Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi visant à garantir le respect éthique du don d'organes par nos partenaires non européens, présentée par Mme Frédérique Dumas, dans le cadre de l'espace réservé du groupe Libertés et territoires. Elle propose en substance un contrôle des conventions de coopération internationale conclues par les établissements de santé français avec des établissements de santé ou universités étrangers. La préoccupation qui sous-tend ce texte, rejeté par votre commission des affaires sociales au printemps dernier, concerne d'éventuels prélèvements d'organes forcés sur des prisonniers, notamment politiques, qui seraient actuellement pratiqués en Chine et qu'il faudrait faire cesser.
C'est cette même préoccupation qui a conduit à l'adoption par l'Assemblée de la résolution portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l'humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l'égard des Ouïghours, et appelant à la mise en place d'une enquête internationale indépendante.
Le Gouvernement tient à rappeler qu'il partage évidemment la préoccupation de Mme la rapporteure quant au respect des principes éthiques afférents au don, au prélèvement et à la greffe d'organes par nos partenaires internationaux non européens. Un trafic illicite d'organes humains aux fins de transplantation existe en effet à l'échelle internationale. Ce trafic, contraire aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, constitue une attaque aux principes éthiques consacrés en droit français, au premier rang desquels l'intégrité et la non-patrimonialité du corps humain.
Divers moyens ont été mis en œuvre, tant au niveau national qu'international, pour lutter contre cette activité criminelle qui représente un réel danger pour la santé publique et individuelle. La Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains, dite Convention de Saint-Jacques-de-Compostelle, vient renforcer le droit international existant en la matière. Elle garantit le respect des principes inscrits dans la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, dite Convention d'Oviedo, ratifiée par la France en 2011. Elle renforce la sécurisation globale du système de transplantation en Europe, en imposant de prévoir des sanctions pénales en cas de trafic d'organes et en consolidant les modalités de coopération internationale en la matière. Elle prévoit en outre un renforcement de la protection des victimes. La France a par ailleurs participé activement à l'élaboration de la Convention de Saint-Jacques-de-Compostelle et l'a signée en novembre 2019. Le projet de loi autorisant sa ratification a d'ailleurs été adopté par votre assemblée il y a quelques jours, le 27 janvier dernier, et ce à l'unanimité.
La France n'a cependant pas attendu l'intervention de cette convention pour s'emparer du sujet. Le législateur a confié à l'Agence de la biomédecine la mission de mener tous les deux ans une enquête auprès des centres de dialyse et de greffe, afin de recenser l'ensemble des Français greffés d'un rein à l'étranger. Il en résulte que le nombre de personnes concernées est très faible : cinq entre 2019 et 2020, et environ quatre-vingt-dix depuis les années 2000. Il s'agit le plus souvent de greffes réalisées à partir d'un donneur vivant, apparenté au receveur, dans le pays d'origine des personnes concernées et en conformité avec le droit dudit pays.
S'agissant spécifiquement de la Chine, aucune filière de trafic d'organes impliquant des ressortissants français en Chine n'est répertoriée à ce jour. Contrairement à ce que la présente proposition de loi suggère, il existe encore moins de tourisme de la transplantation depuis la France vers la Chine. Bien que le Gouvernement partage – une fois encore – l'intention de la proposition sur le fond, les modifications proposées présentent selon nous différents risques.
La proposition vise à soumettre la signature des conventions dites de coopération entre les établissements de santé français et étrangers – hors Union européenne – à une vérification a priori et a posteriori du respect des principes éthiques français. Le Gouvernement attache évidemment une grande importance au fait que les médecins et chercheurs français travaillent dans des conditions conformes aux engagements internationaux de protection des principes bioéthiques. Ainsi, les établissements de santé publics ou privés à but non lucratif sont d'ores et déjà tenus, dans toutes leurs activités, y compris la signature de conventions de coopération internationale, au respect de ces principes.
Par ailleurs, le contrôle de leur non-violation reste cependant complexe ; conditionner la coopération technique à des garanties opposables à ce sujet n'apparaît pas proportionné. Le Gouvernement privilégie plutôt, à l'issue de la ratification de la Convention de Saint-Jacques-de-Compostelle, la sensibilisation des acteurs français de la coopération internationale en la matière.
Enfin, la proposition de loi prévoit que le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) vérifie la signature des conventions de coopération relatives à la transplantation d'organes conclues entre les établissements de santé français et des partenaires étrangers. Or le CCNE n'a pas vocation à contrôler la conformité de ces conventions avec les principes éthiques consacrés en droit français, pas plus d'ailleurs que l'Agence de la biomédecine.
Vous l'aurez compris, mesdames et messieurs les députés, la lutte contre le trafic d'organes est évidemment essentielle. Nous continuerons à lutter avec conviction contre toutes les formes de traite et de trafic humains, en nous appuyant sur l'arsenal juridique et diplomatique étendu dont nous disposons déjà. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne sera pas favorable à la proposition de loi dont nous allons débattre.