Ainsi, chaque mois, près de 8 millions de nos concitoyens paient des commissions et des frais bancaires. Le montant de ces frais pourrait s'élever à 6 milliards d'euros par an selon certaines associations de protection des consommateurs, mais d'autres estimations, en particulier en provenance de la direction générale du Trésor, évoquent un montant plus proche de 3 milliards – on ne sait pas très bien. Ce léger intervalle allant du simple au double, à l'intérieur duquel doit se situer la vérité, suffit à lui seul à nous interpeller.
Nous avons pourtant interrogé la Fédération bancaire française (FBF) mais nous n'avons pas obtenu de réponse précise sur les montants des frais bancaires perçus. Heureusement pour les banques françaises, leur efficacité à évaluer ce montant est sans commune mesure avec leur capacité à imaginer de nouvelles commissions ! Ces dernières étaient au nombre de 597 en 2019 selon le rapport annuel de la Cour des comptes 2021, ce qui signifie qu'il en a 225 de plus que huit ans auparavant.
Certes, le groupe Libertés et territoires auquel j'appartiens aime la diversité mais, en matière de nomenclature bancaire, elle me semble contrevenir à la bonne information de nos concitoyens. Je n'aurai pas la cruauté de demander à chacun d'entre vous – en particulier à vous M. le secrétaire d'État – si vous lisez, et surtout si vous comprenez, le document adressé chaque année par les banques à leurs clients récapitulant leurs tarifs. Je préfère formuler le souhait optimiste qu'un Champollion contemporain parvienne un jour à déchiffrer ces mystères. J'ai fait le test en commission : seules deux personnes ont levé la main – et encore, je n'ai pas vérifié si elles avaient vraiment tout lu ou seulement quelques lignes.
Plutôt que d'attendre des miracles, le législateur doit donc se saisir pleinement de son rôle. Les débats en commission ont démontré que l'inclusion bancaire fait l'objet d'un large consensus au sein des courants politiques. Or les frais bancaires qui pèsent sur les Françaises et les Français – en particulier sur les plus précaires d'entre eux – constituent des obstacles à la réalisation de cet objectif. Il est bien sûr normal que les banques facturent leurs services, mais il n'est pas admissible que ces frais soient dévoyés, en étant totalement décorrélés du coût réel des prestations qu'ils sont supposés rémunérer.
Certaines associations de consommateurs estiment que les taux de marge bancaire sur les commissions d'intervention dépassent les 50 %. Certes, des progrès ont été effectués ces dernières années en matière d'inclusion bancaire : la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires a conduit les établissements de crédit à proposer une offre spécifique aux personnes en situation de fragilité financière et a également consacré le principe du plafonnement. Dans une même démarche, l'accord conclu entre l'État et le secteur bancaire en 2018, bien que non contraignant, a donné lieu à certains engagements ainsi qu'à de nouveaux plafonds, dont le coût annuel pour les banques est estimé par la Banque de France, à la fin de l'année 2018, entre 500 et 600 millions d'euros – chiffre que la FBF a confirmé.
Pourtant, les résultats des engagements pris par les banques sont insuffisants et les contournements nombreux. Ainsi, la tendance est à la hausse générale des frais, qui devraient encore progresser en 2022 de 2,5 % en moyenne : voilà la dure réalité de ce que certains appellent une « ambitieuse politique de réduction des frais » ! Cette situation doit nous alerter, en particulier dans un contexte difficile marqué par l'inflation et par la crise liée à la pandémie de la covid-19 qui a accru la précarité.
Nous avons pourtant laissé une chance au dialogue entre les pouvoirs publics et les banques : il n'a pas été fructueux et nous le regrettons. Le Gouvernement se satisfait d'un modèle dans lequel le Parlement serait tenu à l'écart de la régulation du secteur bancaire et devrait se contenter des informations qu'on voudrait bien lui donner, ce qui n'est pas à la hauteur des attentes des Français. Il est donc nécessaire de prendre nos responsabilités et de légiférer, car la loi reste le meilleur instrument pour protéger nos concitoyens – en particulier les plus modestes d'entre eux – des pratiques abusives.
