Monsieur le rapporteur, je vous remercie à nouveau de nous permettre de débattre de la pollution plastique, un poison parfois invisible, mais aux effets toujours profondément délétères. Vous l'avez souligné, la pollution plastique, fléau majeur des temps modernes, a des effets catastrophiques sur la biodiversité. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : un septième continent grand comme trois fois la France métropolitaine ; 100 000 mammifères marins mourant chaque année de pollution plastique… Les écosystèmes ne sont malheureusement pas les seules victimes de cette pollution : nous avalerions chaque semaine l'équivalent de cinq grammes de plastique, soit l'équivalent d'une carte bleue. Cela ne peut évidemment plus durer. La lutte contre la pollution plastique est une priorité environnementale et un enjeu sanitaire de premier plan ; un impératif moral, même, à l'égard des espèces et des écosystèmes qu'elle menace. Alors, je vous remercie, monsieur Lambert, ainsi que l'ensemble des députés qui ont œuvré avec vous à la rédaction de la proposition de loi.
Je tiens d'abord à réaffirmer l'engagement plein et entier du Gouvernement dans la lutte contre les pollutions plastiques. Nous sommes pleinement investis pour supprimer ces rejets dans l'environnement. Des lois importantes ont d'ailleurs été votées, comme la loi « antigaspillage », ou loi AGEC, en 2020, et la loi, dite climat et résilience, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, adoptée l'été passé. Elles nous ont fait franchir des caps en prévoyant des interdictions sur lesquelles je veux revenir.
Le premier levier à notre disposition concerne le cycle de vie des plastiques ; nous avons donc amorcé une sortie des plastiques jetables, qui sont l'une des premières sources de pollution. Avec un objectif de sortie des emballages plastiques à usage unique d'ici à 2040, nous avons inscrit dans la loi l'une des trajectoires les plus ambitieuses d'Europe. Depuis le mois dernier, par exemple, les emballages plastiques entourant les fruits et légumes sont en grande partie interdits ; depuis un an, voire deux ans dans certains cas, de nombreux objets du quotidien, comme les assiettes, les gobelets et les couverts jetables, sont bannis des étals des magasins sous leur forme plastique ; dans un an, les fast-foods devront utiliser de la vaisselle réutilisable pour les consommations sur place ; enfin, toujours dans la loi « climat et résilience », nous avons prévu que, d'ici à 2030, 20 % des produits de supermarché soient vendus en vrac, ce qui est une autre façon de limiter drastiquement des emballages.
Nous sortons donc du modèle du tout jetable, qui est une des premières causes de pollution plastique, afin de le remplacer par des usages pérennes. Dans l'industrie, notamment, nous avons mené une action très forte en faveur du recyclage, en nous fixant l'objectif extrêmement ambitieux de 100 % de plastique recyclé en 2025. Nous en sommes loin, me direz-vous : aujourd'hui, moins d'un tiers des déchets plastiques que nous produisons sont recyclés. Il faut donc absolument accélérer le développement du recyclage. Pour cela, nous mobilisons des investissements très importants : 370 millions d'euros dans le cadre du quatrième programme d'investissements d'avenir, le PIA4, mais également 500 millions dans le plan France 2030 pour l'industrialisation des nouveaux process et l'accélération des stratégies de recyclage.
Je veux également dire un mot sur les microplastiques. Vous le savez, la France soutient pleinement les recommandations de l'Agence européenne des produits chimiques et leur inclusion dans le règlement REACH – enregistrement, évaluation, autorisation des substances chimiques et restrictions applicables à ces substances. Comme vous nous y appelez, monsieur le rapporteur, nous œuvrons auprès de nos partenaires européens en intégrant le paramètre des microplastiques dans le processus d'évaluation du bon état écologique des milieux aquatiques. Sur le principe, nous sommes donc tout à fait favorables à cette ambition ; à ce jour, nous n'avons pas de méthodes normalisées, mais des travaux sont en cours pour le permettre. Une action dédiée à la mesure des microplastiques a été ajoutée au plan Micropolluants à la fin de l'année 2019 pour définir des méthodes d'analyse fiables et un appel à manifestation d'intérêt pour des projets de recherche est en cours de montage, avec un budget de 600 000 euros, pour nous permettre de mieux comprendre les transferts et le stockage de microplastiques dans l'eau et dans les sols. En parallèle, les travaux de normalisation se poursuivent au sein des différentes commissions dédiées de l'AFNOR – Association française de normalisation – et du Comité européen de normalisation, le CEN.
