Intervention de Cédric O

Séance en hémicycle du vendredi 4 février 2022 à 15h00
Lutte contre l'exclusion financière et plafonnement des frais bancaires — Présentation

Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques :

Le Gouvernement partage votre objectif de préserver la situation financière des Français et leur accès à des services bancaires de qualité, à des tarifs appropriés – la majorité l'a démontré depuis 2017 et s'y attache tout particulièrement en ce moment, à l'occasion de l'examen, par le Parlement, de la proposition de loi relative au marché de l'assurance emprunteur de Patricia Lemoine. Cependant, nous ne souscrivons pas aux mesures que vous proposez pour y parvenir. Celles-ci sont de trois ordres : un plafonnement général des frais d'incident bancaire, une révision des critères d'identification des personnes fragiles, et des modifications de la procédure de droit au compte.

S'agissant des frais bancaires, qui constituent la première partie et le cœur de votre texte, nous devons débattre du constat, car nous ne partageons pas entièrement l'état des lieux que vous dressez. Premièrement, il nous paraît économiquement justifié que les banques facturent leurs prestations de services et d'éventuels frais d'incident. Nous comprenons évidemment que nombre de Français jugent excessive toute facturation de frais, mais ces incidents, qui correspondent la plupart du temps à un fonctionnement anormal du compte, induisent des coûts de gestion et génèrent des frais pour le bénéficiaire du paiement – qui n'est généralement pas une banque, et qui n'est pas payé en cas d'incident.

Deuxièmement, il est important de le rappeler – et nous divergeons avec vous sur ce point : les Français bénéficient, en moyenne, d'un niveau de facturation des services bancaires globalement satisfaisant. Les frais bancaires tendent à baisser depuis 2012, principalement sous l'effet de la digitalisation et du renforcement de la concurrence sur le marché des services bancaires. Dans nos comparaisons européennes, il convient de ne pas nous limiter au périmètre des seuls frais bancaires, mais de considérer l'ensemble des services, en incluant le crédit et l'épargne. On constatera alors que leur coût est plus faible en France que dans les autres économies européennes comparables.

Troisièmement – vous l'avez incidemment mentionné –, le secteur fait déjà l'objet de diverses réglementations visant à limiter les abus. C'est ainsi que, pour tous les Français, certains services bancaires sont gratuits, comme le relevé mensuel et la clôture de compte, et que certains frais sont plafonnés, comme le rejet de chèque – à 30 ou 50 euros selon le montant –, le rejet de prélèvement – à 20 euros –, ou encore les commissions d'intervention – à 8 euros par opération et 80 euros par mois.

Dans ce contexte, votre proposition d'abaisser les plafonds des différents frais d'incident pour toutes les clientèles, y compris les plus aisées, ne nous semble pas pertinente. Ce qui importe, à nos yeux, n'est pas de rétablir une forme d'encadrement administratif des prix en matière de tarifs bancaires, mais de protéger ceux qui en ont besoin.

Le dispositif actuel, qui prévoit un plafonnement global des frais d'incident concentré sur les populations les plus fragiles, qui en ont le plus besoin, constitue la meilleure réponse pour éviter la suraccumulation de frais et la spirale de l'endettement. Depuis 2017, sous l'impulsion du Président de la République, notamment grâce à l'action de Bruno Le Maire, le Gouvernement a travaillé pour construire un dispositif qui, depuis, a fait ses preuves. Rappelons qu'il a été élaboré, depuis 2018, dans une approche partenariale avec les établissements bancaires et les associations de consommateurs.

J'ai bien entendu votre argument, monsieur le rapporteur, selon lequel une obligation doit nécessairement être assortie d'une sanction pour les contrevenants, mais il me semble qu'en la matière, l'indicateur d'efficacité des dispositions précitées et de l'action du Gouvernement réside dans les résultats – nous divergeons probablement à leur sujet.

En application des engagements pris par les établissements bancaires en septembre et en décembre devant le Président de la République, les personnes dites fragiles bénéficient désormais d'un plafonnement global de leurs frais d'incident bancaire – c'est loin d'être négligeable. J'en rappelle les montants : 25 euros par mois au total pour les clientèles fragiles ; 20 euros par mois et 200 euros par an pour les clients fragiles bénéficiant de l'offre spécifique. Nous avons donc choisi de concentrer notre action sur ceux qui en ont réellement besoin, plutôt que sur l'ensemble de la population.

L'Observatoire de l'inclusion bancaire (OIB), instance publique de suivi des politiques d'inclusion, a dressé un bilan très positif des actions engagées par le Gouvernement. Permettez-moi de citer certains résultats : 3,2 millions de clients étaient considérés comme fragiles financièrement fin 2020, et bénéficiaient par conséquent du plafonnement des frais – soit une hausse de 12 % des bénéficiaires. Le montant moyen des frais facturés par les banques à leurs clients considérés comme fragiles est par ailleurs en diminution, à 248 euros en 2020, soit un recul de 18 % par rapport à 2018. Les réformes engagées ont réduit le montant des frais d'incident de 1,5 million d'individus en 2020. Enfin, l'offre spécifique se diffuse : on en comptait 598 715 bénéficiaires fin 2020, soit 56 % de plus qu'en 2018.