Chers collègues, je suis bien conscient que les problématiques liées aux frais bancaires ne sont pas une découverte pour vous : neuf propositions de loi ont été déposées sur ce sujet sur le bureau de l'Assemblée nationale durant cette législature. Si le présent texte partage globalement leur esprit, le groupe Libertés et territoires propose d'utiliser deux leviers principaux pour lutter contre l'exclusion financière : un encadrement élargi et durci des frais bancaires, et une meilleure effectivité du droit au compte.
L'article 1er de la proposition de loi vise à mieux encadrer les commissions d'intervention bancaires afin de diminuer leurs coûts pour l'ensemble des citoyens, tout en maintenant des dispositions particulières à destination des plus fragiles, puisque les plafonds actuellement en vigueur ne permettent pas de limiter le poids des frais. Il divise par deux les plafonnements des commissions d'intervention pour l'ensemble des clients, et le divise par quatre pour les plus précaires, soit environ 700 000 familles ou 2 % de la population.
J'ai également déposé à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi en séance publique des amendements encadrant les frais de saisie-attribution et de saisie administrative à tiers détenteur, qui touchent particulièrement les personnes précaires. Je proposerai également d'introduire une sanction en cas de dépassement des plafonds afin d'assurer le respect de la loi. En effet, qu'est-ce qu'une règle sans sanction ? Cela n'existe pas. C'est ce que l'on appelle la législation incantatoire.
Je souhaite revenir, à ce titre, sur les principaux arguments qui nous ont été opposés en commission lors de nos discussions. Certains ont regretté que nous n'ayons pas « concentré nos efforts sur les plus vulnérables » ; il a également été avancé l'idée que, de toute façon, les banques trouveraient des moyens de contournement. C'est précisément pour ces raisons que j'ai déposé un amendement visant à introduire un plafond global pour tous les frais bancaires, dont pourront bénéficier les concitoyens les plus fragiles – amendement que la majorité a pourtant rejeté en commission. J'espère que le Gouvernement, quant à lui, reviendra sur cette position.
En outre, l'article 1er vise à inscrire dans la loi le principe d'élaboration d'une liste exhaustive des critères d'appréciation de la fragilité financière, situation qui concerne actuellement 3,8 millions de personnes en France. Ces critères seraient fixés par décret, afin de neutraliser les marges d'appréciation des banques qui entraînent trop souvent des ruptures d'égalité. En effet, si des mesures réglementaires sont venues compléter en 2020 les critères d'appréciation de la fragilité financière, la Cour des comptes souligne dans son rapport annuel 2021 que l'hétérogénéité des critères entre banques demeure.
Dans la logique de plafonnement poursuivie par l'article 1er , l'article 2 prévoit de diviser par deux les frais liés au rejet de chèque et à tout autre incident de paiement pour l'ensemble des clients, et de les diviser par quatre pour les clients placés en situation de fragilité financière. Je tiens à souligner que ces deux articles n'annuleront aucunement les progrès déjà obtenus ; au contraire, ils permettront de les approfondir et de clarifier les règles pour les clients comme pour les établissements bancaires.
Enfin, l'article 3 a pour objectif d'assurer l'effectivité de la procédure de droit au compte, qui garantit à toutes les personnes physiques un compte et un service bancaire minimum, en assurant une ouverture de compte dans les meilleurs délais. En effet, si les diligences relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme sont pleinement légitimes, elles ne doivent pas faire obstacle à l'ouverture d'un compte de dépôt pour les bénéficiaires du droit au compte.
Je souhaite que nous débattions de l'encadrement des frais bancaires et des difficultés rencontrées par les demandeurs du droit au compte. En effet, je suis convaincu que le législateur a un rôle essentiel à jouer dans la régulation bancaire : il est temps d'aller au-delà des engagements, et d'inscrire dans la loi les moyens effectifs de la lutte contre l'exclusion financière que nous proposons.