C'est aussi un problème climatique. Plus nous produisons de plastique, plus nous consommons d'énergie fossile et plus nous aggravons la crise climatique, alimentant ainsi un cercle infernal. La croissance rapide de la production de plastique menace déjà les systèmes naturels de la terre, et cette menace ne fera que s'aggraver. Nous ne pouvons tout simplement pas faire comme si de rien n'était. Vu l'ampleur du problème, il est nécessaire de prendre de toute urgence des engagements et des mesures.
Tout ce que je viens de vous dire est issu d'un rapport des Nations unies, qui recommande d'agir de toute urgence en renforçant à tous les niveaux la gouvernance de la lutte contre la pollution plastique, en améliorant nos connaissances en la matière et en accélérant la mobilisation des moyens financiers nécessaires. En effet, « les politiques actuelles ne sont pas à la hauteur des enjeux et ne permettent pas de réduire significativement le volume des plastiques mis sur le marché », constate le rapport.
Par ailleurs, une récente modélisation montre que d'ici à 2040, dans l'hypothèse d'un statu quo, la quantité de plastique présente dans les océans devrait quadrupler, et que les engagements actuellement pris par les gouvernements et les entreprises ne feront baisser le déversement de déchets plastiques en mer que de 7 %.
Les politiques relatives aux plastiques sont rares et portent généralement sur l'interdiction ou la taxation de produits particuliers plutôt que sur le changement systémique de l'économie du plastique. L'éventail des politiques actuelles ne permettra pas d'opérer le virage nécessaire pour réduire à zéro le déversement de déchets plastiques en mer.
L'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui a tenu son congrès à Marseille en septembre 2021 – vous y étiez présente, madame la secrétaire d'État chargée de la biodiversité, pendant les dix jours qu'il a duré –, rappelle elle aussi l'extrême urgence à agir. La directrice du programme marin et polaire mondial déclarait lors de la présentation du rapport de l'UICN d'octobre 2020 : « La pollution plastique est source de dommages à long terme aux écosystèmes terrestres et marins et à la biodiversité. Non seulement pour les animaux marins qui peuvent se retrouver coincés ou avaler des déchets plastiques […], mais cette contamination libère également dans l'environnement des substances chimiques […] nocives à la fois pour les écosystèmes et pour la santé humaine. Un problème particulièrement critique dans une mer semi-fermée comme la Méditerranée. Comme ce rapport l'indique clairement, les mesures actuelles et prévues ne sont pas suffisantes pour réduire les rejets de plastique et prévenir ces impacts ».
Dans une étude que viennent de signer plus de quatorze scientifiques dans la revue Environmental Science et Technology, il est démontré que, sur les neuf limites planétaires, celle des polluants environnementaux, dont le plastique, vient d'être franchie. Les auteurs de l'étude pointent l'importance de passer à une économie circulaire massive ; ils appellent surtout à fixer un plafond de production et de rejet des produits chimiques.
Le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de nos collègues Philippe Bolo, député, et Angèle Préville, sénatrice, publié le 14 décembre 2020, porte un titre inquiétant : « Pollutions plastiques : une bombe à retardement ? ». Il dresse le constat effrayant d'une invasion exponentielle du plastique et propose de penser autrement la lutte contre les plastiques, trop axée sur le recyclage dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi AGEC.
La Fondation Tara Océan rappelle, dans sa dernière publication : « L'économie circulaire peut être la réponse à la pollution plastique, à condition d'en retenir une juste définition posant comme principes fondamentaux la réduction de consommation des ressources et de l'énergie et l'absence de préjudice sur la chaîne du vivant. » L'organisation non gouvernementale a confirmé en commission, ce mercredi, son soutien à la création de l'Agence nationale du plastique.
Nous devons prendre en compte ces recommandations fortes, martelées, assénées, unanimement partagées. Les stratégies actuelles ne sont pas à la hauteur ; la réduction drastique du volume de plastique employé doit en être le cœur. L'enjeu est tel que de nouvelles formes de gouvernance doivent être adoptées.
C'est le sens de la proposition de loi que je présente aujourd'hui.