Pour bénéficier du plafonnement, il faut être considéré, sur le plan juridique, comme une personne en situation de fragilité financière. Il est vrai que les critères de détection employés en la matière étaient perfectibles. Aussi, depuis 2018, le Gouvernement s'est-il employé à élargir la définition des clients fragiles, afin que davantage de nos compatriotes bénéficient du bouclier contre les frais bancaires. Le Gouvernement a conduit une réforme sur ce sujet en 2020. Désormais, la France dispose d'un dispositif de détection à la fois plus proactif – un client est considéré comme en situation de fragilité financière si cinq incidents sont intervenus sur son compte bancaire au cours du même mois – et plus pérenne – le client est considéré comme relevant de cette situation pendant une durée minimale de trois mois.

La réforme permet ainsi à davantage de Français de bénéficier du plafonnement des frais bancaires : comme je l'ai déjà indiqué, le nombre de clients considérés comme fragiles a crû de 12 % depuis 2019.

Il est vrai que dans le dispositif déployé par le Gouvernement, le critère des revenus, pour être qualifié de personne en situation de fragilité financière, n'a pas été harmonisé par voie réglementaire, mais laissé à la discrétion des établissements bancaires. Il importait en effet de laisser une certaine marge d'appréciation aux banques, qui ont une connaissance fine de leur clientèle. Vous proposez d'harmoniser ce critère dans la loi, considérant que la latitude actuelle crée une inégalité de traitement entre les Français, selon la banque dont ils sont clients. Le Gouvernement n'estime pas une telle mesure utile car, de fait, les niveaux de revenus retenus par les établissements sont très proches les uns des autres, à quelque 1 500 ou 1 600 euros par mois. Tout cela peut évidemment être vérifié et contrôlé, le Gouvernement ayant exigé une transparence des établissements bancaires quant aux critères qu'ils appliquent. La mesure que vous proposez ne nous semble donc pas opportune ; elle pourrait même avoir des effets contre-productifs en excluant des bénéficiaires du dispositif si le seuil fixé ne correspondait pas au niveau le plus haut retenu parmi les établissements bancaires.

Enfin, le Gouvernement reste très attaché à la procédure de droit au compte, qui permet à tout Français de disposer d'un compte bancaire doté de services de base gratuits, s'il ne parvient pas à en ouvrir un dans une démarche commerciale. C'est une procédure clé de notre politique d'inclusion bancaire, car elle permet de s'assurer que tout Français peut être bancarisé – condition indispensable pour mener une vie économique normale. Il est donc essentiel que cette procédure puisse être activée rapidement et de manière efficace par ceux de nos compatriotes qui en ont besoin.

Dans cette perspective, votre proposition de loi avance deux mesures. La première consiste à permettre aux victimes de violences conjugales de bénéficier de la procédure de droit au compte, même si elles possèdent déjà un compte joint. Le Gouvernement y est entièrement favorable, à tel point que cette disposition est prévue par la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, dite loi Rixain, dans des termes qui nous semblent plus larges que votre proposition.

En second lieu, vous proposez d'améliorer l'efficacité de la procédure par une modalité qui ne nous semble pas applicable, car elle est contraire à la règle européenne à laquelle les établissements doivent se conformer en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Soyez néanmoins assuré que le Gouvernement est pleinement mobilisé pour accroître l'efficacité de la procédure actuelle. Un travail d'envergure est mené en ce sens depuis dix-huit mois par la direction générale du Trésor, en lien avec la Banque de France ; il a déjà permis d'identifier plusieurs améliorations, afin de rendre la procédure plus aisément et plus rapidement mobilisable. Nous les appliquerons. L'une de ces améliorations était de niveau législatif : il s'agit de la mesure prévue par la loi Rixain, que je viens d'évoquer. Les autres, de nature réglementaire, entreront prochainement en vigueur ; elles sont en cours d'examen par le Conseil d'État. Au total, ces mesures renforceront la procédure d'une manière qui nous semble plus large et plus pertinente que ne le ferait votre proposition de loi.

Les Français, ménages et entreprises, ont la chance de pouvoir compter sur un système bancaire fort et robuste, qui finance efficacement l'économie – il l'a démontré durant la présente crise –, et qui applique des frais globalement raisonnables en comparaison avec les pays européens.

Ces dernières années, le Gouvernement a agi de manière résolue pour renforcer encore l'encadrement des frais bancaires, avec l'objectif et la priorité de mieux protéger ceux pour qui une intervention de l'État est nécessaire, c'est-à-dire les personnes en situation de fragilité financière. Les résultats sont là ; je viens de vous en faire part. Ces avancées ont été accomplies dans une approche partenariale avec le secteur bancaire, ce qui, nous le croyons, est un gage de succès dans la durée. Le Gouvernement maintiendra sa vigilance et son exigence dans son dialogue avec les banques, et conduira les réformes lorsqu'elles seront nécessaires ; celles qui ont été appliquées jusqu'à présent ont d'ores et déjà permis, selon nous, d'atteindre un point d'équilibre satisfaisant. Voilà pourquoi le Gouvernement émettra un avis défavorable sur la présente proposition de loi.

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