plus on en remplit ». C'est la piste majeure dégagée dans ce rapport. Il est urgent de dépénaliser certains types de délits, de réduire le nombre des détentions provisoires, de recourir davantage aux peines alternatives et aux aménagements de peines et de développer la libération conditionnelle.
Troisièmement, nous considérons que la réinsertion ne se fera pas sans un effort accru en matière d'enseignement et de formation en prison. Les besoins sont immenses : plus de la moitié des personnes détenues n'ont aucun diplôme, et le taux d'illettrisme est de 10 %. Pourtant, lors de l'année scolaire 2019-2020, seuls 29 % de la population carcérale a été scolarisée, à raison de six heures d'enseignement hebdomadaire dispensées par personne, moyenne qui recouvre des disparités selon les régions. Un palmarès de celles qui participent à cet effort de formation aurait d'ailleurs pu être établi par la commission d'enquête.
Quatrième remarque, enfin : il aurait été bienvenu de dresser une liste des bonnes pratiques, à l'instar de celles qui ont cours au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand – création de référents parmi les surveillants de prison, mise en place d'une boulangerie et d'un certificat d'aptitude professionnelle (CAP), voies d'insertion expérimentées par l'association Tremplin, homme et patrimoine, impliquant des détenus dans la restauration des édifices de notre belle Bourgogne. Soulignons toutefois que les associations qui effectuent un travail remarquable, trop ignoré, pour soutenir la lutte contre la délinquance, la réinsertion et la lutte contre les violences intrafamiliales, souffrent d'un manque cruel de moyens. Elles sont soumises à une course permanente aux subventions et aux appels à projets alors qu'il faudrait stabiliser leurs moyens par des financements inscrits sur plusieurs années.
Tout cela pour dire que derrière ces questions d'enfermement et de justice, des femmes et des hommes se mobilisent pour conserver du sens à leur métier. Il nous faut les écouter et soutenir leur engagement. Nous devons de manière urgente mettre le budget de la justice au niveau des standards européens dans les deux ans qui viennent.