En s'attaquant à ce qui fait que le plastique est abondant et peu cher, c'est-à-dire le pétrole, elle entend stopper la fuite en avant. En proposant la création d'une agence nationale spécialisée, elle a pour ambition de donner des moyens de pilotage à une stratégie de reprise en main du plastique. En s'appuyant sur les dispositions déjà prises en France et en Europe, elle démultiplie leur efficacité. Tout le monde conviendra en particulier que les états généraux de l'emballage seront une étape clé dans le processus de sortie des emballages en plastique à usage unique.
La lutte actuelle contre le plastique est focalisée sur le plastique à usage unique, en interdisant certains produits ou en favorisant le recyclage, comme l'a fait la loi AGEC. Mais si nous devons réduire les déchets plastiques à la bonne échelle, nous devons tenir compte de toutes les sources de pollution et conduire une stratégie plus globale et plus volontariste. Nous devons rehausser les digues face au tsunami qui engloutit la vie terrestre.
Ce texte a donc comme principal objectif celui de déconnecter le plastique du pétrole afin de diminuer sa production, son impact climatique et environnemental, et donc de contraindre l'économie du plastique à se transformer.
La proposition de loi comprend cinq articles et fait l'objet de nombre d'amendements.
L'article 1er propose d'interdire, à partir de 2030, la fabrication et la mise en vente ou la mise à disposition de plastiques fabriqués, pour tout ou partie, à partir de pétrole ou de produits pétroliers. Rappelons que 6 % du budget carbone mondial, et bientôt 15 %, est dédié à la fabrication de plastique. En fermant le robinet du pétrole destiné au plastique, nous participerons donc à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En tant que rapporteur, je vous proposerai toutefois, à la suite des auditions auxquelles j'ai procédé, de ne pas mettre totalement fin à cette production : des usages sanitaires, de sécurité ou de sûreté pourraient justifier d'autoriser au-delà de 2030, sous le contrôle du Gouvernement, la fabrication de certains plastiques à partir de pétrole. J'ai noté que le groupe LR approuve cette stratégie, puisqu'il a déposé un amendement destiné à en reporter l'effet à 2050. C'est la preuve qu'elle est bonne. Je pense que la date de 2050 n'est pas acceptable au vu de l'urgence, mais je reste ouvert au dialogue.
Beaucoup se sont alarmés à l'idée que la proposition de loi puisse être le cheval de Troie du plastique biosourcé, fabriqué à partir de végétaux. Non, le biosourcé ne va pas remplacer le pétrole pour fabriquer du plastique ! Le volume de pétrole actuellement utilisé démontre à lui seul qu'il n'existera pas d'équivalent en matière biosourcée. Nous ne pouvons pas ignorer que le biosourcé subit et subira plus encore à l'avenir des contraintes réglementaires, fiscales ou liées à l'usage des terres ; toutes ces mesures entraîneront un renchérissement du coût du kilo de plastique à base de matière végétale. Les différentes projections des professionnels du plastique biosourcé indiquent qu'ils ne pourront couvrir que 10 à 15 % du volume plastique en 2030 !
Alors, vous nous demanderez où se situera la principale source de production du plastique. Eh bien, ce sera le recyclé, par voie mécanique et chimique. Avec la fin du pétrole comme matière principale pour fabriquer le plastique, le recyclé deviendra la ressource principale. Nous cherchons à envoyer aux industriels un signal pour les assurer qu'ils peuvent investir dans le recyclage plastique et la maîtrise de la boucle.
Les articles 2 et 3 viennent soutenir cette stratégie zéro plastique.
L'article 4 répond aux ambitions de la loi AGEC de s'attaquer aux emballages plastiques à usage unique en proposant des états généraux de l'emballage.
L'article 5 crée un nouvel établissement public à caractère administratif et à compétence nationale, l'Agence nationale du plastique, en vue de réunir les différentes parties prenantes de la politique de gestion des matières plastiques.
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire n'a pas adopté les articles de la proposition de loi. Pourtant, les objectifs fixés sont atteignables en dix ans, à condition d'avoir la volonté politique et de se doter des outils adéquats, comme l'Agence nationale du plastique, très attendue. Il s'agit avant tout d'ouvrir le débat : la proposition de loi montre la voie, comme d'autres textes adoptés ici même, comme celui interdisant les véhicules thermiques à partir de 2040 : il a été repris par l'Union européenne, laquelle a avancé l'interdiction à 2035. Nous devons maintenant donner l'exemple d'une autre approche face à la pollution plastique.