Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du jeudi 20 juillet 2017 à 10h00
Commission des affaires européennes

Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Mme Gomez-Bassac m'a interrogée au sujet des conventions démocratiques, et fort justement souligné la nécessité d'entendre le point de vue de nos concitoyens, qui ne sont pas tous convaincus par l'Union européenne. Je nuancerai un peu votre propos, madame la députée : si les Français étaient si eurosceptiques que vous le dites, sans doute n'auraient-ils pas élu Emmanuel Macron, qui a fait campagne en mettant en avant, du premier au dernier jour, ses convictions proeuropéennes – ce qu'aucun de ces prédécesseurs n'avait fait aussi clairement auparavant.

Cela dit, force est de reconnaître qu'il subsiste une incompréhension des mécanismes des institutions européennes, qui nécessite de faire un état des lieux de ce que les citoyens européens, et non pas seulement français, attendent de l'Europe. Comme on le constate régulièrement au moyen de l'Eurobaromètre, et plus encore depuis l'annonce du Brexit, ce n'est pas l'Europe telle que ses fondateurs l'ont pensée qui fait l'objet d'un rejet par les citoyens européens, mais le fonctionnement actuel des institutions qui reste insuffisamment connu et compris.

Les conventions démocratiques, annoncées par Emmanuel Macron dans son programme présidentiel, consistent à ouvrir le dialogue en France et dans tous les pays de l'Union européenne qui se porteront volontaires, afin de faire naître un projet de refondation de l'Europe. Nous allons commencer par mettre en place une sorte de « cahier des charges » – un mot un peu trop technique en l'occurrence – avec nos partenaires allemands, pour essayer d'aboutir ensemble à une proposition que nous pourrions présenter à nos partenaires dans le cadre du Conseil européen à la fin de l'année. Il s'agirait de préciser les grands sujets à traiter dans le cadre de l'Union européenne dans les années à venir, et les méthodes à employer pour cela. L'idée n'est pas que chaque État membre procède de la même manière : il sera tenu compte des particularités culturelles et des rythmes démocratiques propres à chaque État.

Après avoir mené une réflexion limitée à la France, nous allons en partager le fruit avec nos partenaires allemands à l'issue des élections sénatoriales qui seront organisées fin septembre, avec pour objectif de faire avancer cette réflexion franco-allemande dans le courant de l'automne. Nous avons le souci d'étendre les conventions démocratiques au-delà du cercle des convaincus. Comme on a pu le voir par le passé, faire appel uniquement à des personnes acquises de longue date au projet européen présente un inconvénient, celui de n'avoir aucune certitude quant au fait que ces personnes soient en phase avec le reste de la population. Certes, nous ne pouvons exclure les militants dont la conviction ne saurait constituer un handicap, mais il nous faut aller vers la société civile et faire en sorte de nous adresser à différentes générations, différents secteurs économiques et milieux sociaux. Vos suggestions, puisque votre groupe de travail est en place, sont naturellement les bienvenues. L'essor des nouvelles technologies nous donne un avantage formidable, celui de pouvoir consulter nos concitoyens en ligne. Nous ne devons cependant pas nous cantonner à cet outil : il nous faudra également aller interroger les citoyens en nous rendant dans les territoires afin de leur demander ce qu'ils attendent de l'Europe. Nous souhaitons avant tout éviter que seuls les « techniciens de l'Europe » aient leur mot à dire et, de ce point de vue, nous sommes très désireux d'engager la discussion avec le groupe de travail dont vous serez rapporteure, madame Gomez-Bassac.

Mme Hennion, il ne m'appartient pas de dire à une commission de l'Assemblée nationale comment elle doit travailler – en tout état de cause, le principe de la séparation des pouvoirs ne me le permet pas. Des liens organiques avec le Parlement européen existent, qui permettent la tenue régulière de réunions : je ne puis que vous inviter à tirer profit de ces liens pour être aussi présents, audibles et actifs que possible. Vous avez la possibilité d'inviter des commissaires européens à venir s'exprimer devant vous – on pense spontanément à Pierre Moscovici, mais il n'est pas le seul : certains commissaires, particulièrement compétents pour répondre à des questions que vous vous posez, ne demandent pas mieux que de venir en débattre avec vous, et seront très intéressés par ce que vous aurez à leur dire.

