Intervention de Gérard Leseul

Séance en hémicycle du jeudi 3 février 2022 à 9h00
Représentation plus juste des français à l'assemblée nationale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Leseul :

La proposition de résolution que nous examinons vise à affirmer la nécessité d'une représentation plus juste des Français à l'Assemblée nationale. Il serait difficile de ne pas être en plein accord avec cet objectif ainsi formulé. Comme c'est souvent le cas, singulièrement en matière de mode de scrutin, le diable se niche dans les détails. Et la formulation de la résolution est particulièrement floue puisqu'il s'agit d'« invite[r] le Gouvernement à conduire une réflexion sur la réforme du mode de scrutin des élections législatives pour le rendre davantage représentatif des préférences partisanes de chaque électeur ».

En revanche, l'exposé des motifs, plus précis, évoque « l'instauration d'un mode de scrutin proportionnel avec […] un seuil de représentation fixé à 5 % ». Toutefois, une telle indication nous laisse encore dans le flou. Au fond, cette proposition de résolution nous en dit peu sur la réforme souhaitée : des circonscriptions seraient-elles maintenues ? Si oui, sur quelle base s'opérerait le redécoupage ? Le scrutin proportionnel serait-il à la plus forte moyenne ou aux plus forts restes ? Enfin et surtout, puisqu'il est question de la représentation des citoyens, cette réforme serait-elle, oui ou non, accompagnée d'une autre visant à diminuer le nombre de parlementaires ?

Cette question n'est pas anodine dès lors que cette proposition de résolution, déposée par un groupe parlementaire qui soutient le Gouvernement, s'inscrit dans le cadre de la législature qui a vu l'échec de la réforme institutionnelle de 2018 : il nous semble incompatible de vouloir assurer une meilleure représentation des Français à l'Assemblée nationale en diminuant le nombre des représentants de la nation. Si le groupe Socialistes et apparentés s'est toujours montré ouvert aux évolutions du mode de scrutin, notamment par l'introduction d'une dose de proportionnelle, il a maintes fois exprimé son opposition à toute réforme visant à diminuer le nombre de députés, ce qui affecterait sérieusement la représentation politique de la population. Voilà à tout le moins un point qui mériterait d'être éclairci avant que nous puissions voter en faveur d'une telle proposition de résolution.

En dehors de ces zones d'ombre, ce texte procède à des comparaisons approximatives. La comparaison avec l'Allemagne en offre un bon exemple puisque les élus du Bundestag ne sont pas désignés dans le cadre d'un mode de scrutin proportionnel, mais d'un mode de scrutin mixte qui combine scrutin majoritaire à un tour et scrutin proportionnel. La répartition des sièges à ce dernier titre n'est ouverte qu'aux seules formations ayant recueilli au moins 5 % des voix ou bien ayant réussi à faire élire au moins trois députés dans le cadre du scrutin majoritaire. La comparaison avec l'Allemagne ne fonctionne pas pour démontrer l'efficacité et la justice du mode de scrutin que vous défendez.

L'instauration d'un mode de scrutin proportionnel avec un seuil de 5 % serait à cet égard bien plus proche du système espagnol, dont le seuil à 3 % est renforcé dans ses effets majoritaires par des circonscriptions régionales et une répartition à la plus forte moyenne. C'est sous l'empire d'un tel scrutin que furent organisées, en 1986, les premières élections législatives à la proportionnelle dans l'histoire de la Ve République.

Enfin, ce texte se fonde sur l'idée reçue selon laquelle le scrutin proportionnel serait par essence plus démocratique que le scrutin majoritaire. Il suffit pourtant d'observer tous les pays qui pratiquent ce mode de scrutin pour constater que tel est loin d'être le cas. Israël nous en offre encore une triste illustration : il aura fallu trois scrutins législatifs depuis avril 2019 pour que ce pays dispose d'un gouvernement, finalement constitué en mai 2020, au terme, donc, de 500 jours de campagne.

Organisé sur un seul tour, le mode de scrutin proportionnel provoque un éclatement de la représentation sans pour autant renforcer la représentativité des élus. Le mode de scrutin proportionnel fonctionnant par liste, ce sont les cadres des partis qui s'y trouvent privilégiés, au détriment des élus de terrain disposant d'une légitimité dans leur circonscription. En outre et surtout, l'éclatement de la représentation est loin de faire le jeu des citoyens, qui n'ont aucun mot à dire sur les coalitions formées après les élections. À l'inverse, le second tour d'un scrutin majoritaire permet aux citoyens d'arbitrer les alliances entre différentes formations politiques. Cela mérite en effet d'être relevé : le scrutin majoritaire à deux tours favorise les partis politiques qui sont capables de s'allier les uns avec les autres. Cette forme de prime à ceux qui sont capables de former des alliances n'a rien d'incongru dans un système démocratique, bien au contraire.

Dans tous les cas, la réappropriation de l'espace civique par les citoyens passe aussi par un renforcement de l'action du Parlement, tant dans la construction législative que dans sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement.

Si le groupe Socialistes et apparentés soutient sans réserve l'objectif visé par ce texte d'une meilleure représentation des citoyens, nous ne pensons pas que la solution ici proposée soit la plus adéquate pour l'atteindre. L'introduction d'une dose de proportionnelle est une solution qui apparaît a priori plus démocratique, mais il faudrait dans tous les cas savoir si cette réforme s'accompagnerait d'autres mesures, comme celle de la réduction du nombre de parlementaires, ou encore d'autres mesures relatives au fonctionnement de l'Assemblée nationale.

Devant un tel flou, nous préférons nous abstenir.

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