Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du mardi 1er février 2022 à 21h45
Dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Merci, chers collègues, de cette commission d'enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française : nous disposons ainsi d'un état de l'art – et de la science –, regroupant tous les éléments en un seul document. Pas de grande nouveauté : nous sommes un certain nombre qui nous attachons et nous attelons à visiter des prisons depuis le début de la législature, si bien que les thématiques retenues étaient déjà identifiées.

La première qui vient à l'esprit de tout un chacun est bien sûr la surpopulation carcérale, au cœur du dysfonctionnement de n'importe quelle politique pénitentiaire : à trois dans une cellule, plus un matelas au sol, tout le reste vole en éclats et les activités ou la réinsertion ne présentent plus aucun sens. Puisque j'ai entendu des chiffres ici ou là, je me permets un petit rappel : dans les centres de détention et les maisons centrales, l'encellulement est individuel ; dans les maisons d'arrêt, en revanche, le taux d'occupation atteint 135 %. On est loin des 110 % que vous obtenez en prenant en compte l'ensemble du parc, ce qui ne rend pas compte de la réalité. Rappelons que 40 % de la population des maisons d'arrêt, soit 18 000 personnes, est en détention provisoire dans l'attente d'un procès : il faut marteler ce chiffre dont nous devrions tirer un certain nombre de conclusions !

Évidemment, le milieu ouvert rencontre toujours de grandes difficultés ; les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, même s'ils sont plus nombreux, ne le sont toujours pas assez et continuent de devoir jongler avec les dossiers, les mesures, les personnes. Évidemment, vous avez tout misé sur la surveillance électronique à domicile, qui permet de se dispenser de suivi : un bracelet, et la mesure est exécutée, elle peut être intégrée aux statistiques, circulez, il n'y a rien à voir ! Le sens de la peine ne réside pourtant pas dans le port d'un bracelet à la cheville, mais au contraire dans tout ce qu'il conviendrait de faire autour, dans le suivi de la personne placée sous main de justice.

Il faut reconnaître un petit effort concernant le travail d'intérêt général (TIG), même si les juridictions n'y recourent pas suffisamment : peut-être le feront-elles davantage par la suite. Bref, la politique pénitentiaire actuelle se solde par un coût exorbitant et un taux de récidive élevé, notamment après un passage par la case « prison ».

Nous incarcérons trop, non en comparaison d'autres pays – en fait, la plupart incarcèrent plus que nous –, mais parce que le procédé ne marche pas si l'on considère l'objectif qui est censé être le nôtre et que nous devrions tous partager : la désistance, c'est-à-dire la sortie de la délinquance. Nous devrions mettre en œuvre tous les mécanismes possibles et imaginables pour que la personne condamnée ne commette pas de nouvelle infraction ; tel est le sens profond de la politique pénitentiaire.

Pour cela, il faudrait des prisons ouvertes et des prisons à taille humaine. Fleury-Mérogis fait peut-être la fierté de certains, mais franchement nous n'avons pas à être fiers d'avoir la plus grande prison d'Europe qui ressemble plus à une usine, pour ceux qui y travaillent comme pour ceux qui y sont incarcérés. Il faudrait que les prisons soient situées en ville plutôt qu'à la périphérie, afin qu'elles soient accessibles aux familles, aux partenaires, aux associations, à l'éducation nationale. Il faudrait aussi faire en sorte qu'il y ait des passerelles de semi-liberté vers l'emploi local et le tissu associatif pour permettre la réinsertion.

Le covid aura permis de démontrer que libérer davantage ne fait pas exploser la délinquance : la vague épidémique n'a pas été suivie de la vague de délinquance que M. Ciotti se plaisait à prophétiser.

La santé mentale reste un sujet majeur. Nous manquons de psychiatres, en détention comme partout ailleurs. Nous manquons d'hôpitaux psychiatriques à la hauteur des enjeux. Ceci expliquant sans doute cela, des tas de gens qui n'ont rien à y faire se retrouvent en prison. Visitant la prison de Bonneville, j'ai pu constater que 14 % des détenus étaient là pour conduite en état d'ivresse en récidive. S'ils sont en récidive, il est à craindre que la détention ne réglera pas le problème. On voit bien que la désistance ne fonctionne pas.

Seule une déflation pénale permettrait une déflation carcérale. Il faudrait supprimer les comparutions immédiates, qui sont les premières pourvoyeuses de peines de prison. Il faudrait des peines de probation autonomes afin que certaines infractions ne puissent plus être sanctionnées par des peines de prison. Il faudrait mettre le paquet sur le milieu ouvert : le placement à l'extérieur mériterait de devenir un service public à part entière.

Améliorer les conditions de détention des uns, c'est améliorer les conditions de travail des autres.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.