Vous savez peut-être, monsieur Michels, que je me suis rendue à Strasbourg le 5 juillet pour l'inauguration d'un nouveau bâtiment du Parlement européen : il s'agit du bâtiment Vaclav-Havel qui, après la réhabilitation dont il vient de faire l'objet, va rendre plus facile le travail des députés européens. Si je suis depuis longtemps convaincue des avantages qu'il y a à laisser le Parlement européen à Strasbourg, où je viens d'ailleurs de passer cinq ans, il faut reconnaître que, jusqu'à une période récente, les présidents de commission du Parlement ne disposaient que d'un bureau à peine plus grand qu'un placard, qu'ils devaient partager avec leur assistant parlementaire. À l'issue du programme de rénovation du bâtiment que j'ai cité, les conditions de travail des députés européens vont être beaucoup plus agréables, et, en tout état de cause, meilleures que celles dont ils pourraient bénéficier à Bruxelles.

Au-delà du bâtiment concerné, les parlementaires européens évoquent souvent la question des conditions d'accueil hôtelier et d'accès à Strasbourg, qui devront être prises en compte lors de l'élaboration du prochain contrat triennal Strasbourg, Capitale Européenne, débutant au 1er janvier 2018. Dans ce cadre, l'État et les collectivités locales veilleront à ce que l'attractivité de Strasbourg, souvent présente dans les discours, le soit tout autant dans la réalité. Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'affirmer, il n'y a aucune ambiguïté dans notre attachement à ce que le siège du Parlement européen demeure à Strasbourg. Tous ceux qui ont essayé de profiter des incertitudes induites par l'élection d'un nouveau Président de la République ou par les discussions, ouvertes à la suite du Brexit, sur la localisation d'agences européennes jusqu'alors situées au Royaume-Uni, pour instiller le doute et avancer des propositions dont aucune n'était réaliste, en ont été pour leurs frais. La position du gouvernement français est extrêmement claire : il est hors de question d'entrer dans un quelconque marchandage – je rappelle d'ailleurs, pour conclure sur ce point, que la situation actuelle est inscrite dans les traités.

Vous m'avez interrogée, monsieur Straumann, sur la question de l'écotaxe et la possibilité de conclure une convention qui permettrait d'appliquer cette taxe sur les deux départements alsaciens. Mesurant bien la complexité de la solution à apporter à la problématique que vous avez évoquée, je vous avoue que je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément sur ce point aujourd'hui, mais je m'engage à revenir vers vous dans quelques jours pour le faire.

M. Pichereau a évoqué le dossier du paquet transport routier, se préoccupant à juste titre d'une question étroitement liée à celle du détachement des travailleurs. La situation actuelle est extrêmement préoccupante et nous veillons à rester vigilants face à des propositions de la Commission qui ne nous conviennent pas, notamment en ce qui concerne les exemptions au régime du détachement pouvant s'appliquer aux transporteurs routiers. Vous avez très bien décrit la situation en évoquant deux blocs qui s'affrontent au sein de la Commission européenne : pour notre part, nous souhaitons que ces deux blocs se parlent, et sommes mobilisés pour cela.

M. Holroyd m'a interrogée sur les conséquences du Brexit dans un certain nombre de domaines, à commencer par le sort des citoyens européens résidant au Royaume-Uni. Le négociateur Michel Barnier a fait l'analyse de la première proposition formulée par les Britanniques et présentée par eux comme étant juste et généreuse. Je ne souhaite pas paraphraser la position de celui qui est le seul habilité à s'exprimer sur le dossier dont il est chargé, et me bornerai donc à indiquer que nous ne pouvons nous satisfaire d'une proposition qui fait dépendre les nombreux citoyens français – et, plus largement, européens – résidant outre-Manche d'une législation purement britannique susceptible d'évoluer avec le temps, sans aucune garantie. D'autre part, la question importante de la réciprocité des statuts respectifs des ressortissants britanniques résidant dans l'Union européenne et des ressortissants européens résidant au Royaume-Uni n'est pas réglée. Pour le reste, je vous invite à attendre la conférence de presse que doit donner Michel Barnier dès cette après-midi.