Nous allons également au bout de la logique du recyclage par la réincorporation de plastique recyclé dans de nombreux produits. Nous avons ainsi renforcé, depuis 2020, les bonus pour les emballages qui incorporent du plastique recyclé. Pour ce faire, plus de 150 millions d'euros ont été prévus dans le plan France relance. Il s'agit là encore d'un budget considérable, et inespéré, pour accélérer les choses.
L'action du Gouvernement en la matière ne se limite pas à la politique nationale. Au niveau européen, il a apporté son soutien à l'adoption d'une contribution au budget européen fondée sur les déchets d'emballages plastiques non recyclés, dont l'entrée en vigueur, l'année dernière, permet d'inciter tous les États membres à réduire leurs déchets d'emballage et encourage la transition de l'Europe vers une économie circulaire. Nous attendons de nouvelles initiatives de la Commission européenne sur les plastiques et les emballages, lesquelles doivent être publiées au cours de l'été 2022 et permettront à la France de porter au niveau européen les mesures adoptées dans le cadre de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire et de la loi « climat et résilience ».
Nous sommes en effet à la pointe de la réflexion dans ce domaine et nous avons éclairé le chemin des débats européens, où nous portons une voix importante. Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, nous avons lancé une mobilisation au niveau international sur la question des plastiques. Ils seront l'un des sujets de discussion principaux du One Ocean Summit qui se tiendra la semaine prochaine à Brest et pour lequel nous serons tous mobilisés. Ce sommet réunira la communauté internationale au plus haut niveau : chefs d'État et de gouvernement, mais aussi entreprises et monde de la finance se retrouveront pour adopter des objectifs concrets et des engagements dans la lutte contre les pollutions plastiques. La France, aux côtés de l'Union européenne et de nombreux États du monde, souhaite l'adoption rapide d'un accord mondial juridiquement contraignant qui couvre l'ensemble du cycle de vie des plastiques.
Vous le savez, l'Assemblée des Nations unies pour l'environnement se réunit à la fin du mois de février à Nairobi pour entamer les négociations formelles en vue d'un tel accord. En tant que vice-présidente de l'ANUE, vous pouvez évidemment compter sur moi pour faire preuve de la plus haute ambition concernant ce traité. Je serai donc présente à Nairobi tout au long de ces négociations. Malheureusement, toute la communauté internationale ne partage pas les mêmes ambitions que nous. Un travail important devra donc être mené avec nos partenaires les plus proches et les autres, afin d'associer le maximum de pays à ce traité juridiquement contraignant.
Vous le voyez, le Gouvernement partage les préoccupations des cosignataires de la proposition de loi. Toutefois, nous divergeons quant aux moyens à employer.
Le présent texte prévoit de supprimer complètement l'usage du plastique à base de pétrole à compter de 2030, en s'appuyant sur l'adoption d'une stratégie nationale « zéro plastique pétrole » et la fixation d'un calendrier d'interdiction des produits concernés. Toutefois, cette stratégie ne nous semble pas la plus appropriée pour nous attaquer à ces pollutions, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, l'interdiction du plastique pétrosourcé, au bénéfice du plastique biosourcé, ne répondrait pas forcément efficacement au problème de pollution. En effet, des interrogations demeurent concernant l'impact pour la santé comme pour l'environnement des plastiques biosourcés. Ces derniers restent des résines plastiques ; ils sont constitués des mêmes polymères que les plastiques pétrosourcés. Ils sont parfois compostables ; pas forcément biodégradables. Toutes les incertitudes en la matière doivent être levées. Des travaux scientifiques sont en cours, qui permettront de nous éclairer.
La directive européenne sur les plastiques à usage unique ne distingue d'ailleurs pas le plastique biosourcé du plastique conventionnel, car, dans la nature, les deux ont le même impact sur les milieux et la biodiversité. Il importe donc de distinguer « biosourcé » et « biodégradable » ; ce sont deux propriétés bien distinctes.
Par ailleurs, je tiens à souligner que l'essentiel des plastiques biosourcés utilise de la biomasse et non les déchets issus de celle-ci. Cela crée un conflit d'usage des terres agricoles, lesquelles sont destinées en priorité à la production alimentaire. Sur tous ces points, un équilibre doit être trouvé. Même si je comprends votre souhait de voir progresser l'utilisation des produits biosourcés, il ne faut donc pas se laisser abuser par les promesses de ceux qui en promeuvent l'utilisation massive.