Il serait prématuré de s'avancer sur la façon dont vont s'organiser les négociations sur le futur accord. Le séquençage n'interdit pas d'y réfléchir, à la fois sur le plan national – ce que nous sommes en train de faire – et en concertation avec nos partenaires européens – ce que nous devons faire. Tant que nous n'avons pas abordé la deuxième phase du processus, il vaut mieux nous en tenir au silence. En insistant sur le fait que l'accord à venir nécessitera de régler un grand nombre de questions extrêmement complexes, nous pourrions induire la tentation de considérer que la question du mode de calcul du montant de paiement des engagements financiers du Royaume-Uni est somme toute secondaire et peut donc être laissée de côté, ce qui ne serait pas notre intérêt.

S'agissant de l'impact du départ du Royaume-Uni sur l'avenir de l'Europe, je commencerai par rappeler que nous ne voulions pas le Brexit. Aujourd'hui, je reste convaincue que l'Europe post-Brexit, ce sera moins bien que l'Europe avec les Britanniques – à la fois pour l'Europe et pour le Royaume-Uni. Cela étant dit, nous devons maintenant réfléchir à l'avenir à Vingt-sept, et admettre qu'il est des secteurs où nous avancerons désormais sans doute plus vite. Dans le domaine de la défense, le Royaume-Uni est un partenaire stratégique important, comme vous l'avez dit, et nous souhaitons qu'il le reste : les Européens comme les Britanniques sont attachés à ce que les coopérations en matière de défense se poursuivent. Cependant, les Britanniques ont longtemps joué un rôle de blocage déterminant sur la question d'une autonomie stratégique de l'Union européenne et, de ce point de vue, nous devons savoir tirer parti de leur départ.

Vous avez raison de faire référence à l'expertise d'un certain nombre de Britanniques au sein de l'Union européenne. Julian King, avec qui j'ai eu l'occasion de m'entretenir sur les questions de lutte contre le terrorisme, est un commissaire d'une très grande qualité, et l'on pourrait porter le même jugement sur de nombreux autres membres britanniques des institutions européennes. Cela dit, la nostalgie ne sert à rien : nous devons être confiants en nos capacités et en notre propre expertise.

Après avoir été membre du corps diplomatique français durant vingt-cinq ans et, durant certaines périodes, porte-parole de la France aux États-Unis – où j'étais habituée à entendre des avis négatifs sur mon pays –, j'ai été invitée par la BBC dans une émission sur le thème : « Comment les Français font-ils pour être aussi bons en matière diplomatique ? », basée sur le constat que la France dispose de l'un des meilleurs outils diplomatiques du monde. Je vous avoue que de telles choses étaient plutôt agréables à entendre, surtout de la part de Britanniques qui ont le compliment rare. Pour autant, il est exact que nous disposons d'experts dans pratiquement tous les domaines. J'ai beaucoup oeuvré, au cours des dernières années, à ce que davantage de Français réussissent les concours des institutions européennes, qui présentent la particularité de ne ressembler en rien aux concours organisés par la fonction publique française. Comme dans d'autres domaines, la clé du succès réside dans un entraînement adapté, et nous avons fait dans ce domaine des progrès remarquables.

J'ai parlé tout à l'heure du statut des experts nationaux détachés, un merveilleux outil qui nécessiterait, pour encourager les vocations, que l'on organise mieux qu'on ne le fait aujourd'hui la carrière des END en fin de mission. L'influence française au sein de l'Union européenne doit progresser, non parce que nous l'avons décrété, mais de manière naturelle, en fonction de notre compétence, de notre crédibilité – notamment nationale – et de notre engagement.

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