Outre que l'interdiction du plastique pétrosourcé serait donc peu opportune, elle pose un réel problème de faisabilité, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, sur le plan juridique, une telle mesure serait fragile, du point de vue du droit tant international qu'européen et interne. Interdire ce type de plastique sur nos marchés poserait de réelles difficultés au regard des règles de l'OMC – Organisation mondiale du commerce ; cela contreviendrait en outre au principe européen de libre circulation. Nous avons d'ailleurs mené un débat extrêmement riche sur ce point dans le cadre de l'examen de la loi AGEC. Nous avions finalement prévu des « objectifs de sortie », plutôt que des « interdictions », cette nuance nous permettant d'échapper à certaines contraintes juridiques.
Par ailleurs, il semble techniquement peu réaliste de prévoir d'interdire les plastiques pétrosourcés et de les remplacer intégralement par les plastiques biosourcés d'ici à 2030. En effet, actuellement, ces derniers représentent seulement 1 % de la production mondiale de plastique. Imaginez la montée en puissance qui serait nécessaire ! Même si la production de ces plastiques croit actuellement, au vu des problèmes, précédemment évoqués, qu'elle pose, il est difficile d'imaginer que l'industrie soit capable d'en fournir suffisamment pour qu'ils se substituent totalement aux autres plastiques à si brève échéance.
Vous le savez, le Gouvernement poursuit déjà une stratégie globale en la matière. Nous nous sommes donné pour priorité la sortie du plastique jetable et agissons à la source pour éviter ces déchets, en réfléchissant à de nouvelles pratiques de production et de consommation. Nous devons également continuer à concentrer nos efforts sur le recyclage, pour rendre véritablement circulaire le cycle de vie du plastique et donc limiter les déchets et la pollution qui en est issue. C'est le triptyque « réduire, réemployer, recycler », aussi appelé la stratégie 3R.
Votre proposition de loi prévoit une consultation du public et une gouvernance de la politique du plastique. Ainsi, le principe de l'organisation d'un débat public, sous la forme d'états généraux, serait inscrit dans la loi et une agence nationale du plastique serait créée. Or ces attentes me semblent largement satisfaites ; il n'est donc pas nécessaire d'inscrire ces dispositions dans la loi. Vous le savez car vous avez participé à la réflexion sur celle-ci, nous disposons d'une stratégie 3R qui sera soumise à la consultation du public très prochainement ; des documents ont été envoyés aux parties prenantes vendredi dernier. Nous visons une adoption de cette stratégie avant la fin du quinquennat.
En parallèle avec cette consultation du public, qui permettra de poursuivre nos réflexions, nous avons installé un nouvel organisme de gouvernance, le CNEC – Conseil national de l'économie circulaire –, dont je salue la présidente, la députée Véronique Riotton.
Nous disposons ainsi, au niveau national, d'une stratégie et d'un plan d'action concret, qui repose sur l'identification de quarante-deux secteurs et filières potentiellement concernés par la réduction, le réemploi et le recyclage à l'horizon 2025. Ces filières pourront être accompagnées, afin d'atteindre des objectifs mesurables, et bénéficier d'un soutien financier pour élaborer leur feuille de route. Ce sont les 3R sectoriels.
En outre, les missions que vous proposez d'attribuer à l'Agence nationale du plastique apparaissent redondantes avec celles exercées actuellement par l'ADEME – l'Agence de la transition écologique –, laquelle bénéficie d'une vision globale, transverse, des enjeux de la décarbonation de notre économie parce qu'elle travaille au jour le jour à la gestion des déchets – y compris plastiques – et à leur recyclage. Il serait superflu de créer une énième agence ; cela poserait même des problèmes de clarté et des conflits de compétences en matière de lutte contre les déchets plastiques.
Cette lutte est une priorité pour la France, qui se bat au niveau européen et international, vous l'aurez compris. C'est une question non seulement de responsabilité et d'ambition écologique, mais aussi de préservation du patrimoine naturel et de la santé publique. Nous avons donc toutes les raisons de nous mobiliser avec la plus haute ambition et au plus haut niveau.
Vous l'aurez compris, le Gouvernement n'est pas favorable à cette proposition de loi. Bien que vos intentions soient louables, elle semble peu opportune, à cause tant des priorités que des moyens prévus. Nous émettrons donc un avis défavorable à son adoption, même si nous souscrivons tout à fait aux objectifs que vous visez.